Un des rêves les plus fous de la médecine : rendre la vue. Les premiers succès arrivent avec des essais cliniques de rétines artificielles, des thérapies géniques et des cellules souches.
En mars dernier, l’hôpital ophtalmologique Moorfields de Londres a annoncé avoir rendu la vue à des malvoyants. Avec des patchs de cellules souches insérés sous leurs rétines, deux patients ont pu se remettre à lire, alors qu’ils n’y arrivaient plus du tout. Ce résultat dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est le premier succès des cellules souches sur une atteinte visuelle profonde. Pour y parvenir, les chercheurs ont cultivé des cellules embryonnaires et les ont transformées en cellules rétiniennes afin de remplacer celles endommagées par la DMLA.
Ce transplant par « donneur » implique de modérer le système immunitaire du patient afin de réduire les phénomènes de rejet. Mais dans la rétine comme dans le cerveau, le système immunitaire est beaucoup moins agressif et le patch rétinien n’a pas nécessité de traitement lourd pour être toléré. Selon les spécialistes des cellules souches, ce succès laisse présager d’autres possibilités régénératives dans le cadre de maladies du cerveau comme celle de Parkinson.
Vision bionique
Sur le traitement des affections visuelles, la France est plutôt en avance. Déjà, les systèmes de vision bionique de Pixium Vision améliorent l’acuité visuelle de patients depuis 2014. Au fil des essais, la société a affiné les performances de ses implants électroniques. Elle a levé 10,6 millions d’euros en mai 2018 pour déployer son implant de nouvelle génération.
Destiné à permettre aux malvoyants atteints de DMLA sèche de distinguer des images, son dispositif médical Prima est constitué d’une mini-caméra fixée sur les lunettes du patient. Celle-ci transmet les images vidéo à un ordinateur de poche, qui les transforme en informations neurologiques avant de les renvoyer par laser infrarouge à un implant fixé sous la rétine. En bout de chaîne, l’implant stimule directement les nerfs optiques pour que le patient puisse réapprendre à voir.
Si la startup a obtenu le feu vert européen et le forfait innovation pour son premier système Iris II, ses implants ont montré une durée de vie plus courte que prévu et elle améliore actuellement leur résistance au temps. Elle est en attente de la décision des autorités réglementaires pour avancer.
Sur le marché mondial de la cécité, l’autre grand nom de la vision bionique est le dispositif Argus II de l’américain Second Sight, autorisé par la FDA (Food and Drug Administration) depuis 2013. S’il comporte deux fois moins d’électrodes que l’Iris, sa commercialisation est déjà bien avancée.
Thérapie génique contre cécité
Une partie des affections visuelles étant d’origine génétique, les chercheurs ont aussi recours à la thérapie génique pour lutter contre la cécité. En France, GenSight Biologics vient d’annoncer les résultats de son essai clinique de phase III sur le traitement GS010 pour des patients atteints de la maladie de Leber. Cette neuropathie optique héréditaire, considérée comme une maladie rare, fait brutalement chuter la vue jusqu’à la quasi-cécité.
Suite à l’injection de sa formule dans un des deux yeux des 37 patients (pour comparer l’effet), GenSight a enregistré des améliorations significatives, de l’ordre de 11 lettres ETDRS [échelle mesurant l’acuité visuelle, ndlr]. Le résultat troublant de l’étude est que l’œil non traité de chaque patient a aussi gagné en acuité visuelle, révélant un drôle de transfert de compétences visuelles à explorer.
Pour le CEO de GenSight, Bernard Gilly (également cofondateur de Pixium Vision), ces résultats pourraient amener rapidement le GS010 sur le marché, le transformant en première thérapie génique française commercialisée. La maladie de Leber provoque la cécité partielle de 1.500 personnes en Europe et aux États-Unis chaque année.
« Notre deuxième candidat est basé sur une protéine que la lumière active et qui pourrait remplacer les photorécepteurs de la rétine, détruits par la DMLA ou la rétinite pigmentaire, explique Bernard Gilly. C’est un traitement simple à administrer et nous allons entrer en essai clinique en Grande-Bretagne. »
En France, l’autre jeune pousse de thérapie génique contre la cécité est Horama. Créée en 2014 par des chercheurs de l’Inserm et du CHU de Nantes, elle développe notamment un candidat pour soigner la rétinite pigmentaire : HORA-PDE6B. Ce candidat a reçu l’autorisation d’entrer en essai de phase I/II en octobre 2017.
Entre la rétine bionique, la correction génétique et la régénérescence cellulaire, on peut penser qu’il sera possible d’améliorer nettement la vision des malvoyants d’ici 2030.
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ENCADRE
Prophesee imite l’œil, pour hommes et machines
La deep tech française Prophesee, ex-Chronocam, est en train de révolutionner la vision artificielle avec une technologie unique au monde, issue en partie des travaux sur l’œil humain menés par la recherche publique (Institut de la vision, CNRS, CEA, UPMC, Inserm). La startup vient de lever 19 millions de dollars, portant à 40 millions le total depuis trois ans. Basée à Paris et dotée de bureaux au Japon et aux États-Unis, Prophesee emploie 60 ingénieurs et détient plus de 20 brevets internationaux.
Son innovation imite l’œil et le cerveau humain pour permettre aux machines de voir ce qui leur était auparavant invisible grâce à sa capacité de traitement de vision extrêmement rapide, équivalente à 100.000 images par seconde. Autrement dit, elle permet aux capteurs et aux caméras de voir et d’analyser ce que l’œil humain et les capteurs actuellement disponibles sur le marché ne peuvent percevoir. La startup est notamment à l’origine de la première rétine artificielle en silicium, qui est aujourd’hui commercialisée pour des systèmes de restauration de la vue pour les aveugles.
Mais les potentielles applications de cette technologie de rupture s’étendent à de nombreux domaines. Si bien que Prophesee ambitionne d’ouvrir une nouvelle ère de vision artificielle pour les machines, qu’il s’agisse de véhicules autonomes, de robotique, de drones, d’automatisation industrielle ou encore d’objets connectés. Les 19 millions de dollars levés cette année serviront à accélérer la phase de déploiement de la technologie dans les secteurs ciblés par la startup.
« Nous avons désormais les moyens nécessaires pour passer rapidement du stade de développement technologique à la phase de déploiement », affirme Luca Verre, cofondateur et Pdg de Prophesee.
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POUR EN SAVOIR PLUS
Téléchargez le dossier publié dans LA TRIBUNE HEBDO n° 254 du 7 juin 2018 « Les nouveaux miracles de la médecine »
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