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Tamazight à l’école : maladresse ou tentative de remise en cause ?

Tamazight à l’école : maladresse ou tentative de remise en cause ?

La constitutionnalisation de tamazight et son introduction dans l’enseignement et les institutions en Algérie ont été décidées pour préserver et consolider l’unité nationale, après des décennies de revendication et de luttes.

D’où l’incompréhension que suscite cette décision du ministère de l’Education nationale concernant l’enseignement de cette langue, dans une conjoncture où la cohésion nationale est mise à mal par des extrémistes de tout bord et où le discours officiel insiste sur l’impératif de resserrer les rangs pour faire face aux menaces internes et externes.

Le 12 août, le président de la République Abdelmadjid Tebboune s’est adressé à la nation dans un discours improvisé pour mettre en garde contre les démons de la division, insistant sur la sacralité de l’unité nationale après des tentatives malsaines de récupérer l’assassinat du jeune Djamel Bensmaïl à Larbaa Nath Irathen (Tizi-Ouzou) pour frapper l’Algérie dans ce qu’elle a de plus cher, son unité et sa cohésion.

C’est pourquoi la décision du ministère de l’Education, qui a été prise sans concertation avec les syndicats du secteur, s’apparente au moins à une maladresse. Dans une note dévoilée par les inspecteurs de Tamazight de la wilaya de Bejaïa, il a été décidé de mettre les cours de Tamazight en dehors de l’emploi du temps officiel.

La deuxième langue officielle de l’Algérie se retrouve avec le même statut que le dessin et les autres matières facultatives. Au moment où des langues étrangères comme le français et l’anglais ont conservé leur statut.

Le ministère a motivé le réaménagement par l’incidence de la crise sanitaire et une réunion est prévue avec le Haut commissariat à l’amazighité (HCA), une institution dépendant de la présidence de la République, pour  examiner « les mesures nécessaires à prendre pour poursuivre le renforcement et la consécration de l’enseignement de tamazight conformément aux engagements de l’État. »

Officiellement donc, l’introduction de tamazight à l’école n’est pas remise en cause. Il ne s’agit pas d’une exclusion pure ou simple, mais au vu de ce qui a été réalisé jusque-là pour la prise en charge de cette langue parlée dans toutes les régions du pays,  il s’agit d’un recul.

C’est la première fois depuis la « grève du cartable », en 1994-1995, que tamazight risque de perdre une partie de ses acquis, nombreux, faut-il le reconnaitre.

Il y a 27 ans, tous les élèves de Kabylie ont boycotté l’école pendant presque toute l’année scolaire (de septembre à avril), déclarée d’ailleurs année blanche.

A l’issue de négociations entre les autorités et une aile du Mouvement culturel berbère (MCB), des plages horaires à la télévision nationale ont été consacrées à cette langue qui fait aussi une entrée timide dans le système éducatif. Dans la foulée, le HCA est créé et mis sous la tutelle de la présidence de la République.

Les extrémistes de tout bord se frottent les mains

Lors des événements du printemps noir en 2001, les revendications liées à tamazight sont mises en bonne place dans la plateforme d’El Kseur. D’autres négociations ont eu lieu et tamazight obtient le statut de langue nationale dans la constitution, bien que le président Bouteflika ait conditionné trois ans plus tôt une telle éventualité par l’aval du peuple par référendum.

Les années passent, la lutte se poursuit et la langue ancestrale de l’Algérie engrange les acquis, notamment une meilleure place dans les médias et plus de volume horaire dans l’enseignement, jusqu’à devenir langue nationale et officielle au même titre que l’arabe, suite à la révision constitutionnelle de 2016.

Ce statut a été sauvegardé lors de la révision constitutionnelle de novembre 2020, en dépit de l’opposition des partis islamistes et de l’association des oulémas.

Il est vrai que ce nouveau statut ne s’est pas immédiatement traduit sur le terrain par la généralisation de l’usage de la langue dans l’enseignement et l’administration, mais il reste que, symboliquement, c’est un acquis considérable et impensable quelques décennies auparavant.

En 1999, le président Bouteflika avait fait le serment que tamazight « ne sera jamais langue officielle » et que si elle devait être langue nationale, il faudra d’abord l’approbation du peuple.

Deux ans après l’officialisation de tamazight, un acte censé mettre définitivement à l’abri la cohésion nationale et couper l’herbe sous les pieds de ceux qui utilisaient la revendication à des fins politiciennes, le courant anti-tamazight se réveille et s’enhardit au fil des mois.

En 2018, la députée Naïma Salhi déclare publiquement qu’elle égorgerait sa fille si elle venait à apprendre le kabyle, une variante de tamazight.

S’ensuivra une campagne de haine sur les réseaux sociaux et même dans le discours de certains hommes politiques. En dépit de la gravité des propos tenus, frisant parfois l’appel au meurtre, aucune personnalité publique n’est inquiétée. Lors de la campagne pour les législatives du 12 juin, Abdelkader Bengrina, président du mouvement islamiste El Bina a commis un grave dérapage sur tamazight en la qualifiant de « chose ».

« Le jour où une chose parmi les revendications de cette région (la Kabylie) a été satisfaite et introduite dans la Constitution – dans une référence à la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale (en 2002, après les émeutes du Printemps noir) – un de ceux qui se trouvent aujourd’hui en prison – allusion à Ahmed Ouyahia – a eu une discussion avec moi et je lui ai dit qu’en réalité vous êtes en train de négocier entre vous », a-t-il dit. Une plainte a été déposée par contre lui par des avocats. Bengrina a poursuivi sa campagne et son parti a obtenu une quarantaine de députés à l’APN.

Si le discours raciste et de haine contre la Kabylie et la dimension amazighe de l’Algérie s’est quelque peu estompé ces derniers mois, il reste toujours audible sur les réseaux sociaux.

C’est dans cette conjoncture que survient la note du ministère de l’Education et c’est pour cela qu’elle inquiète. S’il s’agit d’une maladresse, le département d’Abdelhakim Belabed gagnerait à rectifier le tir pour fermer la porte devant les extrémistes et les adeptes de la division et de la discorde, de quelque bord qu’ils soient.

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