Le pouvoir n’a pas reculé d’un iota quand, le 22 février, les Algériens étaient descendus par milliers dans la rue dire non au cinquième mandat.
La réponse est venue nette et sans équivoque du premier concerné, le président Bouteflika, qui, dans un message aux travailleurs le 24 février, a défendu les « vertus de la continuité ».
Une fin de non-recevoir logiquement réitérée tout au long de la semaine par ses soutiens qui, pour toute concession, ont mis en veille leur arrogance et adopté un profil plutôt bas, si l’on excepte les propos provocateurs du coordinateur du FLN Moad Bouchareb.
Sur l’essentiel, ils n’ont rien cédé. Abdelmalek Sellal a même annoncé que le candidat dont il est le directeur de campagne déposera son dossier au Conseil constitutionnel le dimanche 3 mars. Ce qui en langage juridique signifie l’irréversibilité de la candidature de Bouteflika. La loi électorale stipule en effet que le retrait n’est plus possible une fois le dossier déposé et validé par le Conseil constitutionnel.
Tout au long de la semaine, les partisans du président ont parlé presque d’une même voix, déclinant la stratégie du pouvoir qui consiste à brandir l’épouvantail du chaos syrien, comme l’a encore fait Ahmed Ouyahia jeudi devant les députés, tout en misant sur l’essoufflement de la contestation, du reste minimisée.
Hadj Barbara, chef du groupe parlementaire du MPA à l’APN, a fait remarquer par exemple que 90% des Algériens étaient restés chez eux le 22 février.
Mais quelque chose d’encore plus fondamental a changé ce vendredi 1er mars. Ils n’étaient plus des milliers à envahir les rues aux quatre coins du pays, mais des centaines de milliers. Parler de millions de manifestants ne serait guère exagéré.
L’événement est unique dans l’histoire du pays pour continuer à être ignoré ou minimisé. Jamais depuis la guerre de Libération, les Algériens ne se sont soulevés comme un seul homme pour faire aboutir une revendication commune.
On a marché en masse même à Tlemcen, supposée être le fief de Bouteflika. Le printemps berbère de 1980, les événements d’octobre 1988, le printemps noir de 2001 ou les grandes marches « partisanes » du début des années 1990 furent certes des haltes importantes du combat pour la démocratie, mais n’avaient pas réussi à fédérer tout le peuple autour d’un objectif commun.
Cette fois, la revendication n’est pas seulement partagée, elle est surtout succincte et sans équivoque : le départ de Bouteflika et du système qu’il incarne.
La grande question qui se pose au soir de ce vendredi historique est tout aussi précise : que fera le pouvoir maintenant que le peuple a exprimé sa volonté ?
Lâchera-t-il du lest ou continuera-t-il sa fuite en avant au risque de provoquer le chaos qu’il brandit ? Plus concrètement, le retrait de la candidature de Bouteflika est-il désormais possible ? Au moment où les Algériens battaient le pavé pour le deuxième week-end de suite, le président en était à son sixième jour d’hospitalisation en Suisse où son séjour pour des « contrôles périodiques » devait être « court ».
Quelle que soit l’évolution de son état de santé, il doit vite se décider, lui ou ceux qui ont le pouvoir de le faire. L’expiration du délai de dépôt des candidatures approche à grands pas et la rue ne décolère pas.
Pour Bouteflika, l’équation est difficile à résoudre. Son retrait, comme réclamé par les manifestants, semble relever du miracle quand on sait que Bouteflika, tout au long de ses quatre mandats à la tête du pays, n’a fait que baliser le terrain pour la présidence à vie.
Il est difficile de le voir reculer si près du but, mais peut-il continuer à s’imposer à un peuple qui réclame son départ avec une telle force ? Sans doute, la semaine à venir sera décisive.
Le pouvoir devra trancher, il n’a plus le choix. Ni plus de marge de manœuvre. Une grande décision doit être prise dans l’immédiat et sans négociation possible, d’autant plus qu’il n’y a pas de vis-à-vis. Toute mesure de rafistolage, comme le remaniement gouvernemental, serait perçue par la rue comme un énième manque d’égards.
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