CONTRIBUTION. Dans un geste qui redessine sa politique d’investissement, l’Algérie vient d’ouvrir une nouvelle étape majeure de son économie. Cette réforme, spécifiquement conçue pour le secteur minier, traduit une orientation stratégique renouvelée visant à renforcer l’attractivité internationale et à transformer un potentiel géologique exceptionnel en réalité industrielle.
Le 16 juin 2025, le Parlement algérien a adopté une loi marquant un tournant stratégique dans la politique économique du pays. Désormais, les entreprises étrangères peuvent détenir jusqu’à 80 % des parts dans les projets miniers. Ce changement envoie un signal fort en faveur de l’ouverture du secteur aux investissements internationaux.
D’après un communiqué du Ministère de l’Énergie et des Mines, ce texte — issu de trois années de concertation — vise à « renforcer l’attractivité du secteur, améliorer le climat des affaires et diversifier les sources de revenus nationaux hors hydrocarbures ». L’enjeu est considérable : exploiter pleinement le potentiel d’un secteur riche en ressources (phosphate, fer, autres minerais), mais dont la contribution au PIB restait jusqu’à présent limitée à environ 1 %.
La règle 80/20 : un assouplissement stratégique pour attirer les capitaux
La décision d’extraire le secteur minier de la contrainte historique dite « 51/49 » constitue le signal le plus fort envoyé par l’Algérie à l’industrie mondiale. Cet assouplissement reflète une adaptation du législateur aux exigences uniques des projets miniers, connus pour leur très forte intensité capitalistique, leurs risques élevés et leurs cycles de retour sur investissement particulièrement longs. Cela suggère que le législateur ait considéré qu’un partage du risque plus favorable à l’investisseur est nécessaire pour attirer les capitaux et les technologies de pointe nécessaires au développement des vastes ressources du pays.
Pour garantir les intérêts nationaux, le texte introduit des garde-fous. Ainsi, la participation de l’entreprise publique ne pourra être diluée en cas d’augmentation de capital, sauf si celle-ci en décide autrement. La loi offre également une certaine flexibilité, permettant aux partenaires de convenir d’une participation nationale supérieure à 20 %, si une telle augmentation est économiquement justifiée pour les deux parties.
Dans une volonté d’attirer les investisseurs et d’accélérer le développement des projets, la nouvelle loi simplifie considérablement le cadre opérationnel. Les entreprises partenaires se verront octroyer un permis d’exploitation minière unique, valable pour une durée de 30 ans, et couvrant à la fois les phases d’exploration et d’extraction. Cette disposition lève une rigidité administrative qui, de l’avis des praticiens, complexifiait et ralentissait la transition cruciale de la découverte à la production.
La législation distingue également les zones à explorer. Les périmètres encore inexplorés pourront être attribués à des sociétés étrangères disposant de technologies de pointe pour mener des campagnes d’exploration. Cette phase pourra précéder la création d’une co-entreprise de droit algérien. En revanche, les zones où des découvertes de minerais ont déjà été confirmées ne seront pas concernées par cette mesure, restant ainsi dans un cadre de développement plus maîtrisé par l’État.
Outre ces aspects capitalistiques et opérationnels, la nouvelle loi minière promet une refonte des procédures administratives. Elle prévoit une réduction des délais pour l’octroi des autorisations et des titres miniers, une plus grande transparence dans l’attribution des concessions et un accès facilité à l’information géologique, des mesures longtemps attendues par les opérateurs du secteur.
Une flexibilité calculée dans le cadre des investissements étrangers
Si le secteur minier bénéficie désormais d’un régime d’exception, il est essentiel de le situer dans le cadre plus large du filtrage des investissements directs étrangers (IDE) en Algérie. La législation a évolué d’un contrôle transversal vers une approche plus ciblée, reposant sur un « mécanisme à double détente » : une liste de secteurs jugés stratégiques et, au sein de ceux-ci, une liste d’activités spécifiques soumises au régime restrictif (participation étrangère limitée à 49 % et autorisation préalable du gouvernement).
Le secteur minier, bien que stratégique, jouit donc d’un régime dérogatoire qui illustre la volonté de l’État de moduler sa politique en fonction des spécificités de chaque industrie. Cette flexibilité contraste avec le secteur de l’amont énergétique (hydrocarbures), qui reste soumis à des règles plus strictes, incluant notamment un droit de préemption au profit de la compagnie nationale Sonatrach.
Néanmoins, cette ouverture ne saurait être perçue comme une intention de libéralisation généralisée, mais doit plutôt être comprise comme une approche différenciée. En effet, plusieurs secteurs réglementés — tels que les télécommunications, la finance, ou encore d’autres domaines stratégiques — demeurent soumis à un encadrement étatique rigoureux, incluant des restrictions à l’investissement étranger ou encore des exigences d’agrément préalable. Ainsi, l’assouplissement observé dans le secteur minier s’inscrit davantage dans une logique d’attractivité ciblée et sectorielle.
Une stratégie distincte sur l’échiquier minier africain
La démarche algérienne peut être mise en perspective à l’aune des réformes minières sur le continent, qui révèlent des orientations divergentes.
D’un côté, plusieurs pays renforcent le contrôle étatique et local sur les ressources. Le code minier du Mali de 2023, par exemple, permet à l’État de détenir jusqu’à 30 % des parts (dont 10 % gratuits dits « free carried interests ») et alloue 5 % supplémentaires au secteur privé national. De même, la RDC a, depuis 2018, porté la participation gratuite de l’État à 10 % et exige qu’au moins 10 % du capital des sociétés minières soient détenus par des citoyens congolais.
De l’autre côté, des pays comme la Zambie s’efforcent d’attirer les investisseurs en offrant une plus grande stabilité fiscale. En autorisant jusqu’à 80 % de participation étrangère, l’Algérie s’inscrit clairement dans ce second courant, mais de manière encore plus affirmée. Elle se distingue par l’une des offres les plus ouvertes du continent, pariant que l’attraction massive de capital et d’expertise est le levier le plus rapide pour valoriser son potentiel.
Sécurité juridique et arbitrage : leviers essentiels de l’attractivité minière
La transformation de cette ambition législative en réalité économique requiert une appréhension fine et approfondie de la psychologie de l’investisseur minier. Ces acteurs maîtrisent le risque opérationnel (géologie, technologie), mais ils redoutent par-dessus tout le risque souverain : celui que les règles du jeu changent, ou qu’un différend ne puisse être réglé de manière neutre et impartiale. Face à des investissements se chiffrant en milliards sur des décennies, un mécanisme de règlement des différends fiable agit comme une véritable « police d’assurance » pour l’investisseur et ses prêteurs.
Cette sécurité se matérialise par des clauses d’arbitrage international sophistiquées. Sur ce point, l’Algérie dispose d’un élément juridique structurant : son adhésion de longue date à la Convention de New York de 1958, qui assure la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales internationales sur son territoire. Cet ancrage dans l’ordre juridique mondial, volontairement maintenu, constitue la véritable pierre angulaire de l’édifice de la confiance. La combinaison d’un cadre juridique protecteur et d’une offre de participation considérée comme l’une des plus attractives du continent, vise à positionner l’Algérie comme une destination attractive pour les investissements directs étrangers dans le secteur minier.
*Arbitre Internationale et Consultante Experte en Politiques Énergétiques et Environnementales, Almatura & Partners
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