Économie

Algérie : ce que cache l’interdiction de donner du blé aux moutons

L’Algérie interdit aux éleveurs d’utiliser du blé dur ou tendre pour nourrir leurs moutons.

Cette pratique frauduleuse qui se développe en période de sécheresse et de tension sur le marché de l’orge en Algérie, révèle les difficultés des éleveurs à nourrir leur bétail, et les dégâts de la sécheresse dans le pays.

L’interdiction a été rappelée dans un communiqué du ministère de l’Agriculture publié mercredi 15 mars, dans un contexte de tensions sur la semoule.

Algérie : ce que cache l’interdiction de donner du blé aux moutons

L’Aïd El Kebir est encore bien loin, mais pour les éleveurs de moutons, c’est aujourd’hui qu’il se prépare. A l’intérieur du pays et notamment à l’ouest, malgré les dernières pluies, les éleveurs font face à la sécheresse.

L’offre en fourrage se réduit sur les parcours steppiques déjà impactés par le surpâturage et les sécheresses de ces dernières années.

De son côté, le contexte international reste marqué par la crise ukrainienne et ses répercussions sur le commerce des céréales dont l’accord provisoire sur l’exportation de blé ukrainien à partir de la mer Noire. Bien que l’Algérie diversifie ses sources d’importation, la non-reconduction de cet accord pourrait renchérir le coût des importations de blé.

Dans ce contexte, l’annonce du ministère de l’Agriculture vient donc rappeler l’importance stratégique des céréales dans la consommation intérieure.

Parcours steppiques, un paysage lunaire

Du côté des éleveurs, dans des wilayas comme El Bayadh, le manque de fourrage se fait déjà sentir. Le manque de pluie est d’autant plus préoccupant qu’il intervient alors que nous sommes encore en hiver, période habituellement pluvieuse.

La sécheresse a transformé de nombreux parcours steppiques en paysage lunaire où les brebis broutent avidement les plantes qui subsistent entre les cailloux. Les animaux n’hésitent pas à gratter le sol pour mieux arracher les rares touffes d’herbe.

Sur les marchés, le prix des fourrages s’envole. Le quintal d’orge atteint 6.000 DA, celui du son de blé est à 4.500 DA. Alors que le prix du son est réglementé à 1.800 DA, certaines minoteries n’hésitent pas à le vendre à 4.700 DA en marquant 1.800 DA sur la facture.

A Tiaret, la botte de paille est vendue à 200 DA. Face à cette hausse des prix, certaines minoteries n’hésitent pas à vendre du blé panifiable aux éleveurs.

Vendu frauduleusement, ce blé rapporte deux fois plus que s’il était transformé en farine et vendu 2.000 DA le quintal aux boulangers à qui il est destiné. La fraude porte parfois sur le taux de mouture du blé qui passe de 75 à 25% produisant ainsi plus de son.

Le mouton, seul moyen de revenu

En Algérie, dans les zones steppiques, l’élevage du mouton représente l’activité principale. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller sur  les marchés hebdomadaires. Ils drainent une foule compacte d’éleveurs. De petits éleveurs et de plus gros dont les capacités à se procurer des aliments pour leurs bêtes ne sont pas identiques.

Face à la détresse des éleveurs, depuis plusieurs années les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) commercialisent de l’orge à prix réglementé.

Les services agricoles ont réalisé le recensement du cheptel réel pour éviter les fraudes. Déjà des CCLS ont affiché le planning de vente de l’orge et les listes des bénéficiaires.

De l’orge indispensable à l’engraissement des animaux pour l’Aïd El Adha. Un engraissement qui se pratique à doses forcées d’orge et parfois de blé.

Pour les professionnels de l’engraissement, tout ce qui peut contribuer à faire grossir les animaux est bon à prendre ; jusqu’à l’aliment à base de farine de poissons destiné aux volailles.

Un aliment qui donne un goût prononcé à la viande. Depuis peu, les éleveurs ont découvert tout l’intérêt qu’il y avait à utiliser du tourteau de soja a priori réservé aux vaches laitières.

Faible production des fourrages face à la demande

Ne nous y trompons pas, l’élevage du mouton est tiré par la demande croissante en viande en Algérie. Une demande qui atteint un pic durant le mois de ramadan, les fêtes religieuses et l’été avec la saison des mariages.

