Économie

Crise de l’huile de table : les limites d’une gestion à la hussarde

Les Algériens ont l’habitude de subir épisodiquement des pénuries doublées d’une hausse des prix de tous types de produits, notamment ceux de première nécessité, subventionnés ou non.

Les causes sont généralement les mêmes et connues de tous les économistes : augmentation des coûts de revient à la production ou de la matière première sur les marchés internationaux, spéculation, sur-taxation ou même des restrictions sur les importations, comme c’est le cas depuis plus de deux ans pour les véhicules.

Mais ce qui se passe depuis quelques semaines avec l’huile de table échappe à toute logique économique. Comment expliquer en effet que les usines qui la produisent continuent à tourner à plein régime, enregistrant même des surstocks, et que, au même temps, elle est presque introuvable sur les étals des grandes et petites surfaces ?

Au tout début de la pénurie, beaucoup l’avaient naturellement liée à des difficultés au niveau de la production, conjuguée à la hausse des prix de la matière première sur les marchés mondiaux.

Mais le principal producteur national a démenti tout dysfonctionnement au niveau de ses unités. Le communiqué du groupe Cevital daté du 19 mars est d’une limpide clarté : « Nous tenons à rassurer l’ensemble de nos concitoyens de la disponibilité en quantités suffisantes de nos différents produits, notamment les huiles et le sucre, sans aucune augmentation des prix. En plus des stocks importants réservés aux cas de fortes demandes, notre usine de Béjaïa continue à fonctionner à pleine capacité. Sa production à elle seule couvre les besoins du marché algérien à 200 %. Cela sans compter les volumes produits par les trois autres opérateurs qui permettent de couvrir 100 % des besoins de notre marché. »

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Cevital rassure sur la disponibilité de l’huile de table

Et par-dessus tout, le groupe d’Issad Rebrab assure que tous ses moyens logistiques « sont déployés pour assurer l’acheminement de (ses) produits à travers tout le territoire algérien ».

Ce lundi, Issad Rebrab a assuré lui-même qu’il n’y aucun problème de production de l’huile, au contraire, son groupe dispose de surstocks de ce produit.

Ce que soutenait la veille déjà le porte-parole de l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA).

« Ce qu’il faut savoir c’est qu’il n’y a pas de pénurie en huile de table. Tant au niveau des fabricants que dans le réseau de stockage, l’huile est disponible. La matière première est également disponible chez les producteurs », déclarait Hadj Tahar Boulanouar à TSA, le 18 mars.

Où se situe donc le problème ? La réponse vient du même représentant des commerçants. « Ce qu’il y a, c’est que certains opérateurs n’ont pas voulu la distribuer ou la vendre, surtout après la décision d’imposer la facturation. C’est l’obligation de facturation qui a fait que les commerçants et les distributeurs refusent de vendre l’huile de table ».

En fait, tout a commencé avec des contrôles opérés par le ministère du Commerce sur la facturation. Ces contrôles ont poussé les commerçants à observer une grève originale en signe de protestation. Car, l’obligation de facturation induit pour les commerçants la déclaration au fisc de la totalité de leur chiffre d’affaires.

Ce dont ils ne veulent pas pour deux raisons. D’abord, ils achètent une partie de leurs produits sans facture chez les grossistes qui eux utilisent des prête-noms pour échapper au fisc. Donc, les détaillants ne peuvent facturer des produits achetés sans factures.

| Lire aussi : Tension sur l’huile de table : Issad Rebrab réagit

Remake du scénario de 2011, les émeutes en moins

Ensuite, la facturation signifie la déclaration de la totalité du chiffre d’affaires, et donc des impôts et taxes en plus à payer à l’État. Ce dont ils ne veulent pas. Ajouter à cela, la faiblesse des marges bénéficiaires réalisées sur la vente de l’huile, qui est beaucoup plus un produit d’appel dans les magasins.

« C’est la réduction de la marge bénéficiaire des grossistes, qui ne dépasse pas les 5 DA pour les bidons de 5 litres, qui a engendré cette crise (…) La majorité des commerçants ne veut plus vendre ce produit à cause de la petite marge », explique pour sa part le président de l’Association de protection et orientation du consommateur et son environnement (Apoce), dans une déclaration à El Watan.

La spéculation a fait le reste. Quotidiennement, les médias font état de découverte par les services du commerce et de sécurité d’entrepôts où des quantités importantes d’huile sont stockées en prévision du Ramadan.

Ce qui se passe autour de l’huile de table rappelle étrangement les événements de début 2011, les émeutes en moins. À l’époque, une hausse des prix du sucre et de l’huile avait donné lieu à une colère sociale et des émeutes aux quatre coins du pays. Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, les avait imputées à des « lobbies » qui sentaient leurs intérêts menacés par l’intention du gouvernement d’imposer et de généraliser la facturation sur toutes les transactions commerciales. Le gouvernement avait fini par céder.

Dix ans après, le gouvernement n’a pas appris la leçon et le problème se pose de nouveau, même si cette fois les « lobbies » ne sont pas mis en cause. Faut-il donc céder définitivement et laisser le marché en proie à l’informel et au défaut de facturation ? Sans doute pas et il faut souligner l’importance de mettre fin au phénomène.

Ce qu’il y a lieu de contester c’est cette gestion à la hussarde doublée d’une politique-spectacle qui caractérise certains départements ministériels.

Mettre de l’ordre dans la filière, imposer la facturation et combattre le phénomène des prête-noms dans les registres de commerce des grossistes et des importateurs, c’est bien, y aller progressivement en prenant en compte la réalité du terrain et l’avis de tous les acteurs, c’est mieux.

Un tel redressement devrait survenir dans le cadre d’une réforme fiscale globale qui mettrait fin à cet engrenage qui n’en finit pas : pour compenser le manque à gagner causé par l’informel, l’État met davantage de pression fiscale sur les activités légales dont beaucoup ne trouvent d’échappatoire que d’aller grossir la sphère informelle.

L’Algérie est l’un des pays au monde qui taxe fortement ses entreprises et ses commerces, mais cela ne se traduit pas par des recettes fiscales importantes, en raison de l’évasion fiscale et l’importance du marché de l’informel où circulent plus de 6.000 milliards de dinars. C’est le paradoxe algérien : les taxes et les impôts sont élevés, mais les recettes fiscales sont faibles.

Au lieu de lancer une véritable réforme fiscale avec l’objectif de réduire la pression fiscale sur les opérateurs légaux en élargissant l’assiette fiscale, le gouvernement continue son bricolage.

Les décisions brusques n’ont jamais rien arrangé et l’Algérie vient encore une fois de le vérifier à ses dépens en se retrouvant dans cette situation paradoxale : alors qu’une seule usine du pays peut couvrir 200 % des besoins nationaux, les citoyens courent derrière un bidon d’huile.

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