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Ils ont tout plaqué en France pour tenter leur chance en Algérie

Ils ont tout plaqué en France pour tenter leur chance en Algérie

Derrière le stand réservé à sa microentreprise, Adil  est très actif. Il reçoit les visiteurs avec un large sourire et entre deux coups de téléphone, il donne des explications par-ci, remet une carte de visite par là.

Le Salon de l’emploi d’Alger, organisé par les autorités pour mieux valoriser les différents dispositifs d’aide aux jeunes porteurs de projets, est une opportunité pour lui de faire connaitre sa petite fabrique de produits alimentaires sise à Tlemcen.

Un petit coup de pub, c’est toujours bon pour un jeune qui entre de plain-pied dans le monde de l’entrepreneuriat. Il le sait d’autant plus bien qu’il est diplômé d’une grande école de commerce en France. Oui, ce jeune homme a fait délibérément le choix de quitter l’Hexagone où il est né il y a 27 ans pour venir tenter sa chance dans le pays d’origine de ses parents.

 Au moment où les jeunes algériens rêvent presque unanimement de s’établir de l’autre côté de la Méditerranée, que certains traversent parfois au péril de leur vie sur des barques de fortune, tomber sur quelqu’un qui a fait le chemin inverse, cela mérite qu’on s’y attarde.

« L’aventure n’est belle que si elle est partagée »

Non sans mûre réflexion, reconnait-il, Adil décide en 2014 de tout plaquer à Bordeaux, où il avait déjà de petites expériences, pour monter une fabrique en Algérie, la tête pleine d’ambitions.

« Notre pays dispose d’avantages certains concernant l’industrie, que ce soit en termes de compétitivité ou de par la taille de son marché et sa situation géographique stratégique, au carrefour entre l’Europe et l’Afrique. L’Algérie pourra non seulement disposer d’une industrie pionnière dans le secteur, extrêmement créatrice d’emplois, mais également d’un nouveau potentiel d’exportation intéressant », dit-il en parfait économiste, ajoutant, un brin poétique : « L’aventure n’est belle que si elle est partagée ».

Un tel partage, Adil n’est pas le seul à le faire. Ils sont en effet des dizaines de jeunes émigrés, installés en France ou ailleurs, à solliciter les deux organismes de soutien aux microentreprises de jeunes, l’Ansej (Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes) et la Cnac (Caisse nationale de l’assurance chômage) pour le financement de leurs projets en Algérie.

Le 22 mars, le ministre du Travail, Mourad Zemali, situait leur nombre à 60 : 50 dans le cadre du dispositif Ansej destiné aux moins de 35 ans, et 10 autres pris en charge par celui de la CNAC, dédié aux 35-50 ans.

Vu le nombre total de microentreprises créées jusque-là (370 000 pour la seule Ansej), la proportion des expatriés demeure presque insignifiante. Mais les autorités ne désespèrent pas de la voir augmenter à la faveur des nouvelles mesures de facilitation annoncées par le même responsable à la même occasion.

Jusque-là, les nationaux établis à l’étranger pouvaient comme le reste de leurs compatriotes bénéficier des aides à la création de microentreprises, soit une prise en charge presque totale du montage financier par les banques et les deux organismes cités (jusqu’à 10 millions de dinars), des avantages fiscaux et parafiscaux ainsi qu’un accompagnement aux promoteurs tout au long du processus de création de l’entreprise.

Mais dans le sillage de la visite à Paris du Premier ministre Ahmed Ouyahia, en décembre 2017, il a été décidé d’accorder encore plus de facilitations aux membres de la communauté nationale établie à l’étranger. Suppression du document attestant la situation de chômage, ouverture par les banques algériennes d’agences dans certains pays pour faciliter le transfert des sommes exigées comme apport personnel et, surtout, possibilité d’effectuer toutes les démarches en ligne via un portail dédié à cet effet.

Les pionniers d’une nouvelle aventure

Comme toute aventure, le retour des jeunes expatriés a ses pionniers qui n’ont pas peur de l’inconnu, qui n’attendent pas que le terrain soit balisé pour aller au bout de leur conviction. Pourtant, le parcours n’est pas toujours facile.

