Économie

Crise sanitaire Covid-19 en Algérie : quels sont les retombées et les enseignements à tirer ?

Quel est l’impact de la crise sanitaire provoquée par le Coronavirus sur l’économie nationale ?

Brahim Guendouzi, professeur d’économie : A l’instar de la plupart des pays à travers le monde, la pandémie du coronavirus touche également l’Algérie, dont les retombées sont humaines et sanitaires mais également économiques et sociales. Le premier impact de l’épidémie du coronavirus est évidemment sur le secteur de la santé lui-même. Nous sommes au début de la crise sanitaire dont la gestion nécessite des ressources financières considérables pour la prise en charge de l’ensemble des établissements de santé en termes de frais liés aux soins, à la mortalité et à la morbidité, mesures de protection, réorganisation, renforcement en personnels, etc. Aussi, l’effort financier est amené à durer dans le temps car l’ampleur de la pandémie impose une vigilance qui va au-delà du très court terme.

L’autre impact touche le tissu économique dans son ensemble. Le confinement de la population a amené de nombreuses entreprises à cesser toute activité. Le manque à gagner est énorme, avec comme conséquence une menace sur l’avenir de nombreuses entités économiques particulièrement la population des PME. D’autres entreprises ont dû réadapter leurs programmes de production pour répondre aux besoins de la population en produits pharmaceutiques, produits alimentaires, etc.

Sur le plan social, la retombée sur l’emploi fut immédiate dès lors qu’un grand nombre de travailleurs journaliers ou artisans se sont retrouvés sans travail et donc sans revenus. Il y a aussi d’importantes suppressions de postes de travail dans certains secteurs d’activités qui subissent directement les effets de la crise sanitaire comme les transports, le BTP, l’hôtellerie, etc.

Les finances publiques vont certainement connaitre un ajustement conséquent du fait que les dépenses et les recettes prévues dans la loi de finance 2020 sont aujourd’hui remises en cause. La nouvelle loi de finance complémentaire 2020 en préparation va certainement introduire des mesures à même de recadrer la nouvelle situation économique du pays.

Enfin, l’économie algérienne étant extravertie, subit les conséquences de la récession économique mondiale que ce soit à travers ses revenus extérieurs liés au brusque revirement du marché pétrolier, que par rapport à ses approvisionnements dans la mesure où ses principaux fournisseurs (Chine, France, Italie et Espagne) sont eux mêmes gravement confrontés à la pandémie du coronavirus.

Des voix s’élèvent pour appeler à la relance de la planche à billets pour faire face à la crise sanitaire et économique. Quel est votre avis ?

Il me semble que la Banque d’Algérie (BA) ne va pas accepter de relancer la planche à billet telle qu’elle a été appliquée il y a deux ans de cela, parce qu’elle vient d’abaisser le taux des réserves obligatoires, c’est-à-dire qu’elle vient de relâcher la contrainte sur les banques. Ce qui veut dire que la BA donne plus de possibilités aux banques de donner des crédits.

Il y a une proposition intéressante qui a été faite par les deux experts Raouf Boucekkine et Nour Meddahi  et qui consiste à distribuer des dividendes que possède la Banque d’Algérie au Trésor. J’y adhère parfaitement. Il me semble que c’est la formule la plus adéquate. Ce procédé est un financement monétaire qui consiste à distribuer un dividende que la BA possède et le mettre sans aucune contrainte à la disposition du Trésor public. L’avantage de cette formule est qu’il n’y aura pas d’endettement interne du Trésor. La loi de finance 2017 dans son article 120 a prévu cela. La BA peut recourir à un financement monétaire sans aller au financement non conventionnel lequel suppose des titres du Trésor et des montants que la BA ne peut pas elle-même maitriser.  Donc le recours à la planche à billets non, le financement monétaire oui.

De nombreuses entreprises sont durement touchées par la crise provoquée par le nouveau coronavirus Covid-19. Quelles sont les mesures que vous voyez nécessaires pour les remettre à flot et leur permettre de reprendre leurs activités ?

Le think tank CARE vient de rendre public un certain nombre de propositions concrètes à mettre en œuvre en faveur des entreprises du fait de la situation de fragilité dans laquelle elles se trouvent.

Nécessairement, les pouvoirs publics vont annoncer d’autres mesures dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2020, destinées à renforcer la résilience des entreprises dans ce contexte de crise économique. Cependant, les équilibres macroéconomiques restant fragiles du fait de l’importance des déficits tant internes qu’externes, les arbitrages s’avéreront difficiles et contraignants.

