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Pourquoi l’Algérie est vulnérable face aux catastrophes naturelles

Pourquoi l’Algérie est vulnérable face aux catastrophes naturelles

Les feux de forêts qui ont endeuillé l’est du pays mercredi 17 août relancent le débat sur les risques majeurs et leur gestion en Algérie.

Le Pr Abdelkrim Chelghoum, président du Club des risques majeurs, revient dans cet entretien sur les derniers incendies, leur récurrence et surtout leur haut degré de destruction.

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Selon lui, la prévention contre les risques majeurs passe par l’application de la loi du 25 décembre 2004. Une loi « restée lettre morte », déplore-t-il.

L’Algérie a été frappée mercredi par des incendies qui ont fait de nombreux morts à El Tarf et d’autres régions de l’Est du pays. A la même période de l’année passée, l’Algérie endeuillée par des feux de forêts meurtriers. Quel est le point commun entre ces deux événements tragiques selon vous ?

 Abdelkrim Chelghoum : En effet, nous assistons à une répétition de ce phénomène avec la même ampleur au niveau de la région Est du pays, une année jour pour jour après les événements douloureux de Kabylie.

Il est clair que le dénominateur commun de ces deux méga-catastrophes concerne la similitude des enjeux en place à savoir un patrimoine forestier avec un couvert végétal très dense de type méditerranéen et dont le facteur de dégradation le plus redoutable est sans conteste le feu qui bénéficie de conditions physiques et naturelles favorables à son éclosion et à sa propagation, d’une part.

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Et des conditions climatiques et météorologiques extrêmes (températures élevées et vents dominants) d’autre part.

Aussi, il faut noter que ces forêts couvrant à peine quatre millions d’hectares, soit 1,5% de la masse terrestre du pays sont sous la menace chronique des incendies qui constituent un véritable danger pour les vies humaines, les biens et l’écologie.

« Véritable catastrophe écologique »

Les bilans de ces deux cataclysmes sont similaires par rapport à l’importance et la nature des dégâts à savoir plusieurs dizaines de victimes, des centaines de brulés dans les deux cas, des milliards de pertes matérielles et animales et la disparition de l’unique parc animalier site classé  par l’Unesco comme « patrimoine mondial pour la faune et la flore » qui constitue la VERITABLE CATASTROPHE ECOLOGIQUE.

Comment expliquez-vous la récurrence des incendies en Algérie et surtout leur très haut degré de nuisance ?

C’est une question pertinente. Comme vous le savez, les risques majeurs sont récurrents dans leur globalité.

Certains sont impossibles à prédire comme les séismes ou les risques géologiques par exemple, d’autres comme les feux de forêts, les inondations sont à la fois prévisibles et faciles à gérer avec un minimum de stratégie d’anticipation et de préparation sous-tendue par un système de veille et d’alerte fiable.

Il faut rappeler également que le dérèglement climatique est en train de changer tous les paramètres de prédiction et de prévision de ces fléaux qui sont devenus à la fois plus fréquents et très violents et très difficiles à circonscrire.

Nos forêts sont-elles devenues des proies faciles aux flammes ?

Comme nous l’avons à chaque fois mentionné, la moyenne annuelle pondérée des surfaces boisées (forêts et couverts) ravagées par les feux oscille entre 25 000 ha et 35 000 ha avec des pics dépassant 100 000 ha comme celui de l’année 2021 (environ 120 000 ha de forêts calcinés).

La cause principale est l’absence totale de mesures préventives basiques recommandées par la loi telles que : l’aménagement des massifs forestiers, l’accessibilité à toutes les zones, les tranchées pare-feu, les points d’eau en abondance, les guérites de surveillance, etc.

On a vu que les feux se propagent à une vitesse vertigineuse laissant souvent peu de chance à la population pour s’échapper. Comment expliquez-vous la progression des feux et leur caractère destructeur ?

