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Lutte anti-covid, retour des Algériens : entretien avec le Pr Belhocine

Lutte anti-covid, retour des Algériens : entretien avec le Pr Belhocine

Dans cet entretien, le Pr Mohamed Belhocine, éminent épidémiologiste et membre du comité scientifique, parle de la lutte anti-covid en Algérie, des variants, de la vaccination, du respect des mesures barrières, fait des propositions pour le retour des Algériens bloqués à l’étranger…

On est à la veille de l’aïd-el-fitr. Quelles sont les recommandations du comité scientifique chargé du suivi de l’épidémie de covid-19 ?

Le comité scientifique a d’abord regardé le contexte général. C’est un contexte qui n’est pas totalement favorable puisque nous avons eu une augmentation des cas et une hausse des décès.

On a eu aussi la détection des variants, même si pour certains ils sont là depuis déjà quelques mois. Le variant britannique en particulier, le variant nigérian et nous avons aussi le variant indien.

Comme ces variants sont connus comme étant des virus qui circulent plus rapidement et contaminent plus vite, nous avons donc tous les ingrédients d’une circulation et d’une propagation rapide de l’épidémie si on ne respecte pas un minimum de mesures de protection et de prévention.

A partir de ces prémices-là, le comité scientifique a jugé utile de reprendre les recommandations qui avaient été édictées déjà l’année dernière par rapport à la célébration des fêtes de l’aïd.

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« Donc le mieux, c’est de rester éloignés les uns des autre »

Quelles sont ces recommandations ?

La première des recommandations était d’éviter les déplacements, en particulier les déplacements interwilayas mais aussi les déplacements tout court.

Essayer d’éviter aussi autant que faire se peut les grands rassemblements, en particulier familiaux et, dans le cas où on se retrouve, éviter les embrassades et essayer de saluer les gens de loin tout en gardant le port du masque et une hygiène des mains très stricte pour couper toute possibilité de transmission du virus d’un individu à l’autre.

Parce qu’on ne sait pas quand on est contagieux et si l’autre personne avec laquelle on interagit n’est pas contagieuse de son côté.

Donc le mieux, c’est de rester éloignés les uns des autres et ainsi passer des fêtes sans peur de lendemains malheureux.

On a vu durant tout le mois de Ramadan qu’il y a eu des déplacements et un relâchement. En fait, la mesure du port du masque n’est pas du tout respectée. Avez-vous abordé ce dossier au niveau du comité scientifique ?

Nous ne faisons que déplorer. On l’a dit plusieurs fois. Tous mes collègues qui interviennent à travers les médias n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme sur le non-respect de la majorité des mesures de prévention que sont le port du masque, l’hygiène des mains et la distanciation physique.

Après, il faut aussi dire que la pression qu’a subie la population pendant une année et demi de confinement/déconfinement doit avoir créé une certaine lassitude et je pense que d’une part il y a la responsabilité individuelle, il faut faire appel à la conscience des gens et à les informer que ces variants sont plus dangereux car ils se transmettent beaucoup plus vite que le virus d’origine.

D’un autre côté, il faut faire appel aussi au fait que les autorités chargées du respect du protocole sanitaire dans les différents secteurs soient rappelées à leurs responsabilités.

Un directeur d’établissement scolaire ou administratif doit veiller à ce qu’au sein de son établissement, le respect des protocoles qui ont été édictés soit effectif.

C’est une responsabilité individuelle et collective, on ne peut pas y échapper et c’est de l’effort des uns et des autres qu’on pourrait tirer un bénéfice dans cette situation difficile.

Un autre point. Je pense qu’à chaque fois que le gouvernement a pris des mesure de déconfinement, les gens ont pris cela pour une victoire contre la maladie alors que ce n’est pas le cas.

L’allègement des mesures de confinement ne signifie pas que l’épidémie de covid est terminée. On a juste essayé de faciliter la vie sociale et économique des gens en prenant ces mesures en sachant bien qu’elles étaient porteuses de risque.

