search-form-close
Éducation nationale : faut-il supprimer le BAC et le BEM ?

Éducation nationale : faut-il supprimer le BAC et le BEM ?

ENTRETIEN. Ahmed Tessa pédagogue et conseiller au ministère de l’Éducation réagit dans cet entretien aux déclarations de Malika Boudalia Griffou, pédagogue et écrivaine, sur l’école algérienne et revient sur l’importance de l’évaluation par contrôle continu.

 

Quels sont vos points de divergences avec le constat de Malika Boudalia Griffou sur l’École algérienne ?

Dans cet entretien, je relève un aspect positif, celui concernant la nécessité absolue de revoir de fond en comble les modalités de passage à l’enseignement supérieur. Mais, je ne suis pas du tout d’accord quand elle dit que les manuels scolaires sont à l’origine de tous les maux de l’École algérienne. Ils sont perfectibles, certes, mais leur réécriture (avec les programmes) était une nécessité au vu des imperfections constatées dans les précédents manuels. Pour ce qui est de la langue d’enseignement, c’est la langue maternelle et seule la langue maternelle peut assurer efficacement des préapprentissages au niveau du préscolaire et faciliter les apprentissages fondamentaux pendant les deux premières années du primaire. L’enseignement de la langue maternelle est l’idéal en matière d’enseignement : il évite à l’enfant le ‘’choc’’, traumatisant parfois, du premier contact avec une langue étrangère. N’oublions pas que l’écrit – y compris dans sa langue maternelle – est déjà un choc pour l’enfant qui rentre à l’école pour la première fois. Que dire alors quand il s’agit d’une langue qu’il n’a pas l’habitude de parler ! Qu’on le veuille ou pas l’arabe (scolaire ou fosha) ainsi que le français ne sont pas des langues maternelles pour le petit algérien. Cela ne veut pas dire qu’il faut supprimer les langues étrangères. Bien au contraire il faut en imprégner l’enfant dès le préscolaire. Je constate un manque flagrant d’équité entre les enfants du privé et ceux de l’école publique qui ne découvrent le français qu’en 3e année primaire avec un horaire trop faible. Les normes sont d’une séance par jour ( 5 à 6 par semaine) pour pouvoir accéder aux codes la langue étrangère. L’appropriation de cette langue scolaire étrangère ne peut se faire que progressivement. Quant à l’opposition entre langue des écrivains et langue de la communication, elle n’a pas lieu d’être au niveau du primaire et du préscolaire. L’essentiel est que l’enfant se sente sécurisé, en confiance et attiré par les situations d’apprentissage qui lui sont proposées. Et là la référence à son quotidien est indispensable, au lieu de lui présenter des textes inaccessibles (lexique). C’est d’ailleurs le cas dans les cours d’éducation islamique où l’enfant est obligé de mémoriser sans comprendre. Je suis choqué d’apprendre qu’un seul titre (conte ou fable) puisse permettre à l’enfant d’emmagasiner jusqu’à 1000 à 2000 mots nouveaux.

La scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, selon la Constitution algérienne. Mais, ils sont, pas moins, de 30% à quitter l’école avant 15 ans. Quelles sont les causes de cet échec.

Les causes sont multifactorielles. La Conférence nationale d’évaluation de la réforme organisée en juillet 2016 – la première du genre – a cerné ces causes. Laissons le ministère appliquer ses recommandations. Malheureusement, à la moindre décision de changement, des cercles hostiles montent au créneau pour imposer un diktat mortel pour notre école : celui du statu quo et de l’immobilisme dans…la médiocrité.

Est-il urgent de penser à une liaison entre le système d’enseignement général et la formation professionnelle pour une prise en charge des exclusions précoces ?

