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Covid-19 en Algérie : « la situation est préoccupante »

Covid-19 en Algérie : « la situation est préoccupante »

Le Dr Mohamed Yousfi, est chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik. Dans cet entretien, il revient sur la situation épidémique en Algérie, la propagation des variants, la campagne de vaccination, le dialogue et la réforme de la santé…

Quelle lecture faites-vous de la situation épidémique en Algérie ?

La situation est préoccupante, surtout avec l’augmentation des cas qui a plus que doublé depuis maintenant une quinzaine de jours et l’apparition depuis plusieurs semaines de nombreux variants du Covid-19 y compris l’indien, même si c’est une autre forme de variant qu’on vient de découvrir chez nous.

Tout cela avec l’abandon presque total des mesures barrières par rapport à la population, et aussi l’absence de contrôles strictes de la part des pouvoirs publics de ces mesures barrières.

Nous, en tant que professionnels de la santé, on ne peut qu’être préoccupés par cette situation qui peut s’aggraver et surtout qui accentue la pression sur les structures sanitaires.

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Avez-vous commencé à constater une pression sur les personnels de santé au niveau des services réanimation et des services Covid ?

Effectivement, tout le monde s’accorde à dire que la pression avait nettement diminué dan les services. On le voit dans nos hôpitaux au niveau des urgences, au niveau des services hospitaliers dont certains avaient même fermé, y compris dans les services de réanimation où le nombre de patients Covid avait nettement diminué.

Mais là, les chiffres parlent. Actuellement, on a plus de pression au niveau de ces structures hospitalières,  au niveau des urgences et des soins intensifs. C’est vrai qu’on n’est pas au pic des mois d’octobre et novembre 2020, mais il ne faudrait pas qu’on arrive à ces situations pour pouvoir prendre les décisions qui s’imposent.

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Avez-vous pensé à rajouter des lits et se préparer à un éventuel pic ?

L’organisation est claire depuis maintenant plus d’une année. Toutes les wilayas ont un dispositif qui est basé sur un certain nombre de lits mis à la disposition de la prise en charge du Covid et cela fluctue en fonction de l’épidémie.

Lorsque l’épidémie tend à diminuer, il y a moins de lits sollicités et on reprend les autres activités hors Covid.

Lorsqu’il y a reprise, automatiquement, le nombre de lits dédié au Covid augmente progressivement. C’est le cas aussi de la réanimation.

Ce dispositif où il y a eu des ratés et des couacs l’année dernière en termes de coordination, est bien huilé maintenant. Les responsables, en particulier les DSP, suivent de près la situation et dès qu’il y a augmentation du nombre de cas positifs, un comité se réunit et automatiquement le nombre de lits dédié au Covid augmente.

Actuellement, l’Algérie enregistre la circulation de trois variants. Est-ce que c’est préoccupant d’autant qu’il n’y a pas beaucoup d’informations sur ces variants ?

On n’a pas beaucoup d’informations sur la circulation de ces variants. Je suis tout à fait d’accord avec vous. On le dit depuis plusieurs semaines. On sait très bien que les moyens de séquençage dont disposent l’Algérie sont très limités.

Ils se limitent à l’Institut Pasteur d’Algérie. Nous avons demandé depuis plusieurs années, avant le Covid, que les moyens de séquençage – il y a d’autres maladies infectieuses, particulièrement le VIH qui demandent le séquençage – soient augmentés en termes de centres et de réactifs. Malheureusement, on ne nous a pas entendus jusqu’à présent.

Donc on se retrouve avec un seul centre qui fait le séquençage. Automatiquement, ses capacités sont limitées. Automatiquement, on n’a pas la situation réelle. Actuellement, ce qui est dépisté par l’Institut Pasteur n’est pas le nombre réel qui est en circulation. Cela nous donne une idée, mais ce n’est pas le nombre réel, car ses capacités sont limitées.

Deuxièmement, bien sûr le fait qu’il y ait des variants nous inquiète comme spécialistes parce que, qui dit variant, dit plus de contagiosité, plus de transmission et automatiquement les circonstances favorables pour que l’épidémie reparte.

Je répète encore une fois que la conduite à tenir devant ces variants, en attendant la solution radicale qui est la vaccination – qui malheureusement traîne beaucoup – c’est les mesures barrières. Il faudrait que les citoyens respectent ces mesures barrières et que les pouvoirs publics puissent appliquer les mesures de contrôle.

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Justement, sur le dossier de la vaccination qui traîne. Il y a une désorganisation. Les gens ne savent pas comment faire pour se faire vacciner….