La seule manière de faire baisser ce risque, c’est notre attitude individuelle et les efforts collectifs dans les différents départements d’activité de la société.

L’Algérie enregistre la circulation de trois variants alors que les frontières sont fermées. Comment cela est-il possible ?

Les frontières ne sont pas totalement fermées. Il y a des travailleurs étrangers dans le secteur pétrolier, dans le bâtiment, etc. Ils viennent dans le cadre des contrats que l’Algérie a conclus avec des entreprises étrangères.

Ces travailleurs, pour les besoins de leur travail ou pour des raisons personnelles sont appelés à se déplacer. Il se trouve que c’est dans une situation pareille qu’on a malheureusement eu à déplorer l’arrivée de quelqu’un qui était porteur du variant indien.

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« L’idéal c’est de rendre claire la règle du jeu du point d’entrée en Algérie » 

Pourtant, il y a des mesures à respecter au niveau des aéroports lorsque ces travailleurs arrivent…

Je pense que l’idéal c’est de rendre claire la règle du jeu du point d’entrée en Algérie. Quelles sont les règles au point d’entrée ? Il y a une PCR négative de moins de 72 heures et un confinement pendant une période donnée.

Les experts peuvent décider si c’est sept jours, dix jours ou quatorze jours en fonction de la situation épidémique et de beaucoup d’autres paramètres.

Au terme de ce confinement, refaire un test antigénique ou PCR. Il faut un test à l’arrivée qui soit récent, ensuite un confinement d’une certaine durée qui soit la même pour tout le monde, et en fin de confinement un autre test pour vérifier que pendant le confinement on n’a pas développé une maladie qui n’était pas apparente à l’arrivée.

A ce moment-là, on est à peu près sûrs que la personne qui va être libérée n’est pas porteuse de danger pour la communauté algérienne.

Que dit le professeur Belhocine sur le variant indien qui a été détecté en Algérie ?

Le variant indien, on en sait pas beaucoup du point de vue de son expression clinique. Par contre, on sait que c’est ce qu’on appelle un double mutant, qu’il a muté une première fois puis une deuxième fois.

On sait qu’il a des capacités de transmission importantes, comme le variant britannique. Du point de vue de ce qu’il donne sur le plan clinique et s’il provoque une mortalité plus grande ou s’il demande des soins intensifs plus importants, pour l’instant les données sont parcellaires et fragmentaires. On ne peut pas encore se faire une idée exacte.

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« Je ne souhaite pas que cela arrive dans notre pays »

Le président de la République a appelé au renforcement des enquêtes épidémiologiques…

Les enquêtes épidémiologiques se font, effectivement. Il a demandé à ce que sur Alger, parce que c’est là où il y a eu un rebond, que les enquêtes se fassent. Le nombre de cas est en train de se stabiliser. La pression sur les hôpitaux n’est pas aussi importante qu’on ne l’aurait craint et j’espère que cela va rester comme ça et que ça va baisser.

Mais la vigilance doit être de rigueur dans tous les cas parce que l’Inde considérait qu’elle avait vaincu le covid et puis vous avez vu maintenant la situation catastrophique dans laquelle ils se sont retrouvés.

Je ne souhaite pas que cela arrive dans notre pays. Je souhaite que la vigilance à la fois des citoyens, des services de santé et de la communauté en général soit maintenue à un niveau élevée pour éviter qu’on tombe dans une situation épidémique qui devient difficile à gérer et qui oblige à nouveau à des confinements stricts avec toutes les conséquences sur la vie économique et sociale du pays.

La campagne de vaccination est en cours en Algérie depuis le 30 janvier dernier. Comment trouvez-vous son déroulement ?

C’est une question qui a été posée souvent. De manière très simple, c’est une campagne qui va plus lentement que tout le monde aurait souhaité.

