Économie

Céréales : comment l’Algérie peut augmenter les rendements

« Les rendements (céréaliers) ont été inhabituellement bas en Algérie cette année. Cela nous montre à quel point nous devons travailler plus dur pour trouver des solutions. »

Ce constat, certes poli mais sévère sur les rendements céréaliers en Algérie, est de Barbara Rischkowsky, chef d’équipe au Centre international de recherche sur l’agriculture dans les zones sèches (Icarda).

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Agriculteurs et spécialistes réunis à Sétif

Dans son domaine, avec plus de 160 publications scientifiques, Barbara Rischkowsky est une sommité.

La spécialiste souligne le difficile contexte climatique de l’Algérie : « L’Afrique du Nord est très vulnérable au changement climatique. »

En cette mi-juin, plusieurs spécialistes algériens et étrangers ainsi que quelques agriculteurs sont réunis au Novotel de Sétif. Cet atelier vise à faire le point sur un programme régional pluriannuel qui porte sur l’association entre céréales et élevage.

Objectif : favoriser la complémentarité entre ces deux productions qui parfois entrent en concurrence. Plutôt que considérer le développement agricole comme une mobilisation toujours plus grande de moyens naturels comme les terres et les ressources en eau, ce programme vise une montée en compétence à travers une meilleure utilisation des pluies et la préservation de la fertilité des sols.

Ce programme vise le sud de la wilaya de Sétif. Il s’agit de zones marginales aux sols peu profonds et aux printemps gélifs avec des rendements moyens d’une douzaine de quintaux de blé par an.

Pour l’Icarda, l’augmentation des rendements des céréales en Algérie passe par l’adoption de techniques spécifiques comme celles développées en Syrie et en Irak. De 2006 à 2011, les travaux d’experts basés à Alep ont permis le doublement du rendement de la culture de lentille tout en réduisant les charges.

Contre la sécheresse, cultiver sans labourer

Afin de tenir compte du réchauffement climatique, l’Icarda prône l’abandon du labour et le recours au semis direct.

Réuni sous l’appellation d’Agriculture de Conservation, le semis direct est associé à deux autres principes de base : rotation des cultures et maintien d’un minimum de paille au sol.

L’utilisation simultanée de ces techniques permet d’améliorer les rendements dans des zones recevant moins de 300 mm de pluie par an et cela tout en protégeant le sol de l’érosion.

La présence de l’élevage du mouton complique la mise en place de cette stratégie car traditionnellement la paille est utilisée comme fourrage et les terres ne sont travaillées qu’une année sur deux pour servir de jachère pâturée.

Le mérite de ce programme est d’avoir tenu compte des particularités locales. Pour le spécialiste tunisien Aymen Frija, « l’une des réussites du programme a été de casser les cloisons entre les domaines d’expertise : spécialistes des productions animales et végétales, économistes, chercheurs, développeurs, secteur privé et associations d’agriculteurs ont tous collaboré pour atteindre les mêmes objectifs. »

A Sétif, déjà 24 semoirs pour semis direct

Durant les dix années du programme, ce sont 241 agriculteurs qui ont été associés aux actions de vulgarisation ; ce qui représente près d’un millier d’hectares.

Sans même recourir à l’irrigation, les résultats obtenus sont probants. Le travail minimum du sol en remplacement du labour a permis des gains moyens de rendement de 1,5 à 4,5 quintaux par hectare tout en réduisant les charges de 10 à 17 %.

Quant aux agriculteurs qui ont choisi le semis direct, ce gain est de 6 à 14 qx/ha avec une diminution des charges de 13 à 24 %. L’explication réside dans une meilleure infiltration de l’eau de pluie dans le sol et dans l’économie des 25 litres de carburant auparavant utilisés pour labourer chaque hectare de terre. Abandonner le labour nécessite cependant une lutte acharnée contre les mauvaises herbes comme le brome.

Pour les moutons, des fourrages mieux que la paille

A Sétif, la présence traditionnelle de moutons assure un complément de revenu intéressant aux exploitations. Pour éviter toute concurrence entre céréales et moutons, la solution réside en la production accrue de fourrages récoltés ou pâturés.

La partie tunisienne a présenté ses réalisations dont une première en Tunisie : la commercialisation de mélanges de semences prêts à être semés.

Ces semences sont commercialisées par le groupe privé Hortimag et notamment sa filiale Cotugrains. Celle-ci développe une politique de contrats avec des agriculteurs qui se spécialisent dans la production de semences fourragères.

Aux traditionnels fourrages naturels des jachères, il est aujourd’hui possible de semer des mélanges comportant vesce, triticale, avoine et fenugrec.

A Aïn El Bey, (Constantine) l’agriculteur Mohamed Haroun, co-gestionnaire d’Agro-Enrubannage, une société de prestation de services, propose un mélange fourrager comportant graminées, légumineuses et colza. La société Axium développe également un ambitieux programme de production de semences.

Ces mélanges sont beaucoup plus riches et peuvent permettre de réduire les tensions sur la demande en paille. Une paille qui pourrait alors être utilisée pour protéger les sols de l’érosion.

A Sétif, pour la seule année 2021, ce sont plus de 8 234 moutons qui ont bénéficié de ce type d’alimentation.

Une goutte d’eau dans l’océan ?

Les initiateurs de ce programme ont tenu à toucher le maximum d’agriculteurs. Ils ont multiplié les rencontres et les brochures de vulgarisation en langue arabe : santé des animaux, fourrages, rotation des cultures, lutte contre les mauvaises herbes et fertilisation.

Un total de 8.000 moutons a été concerné sur un cheptel national de plus de 20 millions de têtes ainsi qu’un millier d’hectares a été concerné sur les 8 millions de terres céréalières. Une goutte d’eau dans l’océan ? En fait, il s’agit de constituer une référence.

Comme le fait remarquer Mohamed Lehadi Sakhri, directeur général de l’Institut Technique des Grandes Culture en Algérie : « L’atelier de clôture du programme nous donne une occasion en or de réfléchir sur les expériences et d’échanger des pratiques, des connaissances et des résultats. Cet esprit de synergie apportera beaucoup de valeur ajoutée et de résilience. »

Sages paroles pour suivre le cap tracé par le Dr Barbara Rischkowsky : « Travailler plus dur pour trouver des solutions » et, face au réchauffement climatique, les généraliser à l’ensemble du territoire.

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