Économie

Algérie : l’urgence d’un plan pour économiser l’eau

Les pluies et la neige de ces derniers jours ne doivent pas éclipser la réalité de l’Algérie qui est un pays aride  aux ressources en eau rare.

Avril 2022, le barrage de Tabellout (Jijel) fait le plein. Les responsables du site sont obligés d’ouvrir les vannes d’évacuation des eaux.

| Lire aussi : Algérie : la neige fait la joie des agriculteurs

Les eaux jaillissent en aval dans l’Oued Djendjen. Puis est venue la sécheresse. Les précipitations actuelles concourent à remplir à nouveau les barrages et leur niveau est attentivement scruté par les autorités.

Ces derniers jours, après plusieurs années de sécheresse, il a beaucoup plu et neigé en Algérie. Ce don du ciel éclipse la réalité de l’Algérie : un pays aride aux ressources en eau rares.

| Lire aussi : L’Algérie parmi les 30 pays les plus vulnérables au stress hydrique

Début janvier, lors de la réunion du Conseil des ministres, le président Abdelmadjid Tebboune a demandé de « créer un plan d’urgence visant à mettre en place une nouvelle politique permettant d’économiser l’eau à l’échelle nationale et de préserver la richesse hydrique souterraine ». L’Algérie découvre l’aridité du climat.

Des nappes qui se remplissent

L’épisode pluvieux se prolonge. Des pluies qui ont rechargé les nappes, mais il est trop tôt pour établir un bilan ; les services de l’hydraulique doivent réaliser les relevés piézométriques au niveau des puits de référence. Un bilan d’autant plus difficile à établir que les autorisations de forage accordées aux agriculteurs sont en augmentation.

| Lire aussi : Stress hydrique : l’Algérie dans la pire catégorie

Aux forages officiels viennent s’ajouter ceux creusés illégalement dans un jardin, une cour ou en bout de champs. Dans la Mitidja, les engins de forage sont parfois peints en vert pour se confondre dans la masse des orangers et éviter d’être repérés par les services de l’hydraulique.

L’agriculture absorbe 70% des prélèvements d’eau

Que ce soit à Mascara, Rechaiga (Tiaret) ou dans la vallée de la Soummam (Bejaia), le niveau des nappes a considérablement baissé ces dernières années.

Au mois d’août, le quotidien El Watan rapportait que « le niveau d’eau des puits a enregistré une baisse effarante. Même les ouvrages qui ont été approfondis, durant l’été dernier, ont connu un déclin considérable dès la 2ème moitié du mois de juillet. »

| Lire aussi : Forages illicites, plongée dans l’Algérie profonde

A Rechaïga, des agriculteurs ont parfois dû abandonner la production de légumes et revenir à celle des céréales à cause du manque d’eau. Ceux qui possèdent des forages déclarés en viennent à dénoncer les forages illicites.

Les services agricoles vulgarisent l’irrigation par goutte à goutte bien plus économe de l’eau que celle par aspersion. En Algérie, nombreux sont les agriculteurs qui adoptent cette nouvelle technique mais l’eau économisée leur permet d’irriguer plus de surfaces. Aussi, la part de l’agriculture dans l’utilisation des ressources hydriques reste dramatiquement à 70% au grand dam des autorités.

Le casse-tête des cultures gourmandes en eau en Algérie

Faudra-t-il réduire les cultures de pastèque et de melon gourmandes en eau?

Réutiliser les eaux épurées des stations de traitement des eaux usées constitue un gisement non négligeable. Mais, le taux avoisine à peine 1% en Algérie contre 14% en Espagne et 90% à Chypre. Les techniques de lagunages permettent l’action naturelle des UV et la destruction d’éventuels germes infectieux.

Dessalement d’eau de mer

En Algérie, l’adduction en eau potable doit composer avec les 70% de la ressource réservée à l’agriculture et les besoins de l’industrie. A lui seul le complexe sidérurgique d’El Hadjar a besoin de 1.500 m3 par heure pour fonctionner.

Multiplier les forages sur le littoral est impossible. L’excès des prélèvements a révélé un phénomène inquiétant : l’intrusion de l’eau de mer dans la nappe d’eau douce.

Pour les villes du littoral, l’approvisionnement des villes passe aujourd’hui par le dessalement de l’eau de mer. Lors de la réunion du Conseil des ministres, le Chef de l’Etat a demandé « d’élaborer un plan pour la généralisation des stations de dessalement de l’eau de mer tout le long de la bande côtière. »

Un dessalement énergivore et cher en membranes. En mai dernier le quotidien El Watan rapportait les propos d’un expert : « Chaque station consomme 9072 membranes par an (…), le coût d’une membrane s’élève à 500 dollars US, le prix de réalisation d’une station avoisine 200 millions US.»

