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Algérie – France, Palestine, accords de 1968 : entretien avec Karim Zéribi

Algérie – France, Palestine, accords de 1968 : entretien avec Karim Zéribi

Karim Zéribi, consultant dans les médias, ancien député européen, fait partie des personnes qui font la relation algéro-française. Dans cet entretien, il revient sur l’accord de 1968, la guerre en Palestine, les relations algéro-françaises, la politique arabe de la France…

L’attaque du Hamas contre Israël et la riposte israélienne avec des bombardements aveugles sur Gaza qui subit un blocus inhumain depuis des années ne suscite pas la même indignation en France. Pourquoi la France s’est-elle éloignée de sa politique gaulliste dans le traitement du conflit israélo-palestinien ?

Karim Zéribi : Je voudrais d’abord dire ma peine concernant la perte des populations civiles palestiniennes et israéliennes.

Lorsqu’un enfant, une femme ou une personne âgée meurt suite à des actes de violences ou de barbarie, c’est une émotion intense que je ne peux m’empêcher de ressentir, et ce, sans distinction d’origine, de nationalité ou d’appartenance religieuse s’agissant des victimes.

Notre monde se déshumanise complètement avec l’assentiment de la classe politique à l’échelle planétaire, c’est très inquiétant.

On a parfois l’impression d’être dans une compétition de l’horreur alors que le drame et la douleur touchent des populations civiles. Je ne mélange pas les actes de barbarie sur des femmes et enfants à la cause légitime du peuple palestinien qui est humilié et qui souffre depuis 75 ans.

Concernant la position de la France vous avez raison, celle-ci s’est petit à petit éloignée de sa position historique impulsée par le Général de Gaulle et qui était totalement assumée par Jacques Chirac lorsqu’il était président de la république.

C’est à l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy que la France a abandonné ses grands principes qui consistaient à défendre une solution à deux États viables, capables de vivre côte à côte en toute sécurité, en refusant la politique d’occupation et de colonisation israélienne sur le territoire palestinien définie par l’accord de 1967 qui matérialisait les frontières de ce qui devait être l’État palestinien.

Or, cela fait 56 ans depuis 1967 et cet accord est non respecté par Israël sans oublier les centaines de résolutions de l’ONU qui demande l’arrêt de la colonisation et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

Pourtant, malgré cette réalité dramatique contraire au droit international, la position de la France a évolué en soutien indéfectible à l’égard d’Israël à l’instar de la politique américaine.

C’est fort regrettable, car la France aurait pu être un acteur phare, avec certains pays de l’Union européenne, de la médiation pour trouver les voies de la paix entre Israéliens et Palestiniens.

Plus aucune initiative en faveur de la paix n’a été prise depuis les accords de Taba en 2001. Au cours des 20 dernières années, il faut malheureusement reconnaître que la France a été inexistante concernant le conflit au Proche-Orient.

À ce sujet et plus largement sur la politique vis à vis des pays arabes, je dirai que les femmes et les hommes de droite en France n’ont absolument plus rien de Gaullien, car l’approche du Général de Gaulle a été relayée aux oubliettes de l’histoire par ses propres amis politiques.

En France, une partie de la classe politique plaide pour la révocation de l’accord franco-algérien de 1968 qui régit l’immigration algérienne dans l’Hexagone ? À quoi obéit cet acharnement contre ce texte ?

Karim Zéribi : Cette offensive de certaines personnalités politiques françaises contre l’accord de 1968 est purement politicienne. Il s’agit d’un prétexte pour entretenir une tension dans les relations entre la France et l’Algérie. J’appelle cela la stratégie du chiffon rouge pour raviver des passions malsaines à l’égard de l’Algérie et des Algériens.

La relation franco-algérienne a toujours évolué en dents de scie depuis 1962. Certains politiques français utilisent l’Algérie pour mobiliser un électorat qui peut encore, dans une partie de la société française, entretenir une rancœur vis à vis de l’Algérie.

Pour être tout à fait objectif, il faut reconnaître que certaines personnalités algériennes usent de la même stratégie à l’égard de la relation avec la France.

C’est regrettable, car la France et l’Algérie ont intérêt à adopter un partenariat stratégique dénué de toute approche passionnelle pour laisser place au pragmatisme économique, sécuritaire et géopolitique. Ces deux pays représentent la jonction entre deux continents stratégiques pris dans l’étau de la compétition entre les États-Unis et la Chine.