Cela n’est malheureusement pas nécessairement dû à la prédisposition d’aller plus vite mais les pénuries mondiales de vaccins et la difficulté d’accès à un approvisionnement important d’un seul coup font que la campagne va au gré des approvisionnements et des polémiques, parfois réelles, parfois surfaites liées aux produits qui sont disponibles chez nous.

Vous voulez parler du vaccin AstraZeneca…

Oui, je pense que le vaccin AstraZeneca a fait l’objet d’une polémique dont certains éléments sont scientifiques. Mais dont beaucoup de bruit a été fait autour de ce vaccin tant à faire discréditer un produit alors qu’il n’a pas lieu de le faire surtout dans une situation pandémique comme celle-là où il y a pénurie d’autres ressources (vaccins).

« La fermeture des frontières a très probablement joué un rôle dans cette stabilité »

Pourriez-vous nous fournir une lecture de la situation épidémiologique dans le monde ?

L’allègement ou le non-allègement des mesures de confinement dépendent aussi de paramètres qui ne sont pas nécessairement scientifiques et épidémiologiques purs.

Si vous regardez, vous allez vous rendre compte que tous les pays dont le tourisme constitue un poumon économique important sont en train d’essayer d’aller très vite vers un allègement des mesures avant la fin du mois de juin de façon à ce qu’ils puissent ré-autoriser l’arrivée des touristes chez eux, quitte à ce que plus tard le réveil puisse être douloureux.

Ce n’est pas le choix qui a été fait par nos autorités, puisque le président de la République a répété plusieurs fois que pour lui, la santé des Algériens prime toute autre considération.

Ces pays tendent à aller vers l’allègement des mesures de confinement, c’est bien si c’est absolument adossé uniquement à des paramètres scientifiques, mais je pense qu’il y a d’autres paramètres qui entrent en ligne de considération qui font qu’il faut rester vigilant.

Donc les frontières, de préférence il faut les garder fermées…

L’année dernière, le Maroc et la Tunisie ont ouvert leurs frontières en été, ils ont eu des flambées de l’épidémie plus tard.

Nous, même si on sait que les chiffres qu’on donne ne reflètent pas l’intégralité de la réalité, la situation épidémique que nous avons vécue en Algérie est bien loin meilleure que celle dans les autres pays. Je pense que la fermeture des frontières a très probablement joué un rôle dans cette stabilité.

Maintenant, il faut aussi regarder de plus près ces modalités de fermeture et voir comment on peut permettre à des citoyens algériens, qui sont bloqués à l’étranger depuis très longtemps, de pouvoir rentrer chez eux, y compris en déconfinant, en demandant une PCR à l’arrivée et après dix jours de confinement à la charge de ceux qui demandent de rentrer.

L’essentiel est d’informer les gens à l’avance et de leur permettre de prendre des dispositions nécessaires pour que s’ils décident de rentrer chez eux, puissent le faire.

Concrètement, que faut-il faire pour permettre aux Algériens de revenir au pays sans prendre le risque d’une propagation de covid-19 ?

Je serais pour qu’on mette en place une procédure très claire et très transparente pour que tout citoyen algérien qui soit à l’étranger sache que s’il suit une procédure claire, il pourra rentrer chez lui.

Parce qu’actuellement, il y a beaucoup de gens qui sont coincés et c’est dramatique de vivre une situation où des parents meurent et que des enfants parfois vaccinés ne puissent pas assister aux obsèques et faire leur deuil.

Je pense que là-dessus, on a besoin d’aller vers des mesures très systématiques et très claires qui permettent quand même un minimum de possibilités aux citoyens algériens qui sont de l’autre côté des frontières et qui pour une raison de santé ou familiale impérieuse doivent faire le déplacement.

De nombreux pays développent des vaccins contre le covid-19. Est-ce que cela va réduire la tension actuelle sur les vaccins dans le monde ?

Oui et non. Actuellement, ça n’est pas tellement au niveau de développer des nouveaux vaccins que la problématique se pose. C’est au niveau de la capacité de production massive d’un produit dont tout le monde est demandeur.