 Ces feux sont généralement amplifiés par les vents violents, ce qui provoque indéniablement le phénomène redoutable de « tornades de feux » qui sont impossibles à modéliser et à quantifier scientifiquement et par conséquent à maîtriser avec les moyens de lutte conventionnels.

C’est exactement ce qu’il s’est passé à El Tarf ces derniers jours avec l’anéantissement du parc animalier en quelques minutes et la mort instantanée des randonneurs et campeurs présents sur le site.

Séismes, inondations, feux de forêt…. A chaque fois, catastrophes provoquent des morts par dizaines en Algérie. Pourquoi cette vulnérabilité de l’Algérie face aux catastrophes naturelles ?

Permettez-moi d’abord de circonscrire ces fléaux dans le contexte de la prévention des risques majeurs en général.

Il faut savoir que la catastrophe est définie comme le résultat de la conjonction de ces aléas avec un ou plusieurs enjeux dont les effets engendrés sont particulièrement calamiteux pour les agglomérations concernées.

« Malheureusement cette loi est restée lettre morte »

Comme vous le savez, l’Algérie présente une vulnérabilité élevée découlant de la nature et de ses caractéristiques d’une part et de la main de l’homme d’autre part, d’où l’importance de la mise en œuvre d’une politique nationale de prévention fiable et rigoureuse.

Le corpus de lois relatif à la prévention des risques majeurs encourus dans ce pays a été élaboré et promulgué le 25 décembre 2004.

« Une gestion à vue de ces catastrophes »

Malheureusement, cette loi est restée lettre morte puisque les 30 textes d’application que nous avons proposés sont restés dans le tiroir du gouvernement d’où l’absence aujourd’hui d’une quelconque stratégie de prévention avec le résultat palpable sur le terrain à savoir les effets dévastateurs de ces phénomènes d’Est en Ouest et du Nord au Sud et même l’extrême Sud de notre territoire.

Ce qui a engendré une gestion à vue de ces catastrophes par les pouvoirs concernés et leur agitation après coup avec des interventions de bricolage qui ne font qu’amplifier les effets désastreux engendrés par ces évènements.

Les mécanismes actuels pour faire face aux risques majeurs sont-ils adaptés ou pensez-vous qu’il faille explorer d’autres pistes ?

Seulement l’application de la loi 04/20 dans sa globalité sans aucune dérogation d’une part et la délocalisation des enjeux à l’origine de ces désastres récurrents.

Équiper les services de la protection civile et l’organe de l’ANP chargé des catastrophes de moyens aériens efficaces de lutte contre les méga-incendies (bombardiers d’eau) pour agir immédiatement quelques minutes après le départ d’un feu. Adaptation et action sont les clés de voûte pour la maîtrise des feux dévastateurs.

Ne faut-il pas mettre en place un dispositif d’alerte précoce pour évacuer les populations en cas d’incendies ? Ce dispositif a-t-il manqué aux secouristes à El Tarf mercredi ?

Comme réponse à cette question je vous renvoie aux recommandations de la conférence nationale organisée les 7 et 8 décembre 2020 par le MDN et dont le thème principal concerne la gestion et la prévention des risques majeurs en Algérie.

Certes, le dispositif d’alerte et de veille représente le soubassement du PGP (plan général de prévention) mais les simulations grandeur nature ainsi que la projection de scénarii catastrophe sont la clé pour la réussite du déroulement des plans ORSEC.

L’Algérie a-t-elle tiré les leçons des incendies de 2021 ? 

En tant qu’expert en quantification des risques, je dois toujours axer mon analyse sur le retour d’expérience c’est-à-dire tirer les leçons des catastrophes antérieures, de cette appréciation technique.

C’est malheureusement encore une fois l’absence totale de règles et de procédures fiables indispensables dans la conduite des phases d’anticipation, préparation, protection et déclenchement des plans ORSEC dans la situation co-catastrophe c’est-à-dire la phase rouge.

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