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À l’école, « on ne peut pas tricher avec les langues »

À l’école, « on ne peut pas tricher avec les langues »

Classe de 2e AP dans une école à Alger [Crédits : TSA]

Ancien inspecteur de l’Enseignement primaire à la retraite, ex-professeur de langue française, Salah Lazari aborde dans cet entretien plusieurs questions liées et au monde de l’éducation en Algérie.

Allègement du cartable, enseignement des langues, surcharge des classes, cours particuliers, introduction des tablettes à l’école… Celui qui se présente comme « un simple praticien de la pédagogie » apporte des réponses explicites. Interview.

Pour alléger le cartable, le ministère de l’Education nationale a annoncé une série de mesures, comme l’usage de la tablette. Que pensez-vous de cette mesure ?

Je ne sais pas si le ministère a consulté tous les partenaires de l’école. Soulager l’enfant du fardeau qui est le cartable est une très bonne initiative dans la mesure où parents, enfants et enseignants le souhaitaient.

Cependant, la tablette règle une partie du problème pour constituer elle-même un problème. Ce gadget peut servir de support didactique en compréhension (lire et comprendre, écouter et comprendre …) mais pas en production.

L’élève doit apprendre à rédiger, à s’exprimer oralement, avec un feedback d’évaluation et de remédiation. Qu’il s’agisse de l’oral ou de l’écrit, l’enseignant n’a pas à corriger la production de l’élève, mais à lui signifier ses incorrections, en l’aidant à reformuler ou à réécrire.

Des pratiques pédagogiques pas évidentes au moyen de la tablette, surtout avec la surcharge des classes. L’usage de la tablette empêche le développement de la dextérité de l’enfant.

Elle a aussi un impact négatif sur les yeux, et comme c’est du consommable, j’estime qu’il faudrait allouer des sommes colossales pour satisfaire les millions d’élèves qui sont dans nos écoles.

Il aurait suffi de prendre une partie de ces budgets pour la formation et la recherche afin de trouver de bien meilleures solutions. Je ne suis plus sur le terrain, mais il parait qu’ils ont décidé de garder en classe les manuels qui ne servent qu’en classe, comme les cahiers d’activités, d’exercices. Je pense que c’en est l’une des solutions.

Comment évaluez-vous l’enseignement des langues en Algérie ?

Concernant l’anglais, au niveau du principe, j’y souscris. Contrairement aux prétextes présentés par certains, à l’âge du primaire, l’enfant peut apprendre plusieurs langues.

Mais au plan de la concrétisation, c’est à mon avis inquiétant. Une moyenne d’un enseignant pour cinq écoles, et un volume horaire hebdomadaire de 1h30, cela suppose qu’il n’y aura qu’une seule séance d’anglais par semaine. Et ce serait insuffisant.

D’ailleurs, même avec deux séances, ce ne sera pas évident. Il aurait fallu revoir les activités enseignées en arabe pour alléger relativement l’emploi du temps. Cet allègement réglera partiellement le problème de la lourdeur du cartable dont le poids ne doit pas dépasser le dixième de celui de l’élève.

Sur le plan didactique, l’introduction simultanée du français et de l’anglais va poser un problème au niveau de la prononciation des lettres. Je pense qu’on aurait mieux fait d’introduire l’anglais en 4e AP, après une année de français.

La qualité de l’enseignement des langues en Algérie est souvent décriée. Quel est votre avis ?

Vous avez bien fait de dire l’enseignement des LANGUES. On ne peut pas tricher avec les langues. Elles ont un statut, et je vais même oser dire une stature, une personnalité.

Quand on tente d’enseigner une langue en la dépouillant de son aspect culturel ou inversement, en exagérant sa dimension culturelle, c’est comme oser modifier la prescription médicale, en être en deçà ou au-delà. Tout ce qui sort de son contexte n’a pratiquement pas de sens.

Pour l’enseignement des langues, il y a une instabilité sensible des approches, alors que toutes doivent être didactiquement considérées comme si elles étaient des langues étrangères.

Paradoxalement, l’enfant issu d’un milieu arabophone découvre la langue arabe en classe. Idem pour un enfant issu d’un milieu kabylophone qui découvre tamazight en classe.

Mais on tient absolument à les enseigner en tant que langues maternelles. En général, pour toutes les langues, si on ne stabilise pas les approches et si on n’améliore pas la formation, il n’y aura pas de résultats.

Quant à la surcharge des classes (sureffectif), elle altère la qualité de tout enseignement/apprentissage, pas uniquement celui des langues.

La surcharge des classes justement, il en est question cette année encore…

Peut-être que le retour au système classique a mis au-devant de la scène le problème de la surcharge des classes. Dans ce cas, on peut dire que c’est le Covid qui nous a rendu un service non négligeable puisqu’il a généré le système de groupes comme mesure préventive.

Cette option a sensiblement allégé les effectifs. C’est ce qui a permis aux enseignants et même aux parents de découvrir l’intérêt des effectifs réduits. À l’échelle mondiale, la dynamique des groupes recommande de ne jamais dépasser 25 élèves par classe.

Cela signifie que si une école inscrit 25 élèves ou moins, pour un niveau, c’est un groupe. Si c’est 26 ou plus c’est deux groupes. Dans les pays qui avancent, c’est 20 en moyenne. Chez nous, si je ne me trompe pas, officiellement, il faut dépasser 40 élèves pour avoir deux groupes, mais sur le terrain, les dernières publications des enseignants affichent plus.

Le système de groupes avait permis aux enseignants d’être à l’aise et efficaces, et d’entraîner la satisfaction des parents. Mais les élèves, en fréquentant l’école un jour sur deux, ne bénéficiaient que de la moitié du volume horaire annuel, donc que de la moitié du programme.

Pour avoir les effectifs pédagogiques convenables, le programme complet et le volume horaire adéquat, il faudra tout simplement des infrastructures et des enseignants en plus. Pourtant nous avons les moyens pour les réaliser.

Les annonces relatives aux cours particuliers commencent à faire leur apparition. Quelle est votre appréciation par rapport à ce phénomène qui touche même le primaire ?

Pour les cours de soutien, ce que vous évoquez, c’est le paraître. Mais au niveau de l’être, les parents sont devenus anxieux, et ils forment deux grandes catégories.

Il y en a ceux qui cherchent les notes et les diplômes. Il y en a ceux qui veulent le savoir. Ne comptant plus suffisamment sur l’école, les deux croient à un complément pédagogique salvateur.

Mais en réalité, ces cours qui pourraient engendrer des surmenages, et même d’autres maladies, ne sont qu’un supplément encombrant. L’enfant ne peut pas supporter l’école, la maison, les cours de soutien. Il a besoin de moments de détente et de repos.

D’ailleurs, pour que ce soit des cours de soutien, il faut les mettre en symbiose avec les contenus scolaires. Ils doivent être intégrés, solidaires et complémentaires.

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