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Retrait US d’Afghanistan : l’étonnant parallèle de Lakhdar Brahimi avec l’Algérie

Retrait US d’Afghanistan : l’étonnant parallèle de Lakhdar Brahimi avec l’Algérie

Le diplomate algérien Lakhdar Brahimi est l’un des meilleurs connaisseurs de l’Afghanistan contemporain pour avoir été représentant spécial de l’ONU pour ce pays à deux reprises, entre 1997 et 1999 et de 2001 à 2004.

Deux semaines après le retour des talibans au pouvoir, vingt ans après avoir été chassés par les Américains, le diplomate algérien analyse la situation dans ce pays et explique dans un entretien au journal le Monde pourquoi le mouvement ultra-rigoriste a reconquis Kaboul.

« C’est comme pour les Français et l’Algérie »

Il estime que les États-Unis n’ont pas été battus militairement, mais qu’ils ont multiplié les erreurs en Afghanistan, dont celle d’avoir toujours refusé de négocier avec les talibans.

Brahimi fait d’emblée un parallèle étonnant avec ce qui s’est passé en Algérie en 1962. « Ce n’est pas une défaite militaire. C’est comme pour les Français et l’Algérie. Ce sont les États-­Unis qui ont décidé de partir. Ils le voulaient depuis le jour où ils ont tué Ben Laden. Après, il n’y avait pas de bons moments pour sortir », dit-il, sans s’étaler sur la défaite de l’armée coloniale française en Algérie.

Plus explicite, il estime qu’il s’agit moins d’une défaite américaine qu’une victoire des talibans « imputable à leur génie tactique ». « Le fait d’avoir commencé leur offensive dans le Nord est une idée géniale. Tout le monde les attendait dans le Sud parce que c’était un terrain qui leur était acquis.

Avant d’être des islamistes, ce sont des Afghans qui n’abandonnent pas. On dit que le Pakistan leur a mâché le travail, mais pourquoi ne pas dire aussi qu’il existe des talibans intelligents et éduqués », ajoute Brahimi.

Les Américains n’ont pas mis en place un État de droit

Pour lui, la paix était possible avant même l’invasion américaine en 2001. Mais les Américains ont très vite enterré les talibans et refusé d’engager des pourparlers avec eux.

 « Oui. La paix était possible avec les talibans. Mais encore eût­-il fallu qu’on leur parle, avant et après leur chute, en 2001. Or, il y avait un refus unanime de dialoguer avec eux (…) Pour les néoconservateurs américains au pouvoir, un bon taliban était un taliban en prison ou mort. En réalité, ils n’avaient pas battu les talibans, ils les avaient dispersés », analyse l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères.

Lakhdar Brahimi témoigne que lorsqu’il a dit aux Américains qu’il faut savoir ce que pensent les talibans, il n’a reçu aucune réponse.

Il donne un autre exemple concret qui illustre la mauvaise stratégie américaine en Afghanistan. Selon lui, les Talibans avaient écrit en 2002 à Hamid Karazai, alors chef du gouvernement provisoire, mais celui-ci a toujours nié avoir reçu quoi que ce soit.

En réalité, assure Brahimi, ce sont les militaires américains et Donald Rumsfeld qui l’auraient instruit de ne pas donner suite à leur proposition, « car c’était une perte de temps ».

« L’ancien ministre des Affaires étrangères du régime taliban Wakil Ahmad Mutawakk avait, lui, négocié sa reddition avec les Américains. Ils lui ont dit qu’il fallait qu’ils le gardent deux mois pour un débriefing. Ils l’ont gardé deux ans. Les autres dirigeants talibans qui observaient tout cela se sont bien gardés de le suivre », témoigne Lakhdar Brahimi.

Autre erreur des États-Unis, celle de ne pas avoir mis en place « un État de droit ». « Vous ne pouvez pas lutter contre la corruption si vous n’avez pas une justice saine. Si le juge ou le policier est corrompu, comment voulez-vous faire accepter un État à une population ? Pendant vingt ans, cet objectif n’a pas été atteint, et même peu recherché. Nous avons confié la justice aux Italiens, la police, un peu à tout le monde, les prisons à personne », regrette le diplomate algérien.

Lakhdar Brahimi ne manque pas de souligner que « l’organisation d’une élection dans un pays en situation de « post­-conflit est considérée comme la première chose à faire, or, ce devrait être la dernière. » Il parle de l’élection présidentielle qui a eu lieu fin 2004 en Afghanistan.

« L’équation « vous mettez fin aux combats, vous organisez une élection et le problème est réglé » ne fonctionne pas. L’élection doit avoir lieu le plus tard possible, car elle divise les gens, elle ne les rapproche pas », recommande-t-il.

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