Oui, il y a urgence. D’abord, revoir le fonctionnement d’ensemble du système éducatif algérien dans ses trois secteurs (éducation nationale – E &F Professionnels – Enseignement Sup.). Un seul ministère pour les chapeauter et confier la Recherche scientifique à un organisme qui soit autonome de la tutelle administrative et politique. Quant à l’apprentissage et à la formation aux métiers de base, il faudrait les confier au ministère du Travail pour assurer le lien avec l’emploi, avec des passerelles d’orientation/promotion vers l’enseignement secondaire technologique. Et surtout, déverrouiller l’accès à l’enseignement supérieur (filière ingéniorat) pour les élèves qui ont choisi la voie technologique et des métiers (il nous faudrait bannir le vocable ‘’professionnelle’’ et le remplacer par ‘’technologique’’). Bien sûr il y aura des modalités à respecter pour assurer la qualité des postulants aux études supérieures. Il y a aussi l’idée novatrice de la V.A.E (validation des années d’expérience) qui permet d’alléger le nombre en croissance exponentielle des candidats libres au bac. Ceux et celles qui adhérent à la VAE ( y compris les ouvriers spécialisés dans un métier et qui sont des anciens élèves de l’enseignement secondaire technologique) seront pris en charge dans un circuit de formation ciblée pendant un certain nombres d’années (volume horaire conséquent) et pourront accéder – selon toujours des modalité d’accès – à l’enseignement supérieur. Ainsi, les diplômes obtenus seront valorisés, et ceux et celles qui s’orientent vers la filière des Métiers seront motivés puisqu’ils savent qu’à tout moment ils pourront postuler vers la filière ingéniorat ou Technicien supérieur. L’Allemagne, la Suisse et d’autres pays développés – à l’exception de la France – ont bien compris cela. Les meilleurs élèves de fin de collège choisissent la voie technologique (l’actuelle voie professionnelle) : avec un emploi assuré immédiatement et perspective d’accès à l’enseignement supérieur (dans sa spécialité).

En absence d’accompagnement éducatif au milieu scolaire, les cours particuliers ont pris le dessus. Quels est leur l’impact sur le niveau des élèves ?

Aucun impact ! La preuve : les établissements scolaires qui décrochent 100% de réussite au baccalauréat se situent dans les zones déshérités des montagnes pas dans les centres urbains. Leurs élèves pauvres pour la plupart, ne connaissent pas ce fléau et ont des enseignants dévoués et honnêtes. Une étude menée par le ministère de l’éducation nationale a établi cet échec. C’est du commerce informel et immoral, pas plus, ni moins ! Il ne s’agit pas de cours particuliers, ceux-ci sont codifiés (petit groupe d’élèves, révision de leçons nom assimilées, lacunes détectées auparavant et prises en charge…). Dans le cas algérien et égyptien (c’est de ce pays que nos ‘’affairistes’’ ont importé ce business), il s’agit de bachotage à échelle industrielle, jusqu’à 100 élèves entassés dans un vaste local ou un appartement. Pour apprendre quoi ? Des ficelles et des recettes ‘’supposées magiques’’ pour solutionner des problèmes –types qui seront donnés le jour de l’examen. Rien de pédagogique, ni d’éducatif : seulement du dopage de la mémoire et une surchauffe du cerveau. Je vous invite à lire mon dernier livre ( Que Faire pour éradiquer le fléau des cours payants – Édition le Tremplin). Toutes les dérives y sont analysées ( morales, pédagogiques, sociales et économiques).

Comment évaluez-vous les programmes scolaires de deuxième génération ? Quelles sont les mesures correctives nécessaires pour accroître leur efficience ?

Il faut donner le temps de les évaluer. C’est ce que fait le ministère. Wait and see !

L’activité éducative accuse les contre coups d’une désorganisation due à l’indiscipline, au désintérêt perceptible pour les études, la contestation injustifiée et la provocation volontaire de certains élèves. Les méthodes pédagogiques inadéquates ou non maîtrisées seraient-elles à l’origine de cette situation ?

L’école algérienne souffre d’une déstabilisation quasi-permanente, pour des raisons idéologiques et politiques que tout le monde connait. Sans une forte stabilité de notre système scolaire, rien de bon ne se fera pour aider nos enfants à devenir des êtres humains épanouis, créatifs, équilibrés et ouverts sur les autres cultures. Et une seule solution pour cela : octroyer au ministère de l’Éducation nationale le statut de ministère de souveraineté à l’instar de la Défense ou de la Justice. C’est la moindre des choses que le pays pourra offrir à ses enfants.

La nouvelle méthodologie d’enseignement appliqué dite Approche Par Compétences est peu maîtrisée par les enseignants. Faut-il se pencher d’avantage sur la réforme des méthodes pédagogiques et la formation des formateurs ?