Il y a, de plus, un besoin urgent sur le plan géopolitique à tisser les bases d’une relation nouvelle entre l’Europe et l’Afrique et cet objectif ambitieux ne peut passer, selon moi, que par l’axe franco-algérien qui doit être générateur de confiance, de respect et de dynamisme économique entre les deux continents.

Vous comprendrez que face à de tels enjeux, le chiffon rouge des accords de 1968 agité par certains politiques Français semble ridicule.

Que reste-t-il de cet accord ? Les ressortissants algériens sont-ils vraiment avantagés en France ?

Karim Zéribi : Rappelons tout d’abord que cet accord entre la France et l’Algérie paraphé en 1968 est un accord bilatéral, ce qui signifie qu’il a été élaboré en total accord entre deux pays souverains.

Cet accord ne doit en aucun cas être considéré comme un cadeau de la France fait à l’Algérie, car à l’époque, où il a été signé, il avait vocation à favoriser l’arrivée de travailleurs algériens sur le sol français pour répondre aux importants besoins de main-d’œuvre économique de la fin des années 1960 et du début de la décennie 1970 en France.

Cet accord intégrait également la possibilité pour le travailleur algérien à faire venir dans un deuxième temps sa famille en France sous condition d’un contrat de travail et d’un toit pour les accueillir dignement.

Aussi, au regard de la dégradation de la situation économique française due au choc pétrolier en 1973, cet accord a été révisé une première fois en 1974, car le besoin de main d’œuvre économique était moindre. Cette première révision posait des restrictions sur le nombre de travailleurs accueillis et sur les secteurs économiques en difficulté.

Ensuite, c’est en 1986, lors des débats houleux sur le thème de l’immigration que Jacques Chirac, alors Premier ministre en période de cohabitation, a souhaité revenir pour la deuxième fois sur cet accord afin de durcir à nouveau les conditions d’entrée des Algériens et de leurs familles en France.

Enfin, c’est en 2001 que l’accord de 1968 a été revu et amendé une troisième fois par les deux parties, française et algérienne, afin, là encore, de poser des règles plus drastiques à l’arrivée d’immigrés algériens en France.

Avec ces trois révisions opérées en 1974, 1986 et 2001, il apparaît clairement que parler des accords de 1968 comme si ces derniers n’avaient jamais évolué est une posture pour le moins démagogique et politiquement malhonnête.

Aujourd’hui, les accords de 1968 ne sont plus aussi avantageux vis à vis des travailleurs immigrés algériens. D’ailleurs, si l’on regarde de plus près les chiffres de l’immigration légale en France, on constate que l’immigration marocaine est aussi importante que l’immigration algérienne, ce qui prouve qu’il n’y a aucun avantage lié à cet accord qui a été en grande partie vidé de son contenu initial.

La France peut-elle révoquer l’accord de 1968 au risque de provoquer une crise majeure avec l’Algérie ?

Karim Zéribi : Cet accord est un accord bilatéral, ce qui signifie qu’il sera nécessaire de solliciter une rencontre bilatérale entre diplomates français et algériens pour engager les discussions en vue d’une nouvelle révision.

Si la France souhaite le dénoncer sans discussion, ce sera perçu comme un manque de respect sur le plan diplomatique du côté algérien, ce qui ouvrira la voie à de nouvelles tensions entre les deux pays.

À la dernière rentrée sociale, on a assisté à une énième polémique concernant les musulmans en France avec l’affaire de l’abaya. S’agit-il d’une volonté d’intimider la communauté musulmane pour l’empêcher de constituer une force capable de peser sur l’échiquier politique ?

Karim Zéribi : L’idée qui consiste à penser que la communauté musulmane serait organisée et structurée en France est un fantasme entretenu notamment par une frange de la sphère politico- médiatique française.

Je puis vous l’affirmer avec conviction; la communauté musulmane n’est en réalité pas du tout organisée en France, contrairement à d’autres communautés qui parlent souvent d’une même voix pour représenter et défendre leurs intérêts.

Contrairement à une idée reçue, les musulmans ne versent pas dans le communautarisme en France. Si c’était le cas, le maire de Marseille serait un Français de confession musulmane, car le poids d’une communauté musulmane organisée à Marseille permettrait cette élection au regard de la démographie et de la sociologie marseillaise.

Le fait de se focaliser sur l’islam et les musulmans participe à cette stratégie de la diversion. La rentrée scolaire française a été marquée par une priorité affichée du ministre de l’Éducation nationale : interdire l’abaya à l’école, car ce vêtement s’apparente, selon lui, à du prosélytisme religieux.