En tant que spécialistes, on se met à la place des citoyens. Nous-mêmes n’avons pas ces informations et ce n’est pas normal. D’abord en termes de communication de la part du ministère de la Santé. On a dit que même s’il y a des difficultés pour acquérir des doses, il faudrait dire à un citoyen qui s’inscrit quand est-ce qu’il pourra être vacciné.

Il y a une insuffisance importante en termes de communication.

Deuxièmement, en termes de doses, il faut être clair. La campagne de vaccination a commencé il y a trois mois, le 30 janvier dernier.

On est à moins d’un million de doses de vaccin reçues, ce qui est très faible pour pouvoir avancer dans le sens d’une immunité collective. Ce qui nous désole aussi, ce sont les déclarations du ministre de la Santé qui dit qu’on ne peut rien faire, qu’on ne peut pas avoir beaucoup de vaccins, car l’Algérie a commandé, mais elle n’a pas été livrée. On est déçu de ces déclarations, car en tant que spécialistes, cela nous rend la tâche plus difficile.

Ce qui est demandé aux pouvoirs, c’est de trouver des solutions à travers le ministère de la Santé et le gouvernement  et les relations que l’Algérie entretient avec des pays pour augmenter sensiblement le nombre de doses de vaccins pour qu’on puisse avancer plus rapidement dans la campagne de vaccination.

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Il y a une volonté de reprise du dialogue entre le ministère de la Santé et les partenaires sociaux, après la grève des soignants le 7 avril dernier. C’est le président de la République qui a appelé à ce dialogue. Est-ce que vous êtes optimiste ?

Le syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique, comme tout syndicat qui se respecte à travers le monde, a fait siens les principes du dialogue. On ne peut avancer qu’en tant que partenaire social avec les pouvoirs publics qu’avec le dialogue.

Un dialogue qui soit sincère, avec la transparence et la confiance mutuelle. Un dialogue dont l’objectif est de poser les problématiques et faire aboutir revendications des travailleurs dans la transparence la plus totale.

Malheureusement, le Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique a pratiquement arraché tous ses droits en recourant à chaque fois à la grève alors que nous avons toujours préconisé le dialogue.

Maintenant, nous notons avec satisfaction les instructions du président de la République concernant le dialogue. Mais il faudrait que ce dialogue soit réel et qu’il puisse aboutir à la concrétisation du règlement des problèmes posés.

Je vous donne un exemple. Au niveau du ministère de la Santé, nous avons été reçus à trois reprises par le ministre de la Santé pendant l’année 2020. Il a donné des instructions. Il y a eu une commission mixte qui s’est réunie pendant trois ans et rien n’a été fait.

On a constaté une carence totale. Les responsables du ministère de la Santé n’ont rien fait. Ce n’est pas ce dialogue qui pourrait faire avancer les choses. Nous avons été obligés en tant que syndicat de voir avec le Premier ministère où certains problèmes ont été réglés.

Nous avons même appelé monsieur le président de la République à intervenir et on s’est réjoui de ses instructions. Mais encore faudrait-il que ses instructions soient mises en application par les différents départements ministériels pour qu’on puisse avancer dans l’intérêt des professionnels de la santé, des citoyens et des pouvoirs publics.

Et aller vers un dialogue sincère et concret comme dans tous les pays qui utilisent ce moyen sans langue de bois.

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Le président de la République a appelé à l’accélération de la réforme de la santé. En tant que spécialiste et président du SNSPSP, avez-vous été associé dans ce dossier ?

Effectivement, nous avons salué l’adoption par le Conseil des ministres de ce projet de réforme hospitalière dans laquelle ont été associés, les différents syndicats et associations.

Le secrétaire d’État chargé de la réforme hospitalière a fait un travail de plusieurs mois. On a eu déjà des entretiens, l’autonome dernier. Après avoir écouté tout le monde, il y a eu des propositions et l’élaboration de ce projet.

On a été aussi reçu par le secrétaire d’État. Donc on se réjouit. Il ne faut pas oublier que cette réforme hospitalière a été initiée en 2002 puis elle a été mise aux oubliettes dans les tiroirs et il n’y a eu que du replâtrage.

Nous notons qu’il y a maintenant cette volonté politique qui n’a jamais existé. On a toujours dit qu’on ne peut pas avoir de réforme du système de santé sans volonté politique.

Maintenant, avec les déclarations du président de la République, on a cette volonté politique. Il y a ce projet qu’on attendait et maintenant on attend sa mise en application avec l’implication et la participation de tout le monde, en urgence.

Ce que nous attendons d’ailleurs, ce sont les textes d’application de la loi sanitaire qui date de près de trois ans et qui ne sont pas encore élaborés. Ils seraient le premier jalon de la réforme hospitalière.

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