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Émigration clandestine : « Notre jeunesse traverse une véritable crise d’intégration sociale »

Émigration clandestine : « Notre jeunesse traverse une véritable crise d’intégration sociale »

Plus de dix corps de harragas ont été repêchés et plus de 1200 candidats à l’émigration clandestine ont été interceptés en dix jours au large des côtés algériennes. Dans cet entretien, le sociologue Nourredine Hakiki, explique et donne des solutions pour lutter efficacement contre ce phénomène.

L’émigration clandestine, ou la « harga », revient avec force ces dernières semaines, malgré le contexte sanitaire marqué par la Covid-19. Une explication à ce phénomène ?

Nourredine Hakiki, professeur en sociologie et ancien directeur du Laboratoire du changement social à l’université d’Alger.

Ce qu’il faut retenir, c’est que notre jeunesse traverse depuis l’Indépendance à nos jours, une véritable crise d’intégration sociale. Nos jeunes commencent leur décrochage déjà à l’école. Cette dernière leur pose un énorme problème, et les jeunes commencent déjà à ce niveau-là à subir un décrochage. Ce décrochage scolaire s’accompagne automatiquement et mécaniquement d’un décrochage familial. La famille le met de côté. Ensuite, le décrochage familial s’accompagne automatiquement d’un décrochage social. C’est-à-dire que le jeune ne connait pas la sueur du travail (comment gagner sa vie). Pour lui, le travail n’est pas une source de richesse. Et il faut ajouter à tout ça les problèmes que nous avons subis, surtout ces dernières années et qui ont fait que le jeune est entré dans une sorte de désespoir. Pour lui, l’Algérie ne peut rien lui garantir. Même ceux qui ont réussi dans leur cursus scolaire, vont également subir ce problème. Ils se disent que « là-bas, au moins on nous respecte et on a un peu de dignité ; au moins on nous laisse nous affirmer ». La seule solution pour ces jeunes c’est de partir ailleurs, quitte à mourir en mer et subir tous les obstacles…

Il y a même des familles entières qui prennent le large…

Il ne faut pas exagérer (cet aspect) car ils ne sont pas nombreux. Ce sont des cas. Pour nous, sociologues, ils ne nous intéressent pas. En revanche, nous assistons à une autre forme d’émigration qui n’a aucune organisation. Les candidats à l’émigration clandestine n’ont aucun projet, c’est la fuite en avant. Il faut néanmoins dire la vérité, à savoir que rien n’est fait pour que nos jeunes, dès le départ, s’affirment. Ils se sont alors habitués au désespoir. Albert Camus disait dans « La Peste » : « l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même ».

Le phénomène de la harga avait quasiment disparu au moment du soulèvement populaire du 22 février. Des observateurs ont fait le lien entre l’espoir suscité par cette insurrection populaire et le reflux du phénomène pendant cette période. Qu’en dites-vous ?

Non, il ne faut pas y croire. Ce phénomène ne disparaîtra jamais, on aura à vivre avec lui pendant encore une longue période. Il y a eu la période du « Hirak » ou le jeune est venu contribuer et exprimer ses malheurs dont les « autres » sont responsables. Le Hirak lui a permis d’exprimer ce problème de l’absence de sa dignité.

Le contexte politico-économique sur fond de crise sanitaire due au coronavirus a-t-elle accéléré la « harga » ?

À cause de la pandémie du coronavirus qui a touché la planète entière, tout est mis en veilleuse, on se contente uniquement de distribuer la rente. Il faut reconnaître que cette crise sanitaire est pour quelque chose dans ce phénomène (de la harga). Quant à la réforme de l’école, de la famille, etc., tout cela est maintenant mis entre parenthèses. La dynamique amorcée par le « Hirak » a été stoppée par cette pandémie.

Malgré sa criminalisation, l’émigration clandestine continue encore de séduire nombre de candidats. En tant que sociologue, pensez-vous que c’est la bonne méthode ?

Au lieu de régler ce problème par la criminalisation, il faut aller vers l’école, la famille. Il faut inculquer les vraies valeurs à nos enfants dès leur jeune âge. Les solutions existent à ce niveau-là et non pas par la criminalisation ou la punition par la loi. L’émigrant clandestin est candidat à mourir en mer, que va représenter pour lui la prison ?! Ceux qui ont envisagé cette méthode n’ont rien compris à nos jeunes. Ceux-ci doivent être repris par l’école, la famille, par le travail… Actuellement, il faut dire la vérité, les jeunes sont mis de côté.

Comment lutter efficacement contre l’émigration clandestine ?

Il faut que les jeunes reprennent confiance et s’intègrent par le travail et uniquement par le travail. Ce n’est pas le cas en ce moment. Le jeune (candidat à la harga) a une conception sociale qui est fausse mais qu’il considère, lui, comme vraie. Pour lui, là-bas c’est l’espoir et ici c’est le désespoir. Alors que c’est l’inverse. C’est-à-dire que s’il y a un espoir ou une solution pour lui, c’est ici. Lui a inversé cette conception sociale et ne veut pas se « réaccrocher » à sa société. Beaucoup sont partis et la majorité veut revenir. Pour ceux qui restent, croyez-moi que de l’autre côté c’est l’enfer.

| Lire aussi : Recrudescence inquiétante du phénomène de l’émigration clandestine

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