Développement des piscines

Parmi les utilisateurs d’eau, on compte une nouvelle catégorie d’usagers : les propriétaires de piscines. Les hôtels ont été les premiers à s’équiper. Chaque complexe hôtelier possède aujourd’hui la sienne.

Ce marché naissant a attiré le français Desjoyaux. Signe de sa pénétration du marché local, l’entreprise possède des bureaux à Hydra (Alger) et même un site internet. Desjoyaux.dz va jusqu’à proposer aux clients des études personnalisées. Le marché est en pleine croissance en Algérie.

En 2017, Hamiani Youcef, le directeur général de Piscines Desjoyaux Algérie indiquait que : « Les ventes ont quintuplé, passant de 50 piscines à 250 piscines écoulées annuellement » et précisait l’importance des commandes des groupes hôteliers du sud. Fait nouveau, il signalait parmi sa clientèle « des particuliers attirés globalement par les petites dimensions, de 10 mètres carrés ».

Ces piscines contribuent à la hausse de la demande en eau dont celle consommée évaporation. En été, ce sont 2 cm d’eau qui s’évaporent chaque jour des bassins.

Des citernes sur les terrasses et balcons

Là où le bât blesse, c’est que les propriétaires de piscines payent l’eau au même prix qu’un simple consommateur, c’est-à-dire au tarif subventionné par l’Etat.

Un consommateur qui est parfois obligé d’installer une citerne sur sa terrasse pour éviter les coupures d’eau. Eté 2021, la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (SEAAL) annonce la mise en œuvre « d’un programme d’urgence pour la distribution d’eau », immédiatement c’est la ruée vers l’achat de citernes.

A Alger, le commerce des citernes est devenu florissant; des citernes en plastique de couleur verte ou bleue de 500, 1.000 ou 2.000 litres produites par rotomoulage. Un procédé technique aujourd’hui parfaitement maîtrisé localement.

Les coupures d’eau ont entraîné l’apparition de la vente d’eau par camions citernes y compris à Alger. Les heureux propriétaires de puits se sont équipés et dans les grandes villes ont même leur marché de l’eau.

Des barrages menacés par l’envasement, les fuites et l’évaporation

Les barrages sont également concernés par l’évaporation de l’eau. Auteur d’une étude remarquée en 2010, l’universitaire Remini Boualem tire la sonnette d’alarme. Armé d’un bac Colorado installé à proximité de différents barrages, il a mesuré l’intensité du phénomène. Durant la saison 1992/1993, il a établi que l’évaporation a culminé à 350 millions de m3 d’eau.

A cela s’ajoutent les fuites et l’envasement des barrages. En juillet 2021, face à la baisse des disponibilités en eau, le ministère des Ressources en eau a lancé plusieurs opérations de dévasement : 2 millions m3 à Fergoug (Mascara), 4 à Ghrib (Ain Defla), et 5 autres à El Hamiz (Boumerdès).

Six autres barrages doivent suivre pour un total de 44 millions de m3. Désenvaser entièrement un barrage coûte cher. Dans certains cas, il est préférable d’en construire un nouveau. Problème, les sites ne sont pas légion.

Sobriété et anticipation

Les fuites ne concernent pas que les barrages, c’est également le cas des réseaux d’eau potable. En novembre 2021, Amine Hamadane, directeur général adjoint de la Société d’eau et d’assainissement d’Alger indiquait que les fuites d’eau représentent 30 à 40% des volumes distribués dans la capitale.

Les pluies actuelles constituent un répit. Le défi du « plan d’urgence » gouvernemental sera de répondre à la diversité des situations concernant l’usage de l’eau.

En 2021, lors d’un passage sur les ondes de la Radio Algérienne, le professeur Ahmed Kettab a proposé une révision de la grille tarifaire en tenant compte des bas revenus : gratuité pour les premiers 9 m3, tarif qualifié de « social » de 9 à 30 m3, tarif « normal » de 30 à 50m3 comprenant un minimum de subventions publiques puis un tarif « confort » au-delà de 50 m3 avec un prix réel de l’eau.

Au gaspillage de l’eau potable qui se perd dans les réseaux d’adduction vétustes et mal entretenus s’ajoute le manque de recyclage des eaux usées qui polluent nos rivières et nos villes, alors qu’elles peuvent être réutilisées dans l’agriculture et l’industrie.

Le défi du plan gouvernemental sera d’intégrer les notions de sobriété et anticipation, mais aussi de justice sociale afin d’obtenir l’adhésion des utilisateurs de l’eau, une ressource de plus en plus rare en Algérie.

Les pluies et la neige qui sont tombées sur plusieurs wilayas ces derniers jours ne doivent pas éclipser la réalité de l’Algérie qui est un pays aride. Un plan d’économie de l’eau est indispensable pour éviter le gaspillage de cette ressource vitale et assurer la sécurité hydrique du pays.

Les plus lus