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« L’Algérie est en période de déficit des réserves d’eau vitale »

« L’Algérie est en période de déficit des réserves d’eau vitale »

Akli Moussouni, expert agricole.

L’expert agricole, Akli Moussouni revient dans cet entretien sur le déficit hydrique dont souffre l’Algérie et ses répercussions tant sur la production agricole que sur le quotidien des citoyens.

Depuis plusieurs mois, la distribution de l’eau est rationnée à Alger. À l’intérieur du pays, plusieurs wilayas sont touchées par le manque d’eau.

L’Algérie est-elle entrée en situation de « sécheresse agricole » en raison d’une pluviométrie insuffisante ?

On est donc, non seulement en période de sécheresse, mais aussi en déficit des réserves d’eau vitale. Plus que cela, la plupart des nappes ont été diminuées et une bonne partie du sol a été infectée par le sel.

Comment en est-on arrivé là puisque des périodes de sécheresses se sont succédé depuis plusieurs années sans pour autant que les mesures qui s’imposent soient prises ?

Une question qui interpelle les dizaines de ministres et autres responsables de ces secteurs. À retenir que durant la période de 1950 – 1980 (30 ans), il y eut abondance des pluies, rarement en dessous de 400 mm par année au nord du pays.

S’ensuivit une période de déficit hydrique de 1981 – 2010 où 2 années sur 3 ont été déficitaires en eau de pluies. Au cours de cette dernière décennie, des périodes de sécheresses ont succédé à des inondations terribles, causées par un changement climatique perceptible, catastrophiques par rapport à un secteur agricole très fragile et un territoire dont l’aménagement a été totalement oublié dans les programmes de développement engagés jusqu’alors.

Le stress hydrique et son impact sur le rendement agricole constitue-t-il une menace sur la sécurité alimentaire de l’Algérie ? 

Dans une mono-économie comme la nôtre, la seule menace sur la sécurité alimentaire ne peut être qu’un autre choc pétrolier qui va entraîner  la dégringolade des ressources en devises.

C’est d’ailleurs une menace pour tous les secteurs économiques sans exception, dès lors que leur fonctionnement en dépend intimement par rapport à l’interdépendance entre ces secteurs.

Cette interdépendance entre les secteurs économiques aurait pu servir de mécanisme d’encadrement des chaînes de valeurs. C’est pour cela que toute difficulté dans un secteur se répercute en boule de neige sur d’autres secteurs quand bien même de vocations différentes.

L’impact sur certains produits agricoles a commencé à se faire sentir depuis quelque temps, avec l’inflation des prix des fruits et légumes.

Par rapport aux produits de large consommation, la production nationale ne couvre qu’à peine un mois à un mois et demi sur 12 de la consommation des ménages, avec ou sans les pluies.

Malheureusement on a toujours maquillé avec les deniers de l’État l’échec des programmes engagés. L’erreur monumentale est d’avoir misé sur le « fellah » comme centre d’intérêt des  politiques agricoles dans l’ignorance de la question névralgique de la sécurité alimentaire, au lieu de mettre en place des mécanismes de développement et de valorisation du potentiel national à travers des organisations autour des productions.

Quelles sont les quantités d’eau que requièrent les différentes cultures ?

On n’est pas dans un contexte agricole normalisé pour pouvoir évaluer les volumes d’eau nécessaires pour l’irrigation à défaut de connaître la nature des sols à irriguer, ni les zones d’implantation de ces cultures, encore moins les surfaces cultivées.

C’est justement cette situation d’opacité totale qui ne permet pas aux pouvoirs publics d’exposer avec précision les données de cette agriculture.

C’est pour cela aussi qu’on n’arrive pas à contenir la fluctuation des prix, ni le devenir des importations des intrants. C’est pour cela aussi que la spéculation a touché tous les circuits d’approvisionnement et de distribution des produits subventionnés, en particulier les céréales et l’alimentation animale.

« L’évapotranspiration dépasse largement le volume des eaux de pluies«

Par rapport aux besoins en eau des cultures, les économistes passent par le concept de « l’eau virtuelle ». C’est-à-dire le volume d’eau qui doit servir directement et indirectement pour générer un produit agricole ou autre.

Dans le cas de l’alimentation,  il faut retenir par exemple que 200 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 verre de lait, 190 litres pour produire 1 verre de jus de fruits, 135 litres pour produire 1 œuf, 40 litres pour produire une tranche de pain, 50 litres pour produire une patate, 1500 litres pour produire 1 Kg de viande…etc.

Dans notre pays, l’évapotranspiration (l’eau qui s’évapore du sol et des plantes) dépasse largement le volume des eaux de pluies.

À noter que dans le monde, l’agriculture compte pour 92 % de cette consommation directe de l’eau, suivie de l’industrie pour 4,4 % et l’eau domestique pour 3,6 %. L’eau d’irrigation provient essentiellement des pluies à 74 %, des forages à 11 % et du recyclage des eaux usées à 15 %.

L’Algérie reçoit annuellement sous formes d’averses environ 20 milliards de m3, elle exploite environ 7 milliards de m3 et elle importe à travers les produits environ 15 milliards de m3.

Pour l’Algérie, en tant que pays semi-aride, la meilleure façon de protéger ses ressources hydriques est de les exploiter rationnellement, mais aussi de cultiver les espèces les moins exigeantes en eau pour la couverture du marché national et à l’exportation et d’importer les produits moins consommateurs d’eau.  Il s’agit d’un enjeu de taille dont dépend la souveraineté alimentaire du pays.

Quelles doivent être les mesures d’urgence pour réduire les effets de cette situation sur le quotidien des populations et la production agricole ?

Malheureusement, l’Algérie doit encore une fois faire appel à sa cagnotte pour alléger les contraintes liées à cette autre calamité (sécheresse) pour laquelle on a rien fait.

Ça ne sert à rien d’engager à coup de milliards comme toujours des actions d’urgence contre- productives ; par contre, il serait plus judicieux d’engager immédiatement les réformes qui s’imposent, à commencer par la reconfiguration du statut de l’administration et des entreprises publiques en relation directe avec le secteur agricole.

Il faut retenir qu’il revient aux offices concernés en l’occurrence l’OAIC, l’ONAB, Agrodiv, l’ONIL ainsi que leurs annexes et l’industrie agroalimentaire en général de s’impliquer dans des chaînes de valeur dont ils doivent faire partie.

À présent, en tant qu’entités exclusivement commerciales, déconnectées de l’amont, elles ne peuvent qu’incarner le sous-développement de ce secteur de par leur fonctionnement pour l’essentiel avec les intrants d’importations.

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