Politique

Alger-Tunis : les enjeux d’un rapprochement « historique »

Alors que rien ne va avec le Maroc, l’Algérie consolide davantage sa relation avec la Tunisie.

Les rapports entre les deux pays, parfois compliqués par le passé, sont à leur meilleur niveau depuis l’élection, à deux mois d’intervalle, des présidents Kais Saied et Abdelmadjid Tebboune, en octobre et décembre 2019 respectivement.

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La visite d’Etat qu’effectue le président algérien à Tunis (15 et 16 décembre) est venue couronner deux années de coopération et de solidarité active dans une conjoncture d’épreuves qui n’ont épargné ni l’un ni l’autre des deux voisins maghrébins.

L’aide apportée par l’Algérie à la Tunisie pendant la crise sanitaire a « dépassé les espérances », reconnait le président tunisien au cours de la conférence de presse conjointe tenue avec son homologue algérien.

 « Nous n’oublierons jamais la main tendue de l’Algérie pour panser les plaies de la Tunisie en temps de pandémie, ni comment elle a partagé avec nous ses réserves d’oxygène », a-t-il dit.

Pendant cette période, l’Algérie a aussi mis la main à la poche pour atténuer la situation financière difficile que traverse la Tunisie, à travers un dépôt à titre de garantie de 150 millions de dollars à la Banque centrale tunisienne (BCT) annoncé à l’occasion de la visite du président Saied à Alger en février 2020, puis un prêt de 300 millions de dollars dévoilé à la veille du déplacement de Abdelmadjid Tebboune à Tunis.

Au cours de cette visite, pour laquelle la présidence tunisienne a changé son protocole pour réserver un accueil distingué à son hôte algérien, pas moins de 27 accords de coopération ont été signés dans des domaines allant de l’énergie à la culture, en passant par les PME, l’industrie pharmaceutique, la pêche, l’environnement, la justice…

Si, à travers ces accords, les deux pays visent « une intégration économique qui permette aux deux peuples de vivre dans la prospérité », pour reprendre les mots de M. Tebboune, il n’en demeure pas moins que l’économie n’est qu’un segment de la « nouvelle orientation stratégique » qu’ils comptent donner à leur relation.

Le souci de « consolider les liens profonds de fraternité entre les deux peuples frères », découle d’ « une volonté partagée et traduit l’orientation stratégique à laquelle nous aspirons, une orientation qui soit fondée sur l’exploitation idoine des fondements humains, historiques et culturels de rapprochement », a déclaré le président Tebboune. Kais Saied, lui, a parlé d’une « nouvelle étape dans l’histoire ».

Une orientation stratégique qui va au-delà de l’économie

La « nouvelle orientation stratégique » se traduit aussi par des visions partagées sur les dossiers régionaux qui concernent les deux pays.

L’Algérie et la Tunisie se sont gardées de s’immiscer dans leurs crises politiques internes respectives, tout en s’affichant un soutien mutuel, et sont sur la même longueur d’onde concernant plusieurs questions géostratégiques, en tête desquelles on trouve la situation en Libye et la cause palestinienne.

Dans les mois qui ont précédé cette visite présidentielle, on a assisté à un va-et-vient incessant entre Alger et Tunis du ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, qui traduit une concertation constante entre les deux voisins sur les dossiers internationaux de l’heure, la Tunisie étant dans cette période membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

C’est en cette qualité qu’elle a brisé le consensus (avec la Russie) en s’abstenant lors du vote de la dernière résolution sur la Sahara occidental, le 29 octobre, jugée favorable au Maroc.

Lors de leur conférence de presse conjointe, les présidents Saeid et Tebboune ont réitéré que la solution en Libye ne peut venir que des Libyens eux-mêmes, sans tous les « mercenaires » qui s’y trouvent depuis plusieurs années.

Leurs propos confirment l’importance qu’attachent les deux capitales à la situation dans ce pays qui s’apprête à connaitre une élection présidentielle décisive le 24 décembre.

L’issue du conflit en Libye est d’autant plus cruciale pour l’Algérie qu’elle fait face à une hostilité manifeste à ses frontières ouest et à une instabilité porteuse de dangers aux frontières sud.

L’Algérie ne peut pas se permettre de laisser perdurer le statu quo avec des zones de bouillonnement presque à toutes ses frontières. Le résultat de l’élection libyenne est déterminant non seulement pour la sécurisation et la stabilisation d’un segment important des frontières algériennes, mais aussi pour l’avenir de l’axe stratégique qu’Alger et Tunis sont en train de consolider.

Un éventuel ralliement de la Libye chamboulerait complètement les équilibres dans toute la région du Maghreb. Ce n’est peut-être pas un hasard si le déplacement du président algérien en Tunisie survient à dix jours du scrutin capital prévu en Libye.

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