Pour éviter l’utilisation de blé dans les rations animales, faudra-t-il mettre un gendarme derrière chaque éleveur ?

En fait, l’utilisation de blé est liée au manque d’autonomie fourragère des exploitations. Aux parcours naturels, certains éleveurs ajoutent la production de fourrages irrigués.

Certains achètent du maïs ensilé sous forme de balles enrubannées produites à Menéa sous pivot d’irrigation. D’autres se tournent vers l’Algérienne des viandes rouges (Alviar) qui propose la fourniture d’aliment par l’intermédiaire de l’ONAB contre le rachat ultérieur de la production.

Mais pour nombre d’exploitations, les techniques de base restent rudimentaires. Il serait possible de fertiliser les jachères pâturées avec de l’urée et de doubler leur valeur alimentaire, de réaliser des semis à faible coût avec des mélanges fourragers ou encore d’inclure dans les rotations céréalières un fourrage à pâturer, le medicago.

Indigence de la recherche-développement

Depuis des années, l’approvisionnement en aliment concentré est assuré par les importations de maïs, tourteau de soja et orge. Des importations réalisées par l’Office national des aliments du Bétail (ONAB) et pointées du doigt par le chef de l’Etat qui, en février 2020, avait reproché à l’office de favoriser les importations aux dépens de la production locale.

Faudra-t-il, comme pour l’ail ou la tomate de conserve, interdire les importations, ou du moins les réduire, pour stimuler la production nationale ? Un équilibre entre les deux reste à trouver.

L’urgence d’aliments de survie

Face à l’utilisation du blé et au désespoir des éleveurs en région steppique, l’urgence est de trouver des palliatifs. Ceux-ci existent. Depuis des années, la recherche agronomique locale s’est penchée sur le sujet.

Outre l’amélioration de la production de fourrage, les coproduits des industries agro-alimentaires constituent des ressources non négligeables. La liste est longue : son de blé provenant des minoteries, tourteaux de soja des usines de trituration, mélasse des usines de raffinage de sucre brut, grignons d’olives, rebuts de dattes… Chaque agro-industrie et chaque région est à l’origine de co-produits.

Individuellement, leur valeur alimentaire est faible, mais combinés entre eux ils constituent des aliments d’appoint à même d’assurer les besoins de base des animaux en période de soudure.

Si le son et les tourteaux de soja sont déjà exploités, ce n’est pas le cas de la mélasse dont les surplus sont exportés, des grignons d’olives et des résidus de la filière dattes (rebus, pédicelles et même palmes broyées).

A ces coproduits, des chercheurs algériens proposent d’ajouter des sels minéraux et de l’urée pour en faire des aliments complets.

L’International Fund for Agricultural Development (IFAD) et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont contribué au développement de projets en Irak et Egypte.

Depuis 1983, à Noubariya (Alexandrie), une usine produit quotidiennement 45 tonnes d’un mélange mélasse-urée et 6 tonnes d’un mélange solide vendu sous forme de blocs. En Algérie, l’ONAB et les fabricants privés sont absents sur ce marché.

Concurrence entre produits végétaux et animaux

Le rappel de l’interdiction d’utiliser du blé en élevage rappelle le manque en matière de recherche-développement dans le secteur agricole en Algérie.

 L’agro-économiste Omar Bessaoud indique un ratio étonnant : seulement 17 chercheurs pour 100 000 personnes en lien avec le secteur agricole en Algérie.

 Quant à son collègue Slimane Bedrani, celui-ci estime que la steppe est un milieu fragile qui ne peut à lui seul compenser le déficit d’emplois en milieu rural.

L’interdiction de donner du blé au bétail met également en relief la concurrence entre productions de céréales et de viande en Algérie.

Au-delà du blé, même l’orge est une céréale utilisable en alimentation humaine, c’est le cas également du tourteau de soja texturé qui, en Europe, entre à raison de 25% dans les steaks hachés.

Une concurrence exacerbée par le milieu semi-aride de l’Algérie et jusqu’ici non appréhendée par les consommateurs alors que le débat fait rage en Europe.

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