Je vous ai dit que la Première Conférence d’évaluation de la Réforme en Juillet 2016 a répondu à cette question. Une stratégie a été mise en place par le ministère de l’Éducation nationale. Je leur fais confiance même si la vigilance doit être de mise : sans cesse évaluer le dispositif et les mesures prises.

Comment évaluez-vous le taux de réussite et d’échec aux examens officiels ? Ces examens ont-ils encore la cote ?

C’est un héritage de l’école française du XIX° siècle. Elle les a créés ( 7 examens du primaire à la fin du lycée) pour trier et empêcher les enfants des paysans, d’ouvriers et des colonisés d’accéder en masse à l’université. Mais la révolution de Mai 1968 a balayé ce système élitiste et ségrégationniste. Seul le bac est resté. Et l’actuel Président veut le réformer de fond en comble. L’Algérie, elle, est revenue à l’école des temps anciens en réintroduisant l’examen de sixième et le Brevet/passage. Pire, nous avons supprimé une année du cycle primaire (cinq ans au lieu de six ans) sans aucune étude scientifique, au mépris des lois élémentaires de la psychologie de l’enfant. Un drame qui passe sous silence malheureusement.

Faut-il supprimer les examens de passage et envisager l’évaluation par contrôle continu, comme cela se fait dans plusieurs pays du monde ?

Les supprimer ? Il n’y aura que des avantages :

1-économiser des centaines de milliards de centimes chaque année

2-éviter l’exode des élèves dès le mois d’avril et assécher la poule aux œufs d’or du commerce informel des cours clandestins (des milliards de centimes annuellement en dehors du radar fiscal)

3-Humaniser l’évaluation du travail scolaire en revalorisant chez nos élèves : l’effort au travail, l’assiduité, la créativité, l’initiative.

4-Assurer les 36 à 40 semaines de cours effectifs pour répondre aux normes internationales. Depuis l’avènement de la fièvre de ‘’l’examinite’’ ( 2005), le bachelier algérien passe à l’université avec un déficit en cours effectifs cumulé de 2 ans et demi.

L’exemple de la Finlande est extraordinaire, ainsi que les pays scandinaves. Pas de pression, des élèves motivés allant à l’école avec le sourire jusqu’à la fin de terminale. Une école humanisée, tant dans son organisation, son fonctionnement que dans son encadrement humain. Quand on dit cela, des voix s’élèvent pour nous dire ‘’ n’oubliez pas que nous sommes en Algérie’’. Ah bon ! L’enfant algérien est génétiquement condamné à souffrir dès l’âge de six ans ? Pas de sport, pas de musique, pas de danse, pas de lecture/plaisir, pas de théâtre, pas de peinture, pas de visites guidées dans les sites historiques, pas de bibliothèques riches et attrayantes ? Inacceptable raisonnement.

Comment faire évoluer le baccalauréat ? Et comment expliquer vous l’intérêt des algériens pour cet examen, alors qu’il ne répond plus à ses objectifs pédagogiques.

L’attachement des algériens aux examens de la France coloniale (pas seulement le bac) s’explique par un sentiment de compensation/valorisation des parents. Ces derniers ont vu leurs parents à eux frustrés par le colonialisme dans l’accès à ces examens, symbole de la réussite sociale (à l’époque). Dans son décret de création, le baccalauréat – spécialité uniquement française créé en 1806 par Napoléon Bonaparte – est le premier diplôme universitaire. Autant laisser à l’Enseignement supérieur d’organiser des concours de passage selon des profils et des modalités bien étudiés. Et que le lycée délivre un quitus d’admissibilité à partir d’un dossier ( notes obtenues sur les 3 ans de lycée, le nombre d’absences injustifiées, la discipline). Avec ce dossier l’élève se présentera à la fac de son choix selon la filière appropriée et le soumettra pour pouvoir être accepté à concourir. Le lycée ne pourra délivrer qu’un Certificat de Fin d’étude secondaire. Et là je n’invente rien ! Exit l’orientation par ordinateur qui peut vous orienter vers la filière sport alors que vous êtes handicapé moteur. On aura des étudiants motivés par la filière choisie et studieux car triés par concours ciblé et non par un examen ‘’déshumanisé et militarisé’’.

  • Les derniers articles

close