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« Le film « La bataille d’Alger » a été quasiment interdit en France jusqu’en 2004 »

« Le film “La bataille d’Alger” a été quasiment interdit en France jusqu’en 2004 »

 

Le documentaire « La bataille d’Alger, un film dans l’Histoire » de l’algérien Malek Bensmail est en compétition officielle au 11ème Festival international d’Oran du film arabe qui se déroule jusqu’au 31 juillet. Le documentaire revient sur le célèbre long métrage de l’italien Gillo Pontecorvo, sorti en 1965, primé du Lion d’or au Festival de Venise en 1966 et retiré des salles en France. Le documentaire de Malek Bensmai, basé sur des témoignages et des archives, a été projeté, en avant première mondiale, au Festival du documentaire d’Amsterdam.

Le documentaire a ensuite été projeté en Afrique du Sud, en Tunisie, en Éthiopie, au Brésil, au Maroc, en Suède et en France. Il sera bientôt dans plusieurs festivals en Croatie et en Allemagne notamment. Le film a été projeté, en mai 2018 à Alger, une avant-première nationale. Entretien avec Malek Bensmail.

 

Le réalisateur Malek Bensmail lors d’un débat à Oran


 

« La bataille d’Alger, un film dans l’Histoire » est le premier documentaire consacré au film de Gillo Pontocorvo. Pourquoi vous vous êtes intéressé à ce long métrage qui a marqué plusieurs générations?

J’ai fait des films sur la politique, sur l’école, sur la psychiatrie et sur la presse. Là, je reviens sur les traces du cinéma et sur ce qui m’a bercé et donné envie de faire du cinéma.

« La bataille d’Alger » fait partie de cela. C’est un film-clef. Il m’a marqué très tôt. A partir de l’âge de 4 à 5 ans, on voyait le film à la télévision tous les 1er novembre (date-anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale) et tous les 5 juillet, fête d’indépendance. Je connaissais les dialogues par cœur. Dans les cours de récréation à l’école, je jouais des scènes du film avec les copains. Certains jouaient les paras français, les autres les combattants algériens, etc.

Donc, ce film a bercé toute une génération post-indépendance. J’avais envie de faire un film fort politiquement qui revient sur le cinéma comme une arme et sur le cinéma comme un mouvement politique qui accompagne une Révolution. Je voulais dire au monde que quelques parts, il y a encore des guerres, des colonisations et des mouvements impérialistes. Malheureusement, le cinéma, aujourd’hui, ne joue plus ce rôle là.

Vous parlez du cinéma engagé ?

Oui. Le cinéma engagé se perd de plus en plus. Il est important de rappeler les mouvements nés dans les années 1970 grâce au film « La bataille d’Alger » qui dénonçait le colonialisme, l’impérialisme et les tortures.

« La bataille d’Alger » était un vrai film d’action qu’on regarde avec plaisir. Ce n’est pas un film ennuyeux. Au même moment, le film porte un message fabuleux.

 

Affiche de La Bataille d’Alger, un film dans l’Histoire.


 

Avez-vous rencontré Yacef Saâdi qui est un personnage clef dans le film et dans l’histoire réelle de « la bataille d’Alger » ?

La rencontre avec Yacef Saâdi n’était pas facile au début. Je ne voulais surtout pas entrer dans les questions mémorielles pour savoir qui a fait quoi. Je l’ai rassuré en disant que ce n’est pas du tout ma démarche.

Nous avons discuté pendant deux heures de ce qu’il pensait des soldats qu’il avait en face de lui. Il a parlé de Bigeard, de Massu et de Trinquier (des officiers parachutistes engagés dans la bataille d’Alger en 1957). Il me faisait de vrais portraits de ces personnages. Cette rencontre, non filmée, était importante.

Après, j’ai eu carte blanche. Il a vu la version finale du documentaire et il n’a rien demandé à retirer. J’appréhendais quelque peu, mais les choses se sont bien passées.

Pourquoi Yacef Saâdi n’est pas filmé dans le documentaire ?

J’ai récupéré des archives d’entretiens faits par la télévision algérienne. Cette matière m’a suffit. Yacef Saâdi est un homme âgé et fatigué. Sa parole n’est plus vive. Il était difficile de le faire intervenir. Si je n’avais pas eu les archives, j’aurais probablement insisté pour avoir l’entretien filmé avec lui.

Avez vous pu retrouver certains techniciens qui ont travaillé avec Gilo Pentocorvo. Des techniciens quelque peu oubliés en Algérie?

Le principe de départ était de raconter la genèse du film. Je voulais également rendre hommage à tous les techniciens anonymes. C’est mon principe de cinéma, c’est à dire, montrer ceux qui travaillent dans l’ombre.

C’est important parce que souvent, on ne montre que les personnages clefs d’un pouvoir, d’un film, etc. On a parlé que de Pontecorvo et de Yacef Sâadi alors que toute une équipe a travaillé sur le film.

Certains sortaient de l’ex-ORTF. Je peux citer Ali Marok, les frères Bouksani, Hamid Osmani, etc. Il était fabuleux de les retrouver. Eux-mêmes étaient très intéressés de témoigner. On leur a jamais posé de questions sur leur travail dans le film « La bataille d’Alger ». Il s’agit d’opérateurs qui ont appris le cinéma avec Pontecorvo et l’équipe italienne.

Il faut dire que « La bataille d’Alger » a été le film formateur pour toute une génération d’opérateurs et d’assistants. Mohamed Zinet était premier assistant dans ce film, par exemple.

Avez vous discuté avec la famille Pontecorvo pour les besoins du film ?