Aussi, toutes les possibilités de financement doivent être examinées dans une démarche stratégique exigée par la complexité de la situation actuelle du pays, y compris le financement monétaire de la Banque d’Algérie en faveur du Trésor au-delà de ce qui est prévu par l’article 102 de la loi de finance 2017. Sur le plan du financement interne, des possibilités existent aussi bien dans le système bancaire que dans la finance participative dont la Banque d’Algérie vient justement de lui consacrer le règlement n°20-02 du 15 mars 2020, définissant les opérations de banque relevant de la finance islamique et les conditions de leur exercice par les banques et établissements financiers, fixant ainsi les modalités et caractéristiques techniques de leur mise en œuvre. D’autant plus, que l’Institut d’émission vient d’abaisser également le taux des réserves obligatoires à 8% ainsi que son taux directeur à 3,25% afin d’encourager le crédit bancaire sous toutes ses formes en faveur des entreprises.

Les commerçants informels sont traqués par les services de l’Etat en cette phase de confinement. Les spéculateurs et les vendeurs de produits périmés sont pourchassés et sanctionnés. Cette conjoncture peut-elle être une opportunité pour mettre de l’ordre dans ce secteur qui échappe à tout contrôle ?

La chaîne des approvisionnements est perturbée tant au niveau national qu’à l’international. Dans la gestion de la crise sanitaire, les pouvoirs publics ont agi également en amont pour éviter la rétention de stocks en produits alimentaires par les réseaux de la spéculation. Il fallait rendre disponibles à des prix courants les produits de large consommation afin que les mesures de confinement soient respectées. Sinon, s’il y avait une rareté organisée d’ordre spéculatif, les citoyens sortiraient pour chercher à s’approvisionner même s’ils courraient le risque d’être contaminés.

Par contre, la gestion des stocks des biens essentiels pour la consommation des ménages doit être de mise car les processus d’achat à l’importation sont complètement désarticulés en raison justement de la crise sanitaire qui touche également les pays fournisseurs. Les approvisionnements de l’étranger mettront plus de temps.

Cependant, les activités commerciales restent en partie dominées par le secteur informel. La plupart des circuits de distribution échappent au contrôle des structures du ministère du Commerce. Voilà un chantier à prendre en charge pour une plus grande maîtrise de la régulation commerciale dans le pays.

Ne pensez-vous pas que l’absence d’e-paiement et de manière générale le retard dans l’économie numérique est un des aspects que cette crise sanitaire a dévoilé au grand jour ?

Effectivement, les retards mis dans la mise en œuvre des technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que des techniques de l’e-paiement, pénalisent actuellement aussi bien l’économie algérienne et ses institutions, que le citoyen dans sa vie quotidienne, surtout durant cette crise sanitaire où les contacts directs sont déconseillés. Aussi, tirant la leçon de la situation que l’on vit aujourd’hui, il est impératif d’investir énormément dans les mois à venir dans l’économie numérique, d’autant plus qu’il y a un nouveau ministère qui se consacre à ce domaine, devenu névralgique pour l’économie d’un pays.

Comment la chute des prix du pétrole a-t-elle impacté l’économie nationale ?

Il y a une diminution sensible des revenus extérieurs de l’Algérie en raison de la baisse attendue du montant des exportations d’hydrocarbures à cause de la chute drastique des cours du baril de pétrole ainsi que de la situation du marché gazier européen. Le manque à gagner en termes de rentrées de devises pour cette année 2020 va se répercuter directement par l’accentuation du déficit du compte courant de la balance des paiements mais aussi sur le niveau de la fiscalité pétrolière. Aussi, il faut s’attendre à un ajustement du taux de change effectif réel (TCER) de la part de la Banque d’Algérie afin de le maintenir dans sa trajectoire et éviter une surévaluation de la monnaie nationale par rapport au dollar et à l’euro.

La crise du marché pétrolier révèle aussi la situation de dépendance de l’économie algérienne vis –à-vis des hydrocarbures mais aussi des importations du fait que notre système productif est fragile et peu diversifié. La crise sanitaire à l’échelle planétaire vient nous rappeler qu’il est stratégique pour une nation d’avoir une diversification de son tissu économique afin qu’elle puisse faire face seule à des crises graves, comme c’est le cas aujourd’hui. Aussi, nous sommes à la veille d’un changement du rapport des forces sur le plan économique à l’échelle mondiale.

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