Alors que la relation entre l’Algérie et la France est bloquée au plan politique à cause d’une crise inédite qui dure depuis fin juillet 2024, les chefs d’entreprises des deux pays tentent de briser la glace.
L’Algérie qui fait preuve de pragmatisme envoie des signaux économiques, sans céder sur ses positions politiques. Dans cet entretien, Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou, analyse pour TSA les effets de la crise politique sur les relations économiques entre l’Algérie et la France, et les signes de dégel qui se multiplient ces derniers jours.
La chute des exportations françaises vers l’Algérie durant le 1ᵉʳ trimestre 2025 est-elle due aux tensions politiques entre les deux pays ?
Les exportations françaises vers l’Algérie ont chuté de 21 % au premier trimestre 2025. Cette baisse est liée évidemment aux tensions diplomatiques et politiques entre les deux pays ainsi qu’aux restrictions sur certains produits à l’importation pour encourager la production locale.
Toutefois, il serait réducteur de dire que la perte d’influence de la France dans l’économie algérienne, est due à la seule cause de la crise actuelle. La part des produits français sur le marché algérien a commencé à se réduire bien avant puisqu’elle a chuté de 10,4 % à 7,4 % entre 2018 et 2023.
Aujourd’hui, avec l’exacerbation des relations diplomatiques (absence des ambassadeurs), l’Algérie cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis de la France, ce qui pourrait limiter les opportunités pour les entreprises françaises.
Les entreprises françaises et algériennes peuvent-elles sauver la relation ?
Paradoxalement, ce sont les chefs d’entreprise des deux pays qui sont restés sereins face à la crise diplomatique et politique entre l’Algérie et la France. Les échanges commerciaux ont certes ralenti, mais l’optimisme des patrons est resté intact.
En Algérie, les entreprises françaises continuent de fonctionner normalement, même si des incertitudes existent pour certaines d’entre elles sur le moyen terme. Au demeurant, des signaux positifs sont relevés de part et d’autre ces dernières semaines, comme par exemple la première place occupée par la France durant le mois de mai 2025 parmi des clients de GNL algérien avec 0,258 million de tonnes importées, devant l’Italie et la Turquie.
La visite remarquée du patron de CMA CGM (Rodolphe Saadé) en Algérie (le 2 juin dernier) pour relancer les projets de ce grand groupe qui est déjà présent sur le marché algérien.
Le dossier logistique intéresse de plus près les autorités du pays qui veulent développer l’attractivité de la destination Algérie pour les investisseurs étrangers en améliorant et en modernisant les ports algériens et les placer au niveau des standards existants en Méditerranée.
Par ailleurs, la volonté affichée de promouvoir les exportations hors hydrocarbures, particulièrement vers le continent africain dans le cadre de la ZLECAF, appelle à plus d’efforts en matière de transport maritime pour desservir un grand nombre de destinations.
L’obstacle logistique pour de nombreuses entreprises exportatrices les rend justement moins performantes sur les marchés extérieurs. Aussi, l’option de CMA CGM, du fait de sa plus grande présence en Méditerranée et sur le continent africain, peut s’avérer être un choix qui cadre avec le contexte actuel.
Il en est de même pour des chefs d’entreprise qui veulent carrément dépasser cette crise et prennent des initiatives. C’est le cas de la délégation de patrons français qui s’est rendue mardi 17 juin à Alger pour participer aux Journées de l’industrie, un événement qui a réuni plus de 150 entreprises algériennes, publiques et privées, et une vingtaine de sociétés françaises.
Enfin, fait marquant, c’est l’attribution d’une licence d’exploration au consortium TotalEnergies / Qatar Energy, dans le cadre de la cérémonie d’ouverture des plis et d’évaluation des offres relatives à la compétition internationale « Algeria Bid Round 2024 », organisée mardi 17 juin par l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (ALNAFT), suite à un appel d’offres international lancé il y a quelques mois.
Cette attribution à TotalEnergies, même si c’est en consortium, est vraiment symbolique de la volonté affichée par l’Algérie d’épargner les relations d’affaires des vicissitudes de la politique pratiquée par une partie de la classe politique française.
Ainsi, ces événements sont perçus comme des signaux positifs susceptibles de contribuer à apaiser les relations entre l’Algérie et la France, en mettant en avant des intérêts économiques communs.
Peut-on séparer la politique de l’économie dans la relation entre l’Algérie et la France comme le réclame le président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française ?
Bien que les acteurs économiques des deux pays tentent de dissocier les affaires des tensions diplomatiques, la réalité montre que les décisions politiques influencent souvent les échanges commerciaux et les investissements.
D’ailleurs, certains chefs d’entreprise affirment régulièrement que les relations économiques doivent continuer indépendamment des crises entre les deux nations, en cherchant à préserver leurs intérêts. Mais la politique reste un facteur déterminant.
Sur le moyen et long terme, les intérêts économiques français en Algérie seront à redéfinir dans une nouvelle approche de coopération rénovée. Toujours est-il, c’est beaucoup plus la confiance qui pose problème aujourd’hui, entre une classe politique française marquée par l’idéologie de l’extrême droite avec des relents colonialistes, d’une part, et la classe politique algérienne versée vers la diversification des partenaires et l’affirmation de son indépendance économique, d’autre part.
Aussi, tant que l’extrême droite restera en position de force dans le paysage politique français, il est fort probable que la relation entre Alger et Paris risque encore de se détériorer, même si les entreprises des deux côtés cherchent à en atténuer les effets.
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