Économie

Céréales : ce que l’Algérie peut apprendre de l’Australie

Pour le Pr Arezki Mekliche de l’École nationale supérieure d’agronomie, l’Algérie possède un potentiel permettant de produire 100 millions de quintaux de céréales par an.

Les meilleures années, seulement les deux tiers de ce chiffre sont atteints. Il est intéressant d’examiner comment travaillent les céréaliers dans les pays exportateurs de céréales.

Parmi les principaux producteurs mondiaux de blé, deux pays se distinguent par leur savoir-faire, le Mexique et l’Australie. Le premier exporte du blé dur depuis 2006 et a bénéficié de l’implantation du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (Cimmyt).

Ce centre a mis à la disposition du Mexique ses collections de blé dur à haut rendement. L’objectif du Cimmyt consiste également à contribuer à l’augmentation du rendement et de l’amélioration de la qualité des blés durs à l’international.

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Au milieu des années 1970, l’Algérie a introduit des variétés d’origine mexicaine dont le fameux Siete Cerros. Pour exprimer tout son potentiel, ce type de blé à haut rendement nécessite un semis de qualité, une fertilisation adéquate et un désherbage parfait.

À l’époque, ces conditions n’étant pas réunies dans les domaines autogérés, les blés mexicains ont souvent déçu. Plus grave, leur courte taille a fait que ces blés produisaient moins de paille que les variétés locales.

Or cette paille est indispensable pour l’élevage. Aussi, les variétés mexicaines ont été progressivement abandonnées. Par contre au Mexique, à la faveur de l’Accord de libre-échange d’Amérique du Nord (Alena), un processus d’insertion de l’agriculture mexicaine dans le marché nord-américain s’est enclenché. Il a profité à de grandes exploitations qui se sont rapidement modernisées. À partir de 2006, le Mexique a exporté du blé dur dont une partie est produite en recourant à l’irrigation.

En Australie, pays semi-aride, le marché du blé a été complètement dérégulé à partir de 1989; il est aujourd’hui dominé par des multinationales spécialisées dans le négoce du grain telle Cargill.

Comme en Algérie, l’agriculture en Australie est sous contrainte hydrique. Mais ces conditions semi-arides n’empêchent pas la production de céréales et leur exportation.

Les rendements sont de l’ordre de 20 à 30 quintaux par hectare. Dans ces conditions, l’équilibre économique des exploitations passe par une maîtrise des charges opérationnelles (semences, engrais, phytosanitaires, carburant) et de structure (foncier, main d’œuvre, mécanisation).

Le matériel utilisé est moderne et peut être amorti rapidement grâce à la grande taille des exploitations (2 000 à 4 000 hectares). La chasse aux dépenses inutiles est le maître mot. Ainsi, les itinéraires techniques sont simplifiés à l’extrême et on ne compte qu’un seul ouvrier pour 1 000 hectares.

Une agriculture compétitive et technologique

Les céréaliers australiens pratiquent essentiellement une agriculture de conservation, c’est-à-dire sans labour. C’est le cas dans 90 % des surfaces du Mallée et du Wimmera, deux régions céréalières du sud-est.

Avec 400 mm/an le Wimmera reçoit près du double de précipitations que le Mallée. Les sols sont souvent hétérogènes et acides avec des limons sableux sur calcaire, des argiles profondes. Les sols très anciens d’Australie sont marqués par des cas de toxicité en bore, de carences prononcées de zinc.

En une vingtaine d’années, les céréaliers ont abandonné le labour (trop coûteux en temps et en carburant) et la pratique du dry farming tel qu’il est encore pratiqué en Algérie. Cette pratique consiste à laisser, une année sur deux, le sol sans culture.

Cet engouement pour le non-labour avec semis direct est en partie lié au contexte économique. L’absence de subventions publiques a obligé les exploitations australiennes à une réduction drastique des charges de mécanisation et de main-d’œuvre.

Le non-labour présente l’énorme avantage de réduire les pertes en eau du sol dues à l’évaporation. Son inconvénient est de ne pas éliminer totalement les mauvaises herbes. Mais cet inconvénient a été contourné par l’emploi de glyphosate dont le prix est peu élevé.

 Afin de lutter contre les mauvaises herbes et les parasites associés au blé, la solution a également consisté à abandonner la monoculture des céréales. À la culture du blé est venu s’ajouter celle du colza et des légumineuses. Ces dernières sont réservées aux situations les plus favorables.

Aujourd’hui les rotations comprennent du colza suivi de blé puis d’orge dans le Mallée. Dans le Wimmera, avec 400 mm de pluie par an sur des sols argileux, les rotations comportent plus de diversité : pois chiche, blé, lentille, blé, colza puis orge. Afin de maintenir la fertilité des sols, après récolte, la paille est systématiquement broyée et laissée au sol alors qu’en Algérie le moindre brin de paille est destiné à l’élevage.

Une conduite « extensive » du blé

Les rendements sont impactés par la disponibilité en eau, aussi tout est fait pour valoriser l’humidité du sol. La lutte contre les mauvaises herbes est impitoyable. En été, après récolte, il n’est pas rare de voir des pulvérisateurs de 30 mètres d’envergure parcourir les chaumes à toute vitesse pour éliminer les quelques chardons et autres mauvaises herbes estivales. Un même engin peut pulvériser deux herbicides différents, cette pratique du “double knock” permet d’éliminer les mauvaises herbes résistantes aux herbicides.