Certains parlaient d’offensive islamiste, de défiance des valeurs de la république ou de haine anti- France…au final, ce sont 68 cas d’abaya sur 12 millions d’élèves !

Dans le même temps, près d’un millions d’élèves sont victimes de harcèlement scolaire, 3.100 professeurs manquaient en cette rentrée, 160.000 enfants sont victimes d’incestes en France et plus de 15% des élèves qui rentrent en 6eme ne savent ni lire ni écrire correctement…en terme de priorité pour cette rentrée scolaire, je crois que l’on s’est trompé de sujet !

La relation entre l’Algérie et la France traverse à nouveau une période de turbulences. La visite du président Tebboune en France est reportée sine-die. Cette relation n’était-elle pas victime d’une sorte d’hypocrisie de part et d’autre de la Méditerranée ?

Karim Zéribi : Je ne pense pas qu’il y ait la moindre hypocrisie entre les président Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. Je peux imaginer en revanche que dans les entourages respectifs des deux présidents, il n’y ait pas que des adeptes à voir la France et l’Algérie entretenir de bonnes relations.

Certains observateurs appellent cela le parasitage de l’Etat profond qui peut jouer un rôle négatif ici et là-bas. Il s’agirait de hauts fonctionnaires ou de lobbyistes qui voient d’un mauvais œil la mise en place d’une relation saine, durable et dynamique entre la France et l’Algérie.

Pour contrecarrer les acteurs nuisibles à cette relation, il faut s’appuyer sur le potentiel humain de la diaspora algérienne et sur l’attachement à l’Algérie de nombreux Français qui sont prêts à contribuer au pacte gagnant/ gagnant qui doit lier la France et l’Algérie.

C’est le message que semble envoyer régulièrement le président Tebboune à la diaspora algérienne implantée partout dans le monde et très présente en France en particulier avec plusieurs millions de Français d’origine algérienne.

En France, la droite fait pression sur le président Macron pour qu’il rééquilibre sa politique maghrébine jugée favorable à l’Algérie au détriment du Maroc. Quel est l’objectif recherché ? Est-ce que c’est pour affaiblir davantage Macron, nuire à la relation franco-algérienne, provoquer la rupture définitive des relations entre les deux pays ?

Karim Zéribi : Il est vrai que des voix politiques s’élèvent sans complexe en France pour dire leur préférence pour le Maroc au détriment de l’Algérie. Parfois, on se demande si ce sont des politiques ou des touristes qui s’expriment tant cela manque de profondeur et de cohérence.

Ces voix négatives laissent entendre que la France devrait faire un choix entre l’Algérie et le Maroc. Il est tout de même surprenant d’appeler à un choix alors que la logique eut été de vouloir entretenir de bonnes relations tant avec l’Algérie qu’avec le Maroc sans s’immiscer dans les tensions qui existent entre ces deux pays voisins qui sont en réalité des pays frères.

Ceux dans la classe politique française qui s’agitent en s’ingérant dans les affaires algéro-marocaines devraient s’occuper de restaurer l’image et le rayonnement de la France dans le monde et sur le continent africain en particulier, là où la France recule grandement !

On entend souvent dire que le président Macron a fait beaucoup à l’Algérie et qu’il n’a rien obtenu en échange. Concrètement, qu’est-ce que la France attend de l’Algérie ?

Karim Zéribi : Le président Macron est peut-être conscient, contrairement à une partie de son entourage et à une partie de la classe politique française, que l’Algérie est un grand pays non seulement par sa superficie, mais par ce qu’il peut développer et représenter dans le monde et sur le continent africain en particulier.

L’Algérie est dans une phase de renouveau et de nombreux observateurs le reconnaissent. Ce renouveau passe par le retour de l’Algérie sur la scène internationale, mais également par une dynamique économique sur le plan intérieur qui doit en faire un pays fort et puissant par sa capacité à produire du made in Algeria, car les ressources humaines et l’environnement le permettent.

Si le retour de l’Algérie sur la scène internationale est acquis, elle doit avoir pour objectif de devenir le phare du continent africain au cours des mois et des années à venir.

En matière de développement économique, l’attente est forte du côté des acteurs économiques, des travailleurs et de la jeunesse algérienne. C’est le grand chantier de l’année 2024 pour le président Tebboune et le gouvernement algérien avec, en fin d’année, une élection présidentielle qui va dessiner ce que sera la grande Algérie en 2030.

Sachez que la diaspora algérienne de France est disponible pour contribuer à faire avancer l’Algérie dans la bonne direction et renforcer la relation entre la France et l’Algérie sur des bases solides et durables.

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