 Écoutons Adil : « J’ai effectué toutes les formalités comme au bon vieux temps. Avec mon cartable, mon dossier rempli de photocopies en tout genre, un dossier très important, et surtout la patience comme compagnon de route. J’ai commencé ce projet fin 2014, début 2015 et il m’a fallu un peu plus de 3 ans pour entrer en production ».

Les sempiternelles tracasseries administratives, donc ? « Oui évidemment ! Aucun Algérien ne pourra dire le contraire, la question d’ailleurs en dit long sur le sujet… ».

Trois ans, c’est également le temps qu’il a fallu à Zakaria pour monter son entreprise spécialisée dans les énergies renouvelables, dénommée  Sun Watt et domiciliée à Cherchell. Contrairement à Adil, ce jeune homme de 33 ans n’est pas né en France.

Originaire de Tipaza, il a émigré assez jeune (10 ans) avec sa famille, « pour des raisons sécuritaires, à cause de la situation dans les années 90 », précise-t-il. En France, Zakaria a fait un bon bout de chemin, allant jusqu’à la fac où il a étudié pendant deux années, le photovoltaïque justement.

Après quelques expériences ça et là, l’idée de rentrer au pays germe dans sa tête et quand il découvre par le biais de ses proches qu’il peut même voir son projet financé presque entièrement, il fonce tête baissée. Les tracasseries inhérentes à tout projet d’investissement mises à part, le bonhomme semble pleinement satisfait et reconnaissant.

« À ma connaissance, aucun autre pays n’offre de telles facilités aux jeunes pour lever des fonds afin de créer une entreprise dans des domaines aussi variés. Concernant le système de financement Ansej, c’est un outil qui favorise l’égalité des chances entrepreneuriales en permettant au jeune disposant de compétence, d’idées et pas forcément de ressources financières, de se lancer dans le monde de l’entreprise. Dans mon parcours de création de l’entreprise et de financement (ANSEJ Koléa / banque BNA de Koléa ), je n’ai pas été confronté à des difficultés particulières. Bien au contraire, l’accompagnement apporté par les personnes en charge de mon dossier était efficace et professionnel. Des équipes jeunes et dynamiques ont su m’orienter et me conseiller à chaque nouvelle étape ».

C’est à peine s’il se plaint du « nombre important de justificatifs à fournir de manière redondante ».  Mais dans l’ensemble, il est surtout fier de ce qu’il a pu réaliser : « J’ai gagné la possibilité de réaliser un projet entrepreneurial et personnel en créant une entreprise solidaire et sociale dans le domaine des énergies renouvelables pour participer à mon échelle à la promotion d’une nouvelle manière de consommer l’énergie plus respectueuse de l’environnement ».

Un choix délibéré

Précision utile, Adil, Zakaria et beaucoup d’autres ne font pas partie de ceux qui sont désignés en France par le vocable réducteur de « sans-papiers ». Autrement dit, leur situation était tout ce qu’il y a de plus régulier, et les raisons de leur retour sont donc à chercher ailleurs.

Une certaine précarité à l’étranger ? Une stigmatisation du fait des événements de ces dernières années en Europe et la montée des courants xénophobes dans certains pays ? Zakaria et Adel assurent qu’il n’en fut rien, que leur retour est d’abord motivé par leur attachement au pays et répond seulement à un fort désir de faire quelque chose sur la terre de leurs ancêtres qui, en plus, offre bien des opportunités.

« Je rentrais très souvent en Algérie avant d’entreprendre ici. Je me suis toujours senti comme à la maison parce que je ne me suis jamais coupé de mon patrimoine et de mes origines en faisant notamment partie d’une association de musique andalouse, les Airs Andalous de Paris », dit le premier, vite conforté par le second : « J’étais employé dans la grande distribution spécialisée et j’ai organisé la rupture conventionnelle de mon contrat pour pouvoir partir ».

Pour certains, le retour aux sources est même la motivation première. Comme Messaouda, en France depuis ses cinq ans, et qui a décidé à 47 ans de tout laisser tomber pour retrouver le pays de son enfance.

« Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours eu la sensation d’avoir été déracinée, et mon rêve était de revenir retrouver mes origines et mon pays, mais pas pour ne rien faire. Il me fallait ‘la bonne idée’, apporter quelque chose dans mes bagages ».

Et dans sa valise, Messaouda a mis quelque chose de plutôt original. Sa passion pour la plongée sous-marine qu’elle entend partager avec ses compatriotes en ouvrant une école à Tenès, dans la wilaya de Chlef : la Maison du plongeur.

Comme Adil et Zakaria, elle était plutôt bien installée de l’autre côté de la Méditerranée. À Nice, elle  était responsable au service des ressources humaines d’un groupe automobile.

« Je ne me suis jamais sentie aussi libre »

Tout arrêter soudainement pour repartir de zéro, de surcroît dans un pays qu’on ne connaît que trop peu, fut-il celui de ses origines, c’est assurément une décision lourde qui nécessite beaucoup de motivation et surtout des arguments solides pour dissiper les appréhensions des proches.

« Au début, ils ne comprenaient pas, ils avaient peur pour moi surtout en tant que femme, que je ne sois pas libre, etc. Mais je ne me suis jamais sentie aussi libre, et maintenant ils le comprennent et m’encouragent », témoigne Messaouda.

Adil aussi parle de « ces inquiétudes, qui sont normales, liées aux différentes incertitudes ou encore à l’environnement de travail », mais souligne la fierté de ses proches en apprenant son projet : « Ils étaient fiers de me voir partir travailler dans mon pays d’origine et sur un défi aussi important que l’alimentation saine, dans un moment où on en a plus que jamais besoin ».

Mais comment cela se passe pour eux une fois en Algérie ? Comment les gens en Algérie réagissent-ils quand ils apprennent leur histoire ? De l’admiration, de l’incompréhension, du rejet ?

« Il est vrai que quand on vient en Algérie dans l’intention d’y construire un projet, les choses changent. On rencontre parfois un peu de rejet de la part de certaines personnes qui pensent qu’on vient pour ‘manger leur pain’. Heureusement que c’est globalement minoritaire, mais l’intégration n’est pas forcément facile, surtout quand on ne maîtrise pas l’arabe pas exemple », reconnaît Adil.

Même dans un pays que l’on considère comme le sien, des efforts pour réussir son intégration sont nécessaires. « Au début, je faisais des aller-retour réguliers, histoire de me ressourcer et revoir ma fille qui fait ses études et qui est restée en France. Il m’a fallu un temps d’adaptation car les mœurs et coutumes sont différentes entre les deux côtés de la Méditerranée », confirme Messaouda.

Sur le plan professionnel, les choses semblent aller plutôt bien pour elle. Aujourd’hui, elle forme les scaphandriers pour les fermes aquacoles, la wilaya de Chlef étant le leader national dans le domaine, en plus de cours de plongée de loisir dispensés à des clients venant d’autres régions.

 Quant à Adil, il voit augmenter progressivement la capacité de production de son unité en attendant la signature d’autres accords de distribution. « Notre première gamme, Jeriz, est pour l’instant composée de galettes de riz complet qu’on peut manger aussi bien nature, qu’avec des recettes sucrées ou salées », dit-il fièrement.

En plus des recettes de Adil ou des techniques de plongée de Messaouda, d’autre idées ont accompagné les nombreux jeunes expatriés revenus tenter leur chance au pays. Djamel propose par le biais de son entreprise sise à Chéraga de nouveaux enduits de façade et autres produits d’isolation  thermique, Rafik Bouhelal un procédé de décalaminage automobile, Ziad, à Corso (Boumerdès), confectionne des flexibles hydrauliques sur chantier et Hayat, installée à Zéralda, donne un coup de jeune à de vieilles recettes traditionnelles de confiture.

 Tous sont confrontés aux mêmes embûches et partagent le même esprit de pionniers, la même ambition de prouver que la réussite est partout  possible. Leur aventure mérite au moins d’être connue…

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