La publication d’un rapport sur la menace que représente les Frères musulmans suscite une vive polémique en France. Après une première réaction mesurée où il a répondu à des accusations indirectes contre son institution, le recteur de la Grande mosquée de Paris passe à l’offensive, avec une violente charge contre ce rapport qui ne fait pas l’unanimité.
« Sous les habits feutrés d’un document administratif, c’est une rhétorique d’exception qui se déploie. Derrière la prétention à la rigueur, c’est un climat délétère que l’on entretient : celui de la peur, du soupçon, de la stigmatisation. On y traque non pas des actes, mais des intentions ; non pas des délits, mais des appartenances supposées ; non pas des projets criminels, mais des présences trop visibles, trop pieuses, trop musulmanes », écrit d’emblée Chems-Eddine Hafiz dans un billet publié sur le site internet de la Grande mosquée de Paris.
Le recteur de la plus importante institution musulmane de France, qui a appelé début mai à ne pas se taire face à la montée des actes islamophobes et la stigmatisation permanente des musulmans de la part d’une partie de la classe politique, hausse le ton, avec une critique méthodique de ce rapport, tout en soulignant ses dangers sur la cohésion sociale.
« Ce rapport vise les musulmans de France dans leur ensemble »
« Quatre cents. C’est le chiffre qu’on brandit : quatre cents individus présentés comme « cercle restreint » d’influence. Et parce qu’ils existeraient, on en vient à jeter la suspicion sur des millions (…). Et de la diversité des parcours, des pratiques, des histoires musulmanes de France, on tire une fresque uniforme et menaçante, où tout croyant devient suspect, où toute mosquée devient bastion, où tout imam devient porte-voix d’un péril obscur », critique le recteur de la Grande mosquée de Paris.
Avant de dénoncer un rapport transformé en « arme rhétorique » contre les musulmans de France. « Ce rapport n’est pas un outil de sécurité. C’est une arme rhétorique, maniée contre une partie du peuple français, celle-là même que l’on voudrait faire taire derrière un rideau de mots techniques et de tableaux flous », a-t-il dénoncé.
Et puis, le recteur de la Grande mosquée de Paris s’interroge sur l’opportunité de publier un tel rapport alors que la douleur de l’assassinat d’un fidèle dans une mosquée du Gard vendredi 24 avril est toujours vive au sein de la communauté musulmane de France.
« Non, mille fois non. La Grande Mosquée de Paris, institution née de l’alliance entre la République et ses soldats musulmans tombés pour elle, ne saurait se taire devant ce qui est, ni plus ni moins, qu’une trahison morale », affirme Chems-Eddine Hafiz.
Pour lui, « ce ne sont pas les Frères musulmans que ce texte vise — ce sont les musulmans de France, dans leur entièreté, dans leur diversité, dans leur dignité ».
Ces musulmans qui portent « haut l’honneur » de la France
Dans la foulée, le recteur de la Grande mosquée de Paris rappelle, une nouvelle fois, les noms de ceux qui ont « porté haut l’honneur » de la France « sans jamais renier leur foi ni leur appartenance ».
Il cite Yasmine Belkaïd qui est à la tête de l’Institut Pasteur et qui « sauve des vies dans le silence des laboratoires », Assia Djebar, « immortelle de l’Académie, qui a offert à la langue française les échos de l’Algérie libre », Mourad Boudjellal, entrepreneur audacieux, Rachid Yazami, « pionnier des batteries au lithium, Khaled Bouabdallah, universitaire infatigable, et « tant d’autres, dans les hôpitaux, les écoles, les associations, les mairies. »
Chems-Eddine Hafiz termine son billet en accusant ce rapport d’être une « œuvre de désunion ». « J’accuse ses auteurs d’avoir substitué à la rigueur l’idéologie, à la prudence le soupçon, à la justice l’injustice. J’accuse ceux qui s’en servent de préférer la peur à la paix. Et j’appelle tous les républicains, musulmans ou non, à refuser cette pente funeste », a-t-il lancé.