Oui, j’ai rencontré Picci Pontecorvo, son épouse, et ses enfants à Rome. J’ai eu une discussion avec le réalisateur de la seconde équipe. Grâce à la famille de Pontecorvo, qui a été d’une générosité extraordinaire, on a pu accéder à de très beaux témoignages, à des petites images Super 8 que le réalisateur lui même avait filmé et à un fonds documentaire exceptionnel.

Pourquoi avez choisi de ne pas reprendre des extraits du film « La Bataille d’Alger » ?

J’en ai parlé avec Yacef Saâdi. En discutant avec mes producteurs, je me suis dit, pourquoi engager des sous en achetant des extraits, qui coûtent très cher. Je ne voulais pas travailler sur des extraits pour ne pas casser mon documentaire. Le film de Pontecorvo est tellement fort que chaque extrait pouvait happer le spectateur, ce qui mettra le témoignage au second plan. J’ai décidé de travailler sur la photo. Les seules images animées dans le documentaire sont celles des archives de la vraie bataille d’Alger de 1957. Je permettais donc une combinaison de la fiction, avec des images fixes, et de l’Histoire réelle, avec des images animées. Je voulais qu’il y ait cette confusion de la vraie bataille d’Alger avec la fiction de Pontecorvo.

 

Scène du documentaire La Bataille d’Alger, un film dans l’histoire.


 

Primé au Festival de Venise, le film n’a pas été projeté en France. Au festival, la délégation française avait protesté contre le prix attribué au long métrage de Pontecorvo. « La bataille d’Alger » a-t-il été censuré en France ?

Souvent, on parle de censure. Je pense qu’il faut être juste surtout dans le cadre d’un documentaire. En France, le visa d’exploitation a été donné pour « La bataille d’Alger », mais les programmateurs de salles ont eu peur des fascistes et des partisans de l’OAS. Donc, il y a eu de l’autocensure. Une ou deux salles ont présenté le film dans le nord de la France, là où j’ai filmé. « Le Louxor », une salle de Bellevielle, a programmé le film avant de recevoir des menaces. « La bataille d’Alger » a été quasiment interdit en France jusqu’en 2004. Avant, en 1977, le film a été ressorti, mais il y a eu également des problèmes. En 1981, la salle qui a projeté le film a été saccagée.

Justement, que reproche-t-on à « La bataille d’Alger » en France ?

Le film a été considéré par les mouvements fascistes et extrémistes comme « anti français ». Ils n’ont pas digéré l’indépendance de l’Algérie. C’est un film qui donne raison au FLN. Il est profondément anti colonialiste. Jusqu’à aujourd’hui, le film « La bataille d’Alger » pose problème en France.

Et pour des mouvements révolutionnaires comme le Black Panther Party, aux États Unis, le film est considéré comme « un training movie »…

C’est extraordinaire. C’est là où j’ai appris des choses en faisant ce film. J’ai rencontré un membre des Black Panthers et un officier de l’armée américaine qui m’ont expliqué comment ils ont vu le film et comment ils l’enseignent à leurs soldats ou à leurs membres.

Les Black Panthers se sont inspirés du film pour « encadrer » Harlem à New York, comme la Casbah à Alger. « La bataille d’Alger » est dans la dualité du bien et du mal, c’est à dire entre ceux qui, à juste titre, veulent se défendre, et ceux qui torturent et qui veulent avoir la main mise. Comme c’est un film bien fait avec des champs-contre champs entre les bons et les mauvais, tout les mouvements s’y retrouvent. En même temps, le film pose une question de morale. J’en ai parlé à Mme Pontecorvo. Elle m’a dit que quand on fait un film, il nous appartient plus. Alors que « La bataille d’Alger » est censé dénoncer les mouvements colonialistes, il est pris en exemple par ceux qui mènent les guerre en Irak et en Afghanistan.

C’est Paradoxal. Le film a été projeté et étudié au Pentagone pour décortiquer les actions contre-guerillas…

Idem pour les Black Panthers qui voulaient utiliser le film. C’était d’ailleurs une pièce à conviction chez le FBI. Des copies de « La bataille d’Alger » ont été présentées au juge. L’accusation était que les Black Panthers voulaient créer un mouvement de guerillas en plein New York en s’inspirant du film.

Et là, un distributeur américain a décidé d’acheter votre documentaire.

Je pense qu’il doit savoir que c’est une question majeure aujourd’hui. « La bataille d’Alger » reste toujours d’actualité avec tout ce qui se passe en Irak, en Afghanistan et tout ce que l’on sait autour de Daech. Les distributeurs prennent surtout des films liés à une actualité claire.

Dans le documentaire, vous avez évoqué aussi le contexte historique algérien d’après l’indépendance…

Parce que le film « La bataille d’Alger » est toujours en prise avec l’Histoire contemporaine dans laquelle il s’inscrit. Durant les préparatifs du film, le colonel Boumediène, alors ministre de la Défense, utilisait comme un leurre l’autorisation de faire sortir les chars à la place du 1 Mai à Alger. A ce moment là, il donnait l’ordre de tout quadriller. Le perchman est empêché d’entrer dans le lieu de tournage parce que le coup d’État était en cours. J’ai retrouvé des jeunes communistes et artistes comme Benyahia qui ont été embarqués alors qu’ils allaient être recrutés pour jouer le rôle de jeunes militants algériens torturés par l’armée coloniale française. Ils ont été envoyés dans les geôles de la Sécurité militaire pour être torturés. Ils sont passés du rêve au cauchemar. C’était terrible pour eux. En même temps, c’est cela le cinéma.

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