La pandémie a mis tout le monde sur le banc de la demande du produit. C’est un marché de sept milliards d’individus, même s’ils ne sont pas tous prioritaires comme les enfants et les gens qui ne sont pas malades qui viendraient en deuxième position en termes de priorité.

Mais au bout du compte, on aimerait bien que toute la population soit vaccinée pour se débarrasser du virus et éviter d’avoir de nouveaux variants qui créent une course interminable contre le virus parce que chaque fois qu’il y a un variant, il se peut qu’il soit en échappement immunitaire total et à ce moment-là, il faut refaire tout le processus de développer un nouveau vaccin contre ce nouveau variant.

Le problème est lié à la capacité de production des vaccins. Le monde, malgré toutes les capacités de production qui existent, ne peut pas produire du jour au lendemain la quantité de vaccins nécessaire pour vacciner toute la population mondiale.

Dans la mesure où nous sommes dans cette situation de pénurie, ce qui a tout de suite joué c’est le nationalisme vaccinal, c’est-à-dire que tous les pays qui produisent les vaccins les gardent pour eux.

L’Inde s’était engagée à donner une quantité importante des vaccins qu’elle produit au mécanisme Covax, mais vue la situation que ce pays vit aujourd’hui, elle n’est plus en état de remplir son engagement.

L’Inde est en train d’utiliser les vaccins qu’elle produit chez elle pour ses propres citoyens, ce qui peut se comprendre.

La situation est compliquée au plan mondial et c’est important de comprendre cette complexité lorsqu’on porte un jugement, y compris sur la campagne de vaccination qui se passe chez nous.

Pour un citoyen qui s’est fait vacciner en février dernier. Il reste protégé pendant combien de temps ?

Pour l’instant, c’est difficile à dire. On considère que jusqu’à huit mois, on est protégé. On ne sait pas s’il faut refaire le vaccin. On va le savoir au fur et à mesure.

On apprend au fur et à mesure avec cette épidémie, et parfois il faut du temps pour se faire une idée précise sur un élément de réponse précis comme cela.

En science, on ne peut pas se satisfaire d’à peu près. On fait des observations et des conclusions provisoires, mais ça reste provisoire tant qu’on n’a pas des données absolument rigoureusement paramétrées et mesurées au plan scientifique pour dire que ça marche ou pas.

« Mon message à la population, c’est que notre destin est entre nos mains »

Pour terminer,  quel est le message que vous souhaitez lancer aux Algériens ?

Mon message à la population, c’est que notre destin est entre nos mains. Cette maladie n’est pas un fantôme. C’est une vraie maladie qui souvent est légère et ne donne pas de symptômes, mais qui parfois est hyper dangereuse et qui tue.

Elle a tué nos amis, elle a tué nos collègues, elle a tué nos voisins, elle a tué nos parents. Personnellement, j’ai perdu au moins trois personnes dans ma famille directement liées au covid-19, et peut-être qu’il y en a d’autres dont j’ignore la cause du décès.

Donc, c’est une maladie qui tue. Tous ces décès sont des décès immérités et indus et on peut lutter contre la propagation contre ce virus individuellement par une rigueur dans notre comportement.

Cette rigueur n’est pas excessivement difficile à observer. Porter un masque n’est pas extraordinairement difficile. Se laver les mains régulièrement, ce n’est pas difficile et essayer de respecter un minimum de distance entre nous lorsque nous interagissons dans des milieux fermés, cela n’est pas très difficile.

Et aux autorités, qu’avez-vous à dire concernant l’application des mesures barrières ?

Faire respecter dans tous les secteurs les protocoles sanitaires. Il y a eu tout un travail qui a été fait pendant toute l’année 2020 sur les différents protocoles dans les différents établissements de la vie économique et sociale. Est-ce que ces protocoles sont respectés partout ? Non. Est-ce qu’on peut les faire respecter partout ? C’est mon souhait.

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