À l’automne, en cas de présence de mauvaises herbes, une pulvérisation de glyphosate est opérée. Au semis, un herbicide de prélevée, la trifluraline, est incorporé au sol. Dans le Mallée, la dose de semis est en moyenne de 50 kg/ha (contre 100 à 120 kg/ha en Algérie). Le plus souvent il s’agit de semences fermières dont une partie est régulièrement renouvelée par des variétés nouvelles.

Les semoirs à dents sont privilégiés. Leur grande vitesse d’avancement permet aux dents de projeter de la terre et ainsi d’enfouir la trifluraline évitant son évaporation.

Ce désherbage de pré-émergence élimine très tôt les mauvaises herbes. Le blé se développe d’autant mieux qu’une partie de l’engrais a été apportée au semis à proximité des semences. En Algérie l’engrais est épandu sur toute la largeur des champs, les herbicides ne sont présents que sur 25 % des surfaces et utilisés tardivement.

Si le printemps est pluvieux, un autre apport d’engrais est réalisé sur la culture et un deuxième désherbant est utilisé. Le plus souvent du 2.4 D, un herbicide à faible coût.

Dans des zones favorables recevant 600 mm de pluie, l’itinéraire technique est plus élaboré : doses plus élevées de semences et d’engrais, utilisation de fongicides et d’herbicides plus sophistiqués.

Les actions contre la résistance aux herbicides

Les nombreuses matières actives utilisées sont des génériques. Certaines de ces matières ne sont plus homologuées en Europe mais le sont encore en Australie : trifluraline, atrazine, simazine, diuron.

Comme en Algérie, des variétés de colza de type Clearfield sont utilisées. Ces variétés de colza sont résistantes aux puissants herbicides du groupe des imidazolinones. Depuis 2008, des variétés de colza OGM sont utilisées par les fermiers australiens, elles sont adaptées à l’utilisation du glyphosate sur culture.

La monoculture des céréales a favorisé tout un cortège de mauvaises herbes particulièrement difficiles à éliminer. Plus grave est l’apparition de résistances aux herbicides ; c’est le cas avec le ray-grass.

En réponse, les services agricoles préconisent l’alternance des catégories d’herbicides utilisés, la rotation des cultures et la réduction des semences de mauvaises herbes présentes dans le sol.

Lors de la récolte, ces semences qui ressortent à l’arrière des moissonneuses-batteuses avec les menues pailles et qui traditionnellement tombent au sol sont broyées ou récupérées dans des remorques “chaff carts” et sont utilisées pour nourrir le bétail ou sont brûlées. Cette méthode permet d’intercepter jusqu’à 85 % des semences de ray-grass résistant aux herbicides.

Matériel agricole, des innovations permanentes

Le matériel utilisé est de taille impressionnante : 16 mètres pour les semoirs tirés par des tracteurs de 350 à 400 chevaux, 30 mètres pour les pulvérisateurs et 10 mètres pour les engins de récolte contre 3 fois moins en moyenne en Algérie.

L’abandon du labour a permis de réaliser en un seul passage le désherbage, le placement de la semence et de l’engrais. En Algérie, ce sont 5 à 6 passages de tracteurs qui sont nécessaires pour le même résultat.

Les semoirs à dents possèdent une roue plombeuse derrière chacune de leur dent. Lors de leur passage ces dents forment un sillon au fond duquel sont déposés la semence et l’engrais. La roue plombeuse tasse le sol et consolide le sillon. Ainsi, lors des premières pluies, l’eau s’accumule au fond du sillon qui forme un impluvium et favorise donc la germination.

Le GPS équipe les engins agricoles, et grâce au “controlled farming traffic”, il permet leur passage au même endroit dans les champs. Le but est de réduire la compaction du sol sur les parcelles et de favoriser le développement des racines à la recherche de l’eau.

Le système WeedSeeker des pulvérisateurs comporte des buses dont l’ouverture est commandée par des capteurs détectant les mauvaises herbes dans les chaumes. Dans ses parcelles d’essais de l’université du sud de l’Australie, le Pr Jack Desbiolles teste de nouvelles dents de semoirs au profil particulier qui devraient permettre de doubler la vitesse de semis.

En Australie, la recherche agronomique colle aux réalités du terrain. Universitaires mais également agronomes participent à des programmes de recherche dont les orientations sont décidées en commun accord avec les organisations agricoles.

Des exploitations agricoles fortement endettées

Les exploitations ne sont pas à l’abri des aléas climatiques et de la chute des cours. Dans son étude “L’agriculture australienne, un modèle au bord de la faillite ?“, Guillaume Joyau rappelle qu’à partir des années 80, l’État s’est progressivement retiré du secteur agricole, et a démantelé les barrières douanières laissant le marché et les opérateurs privés gérer ce secteur.

En 4 ans, dans le Queensland, l’exploitation Walton a connu deux sécheresses et une inondation. Très endettée, cette exploitation de 12 000 ha a été mise en liquidation. Malgré un système de production extensif, une faible utilisation de main d’œuvre et une taille permettant des économies d’échelle et donc des coûts de production très faibles, l’exploitation avait accumulé une dette de plus de 30 millions de dollars australiens. La dette des exploitations agricoles serait évaluée à 66 milliards de dollars australiens. Un fonds financé par la Banque centrale d’Australie devrait permettre la mise en place d’aides spécifiques.

L’Algérie, 30 ans de retard

Une débauche de chimie et un gigantisme caractérisent les exploitations céréalières d’Australie. Mais ce qui est remarquable est cette permanence de l’innovation face aux conditions du milieu semi-aride et l’ultra-libéralisme. Pour le spécialiste australien Jack Desbiolles, coutumier des missions en Syrie, Irak et Algérie, en matière de céréaliculture, ces 3 pays ont 30 ans de retard par rapport à ce qui se fait en Australie.

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