Économie

Élevage du mouton : après le blé, main basse sur le maïs

Sur le marché mondial, la crise ukrainienne est à l’origine d’une flambée du prix des produits alimentaires. En février, l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a procédé à l’achat de 600.000 tonnes de blé à 485 dollars la tonne.

La hausse concerne également le maïs et le soja. Des produits destinés, en principe, aux élevages de volailles. Sauf qu’en Algérie, ces produits sont également appréciés pour l’engraissement des agneaux.

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Le maïs grain boudée par les agriculteurs

La production locale de maïs peine à atteindre une vingtaine de milliers de tonnes alors que les importations sont de 4 millions de tonnes.

Début 2021, s’exprimant sur la Radio algérienne, Mohamed Betraoui, directeur de l’Office national des aliments du bétail (Onab), a abordé le programme en cours : près de 9 000 hectares de maïs à Adrar, Menea, Ghardaïa, El Oued, Biskra, Naama et Djelfa. Objectif : produire 35 000 tonnes de maïs.

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Contrairement à l’orge, le maïs grain est semé au printemps et nécessite donc d’être irrigué. La culture demande des investissements conséquents. La production de maïs-fourrage est plus rentable.

La plante est fauchée puis broyée pour être ensuite emballée sous formes de balles rondes enrubannées dont chacune peut peser une tonne. Ces balles sont très recherchées par les éleveurs. Elles ont permis à Ghardaïa de devenir un pôle laitier. Grande zone de production, El Menea vend ses excédents de balles rondes vers le Nord du pays par camions à large plateau.

Ferme Bengrina, le gigantisme de l’agriculture saharienne

En cette mi-mai, dans le grand Sud, sous forme d’un film promotionnel, la ferme Bengrina fait connaître son savoir-faire. L’exploitation produit plusieurs centaines de balles de maïs fourrage, destinées aux vaches laitières et à l’engraissement des veaux, est-il précisé. Les poules pourront attendre…

Les champs ont cette forme circulaire caractéristique de l’irrigation par pivot. La récolte est assurée par une énorme ensileuse automotrice de marque Krone en version “Big”, comme indiqué par le constructeur.

L’emblème national a été accroché près de la cabine. L’ensileuse a pour mission de faucher des plants de maïs de 2 mètres de haut. Elle est équipée de 4 roues motrices.

Depuis sa cabine climatisée, le conducteur dirige les opérations à partir de l’écran tactile de son ordinateur de bord. Un doigt sur l’écran et de chaque côté de l’engin se déploie la barre de coupe et se redresse la goulotte d’évacuation.

Un camion à deux essieux arrière vient se ranger près de l’ensileuse. Tel un jet d’eau, le maïs broyé est éjecté de la goulotte vers la benne du camion. Les deux engins roulent côte-à-côte, la benne est rapidement pleine. Le camion s’éloigne alors et un deuxième vient aussitôt prendre sa place. Vu du ciel, la couleur verte du champ tranche avec l’ocre du désert. Les engins apparaissent comme des insectes. Il s’agit d’un pivot géant de 50 hectares. Un pivot de taille XXL.

Le maïs grain, indispensable en aviculture

Si les vaches et les moutons peuvent se satisfaire de fourrages grossiers et de paille, ce n’est pas le cas des poules. Elles ne tolèrent que des aliments concentrés : maïs ou tourteau de soja. Cependant, ces volatiles tolèrent une certaine quantité d’orge et de triticale en absence de l’aliment roi : le maïs. Lui seul permet à un poussin de passer à l’état de poulet en 45 jours.

Pour encourager la production, l’Onab a relevé le prix d’achat du maïs grain. Il est aujourd’hui de 5 000 DA contre 4 500 auparavant. Mais rien n’y fait, la production de maïs fourrage caracole en tête. Ainsi, dans la wilaya d’Oran, récemment les services agricoles se félicitaient du démarrage de la culture du maïs grain sur 4 hectares quand les surfaces en maïs fourrage sont déjà de 500 hectares.

Même ordre de grandeur à El-Menea. Fin 2021, l’agence APS rapportait qu’une “production de maïs fourrager ensilage estimée à 150.000 tonnes et 13.000 tonnes de maïs en grain” était attendue.

En absence de maïs grain produit localement, l’Onab et les fabricants d’aliments pour bétail ont recours à l’importation.

Les moutons s’invitent à la table des poules

Depuis quelques années, on observe une dérive en Algérie : du maïs grain est utilisé lors de l’engraissement des agneaux. En 2020, dans la région de M’sila une étude concernant “les modalités d’alimentation des troupeaux ovins en steppe” indiquait que les aliments concentrés constituaient 37 à 50 % des rations.

Dès 2016, à Djelfa une étude coordonnée par le chercheur Mohamed Kanoune a relevé un type de ration à base d’un “aliment industriel” ovin composé d’orge en grain, soja, son de blé auquel les éleveurs rajoutent du maïs moulu.

Un autre type de ration correspond ni plus ni moins au détournement de l’aliment poulet de chair au profit des agneaux. Les éleveurs l’utilisent pour sa richesse en énergie. Avantage : une réduction de la durée d’engraissement. Et pour cause, on trouve dans cet aliment maïs, orge, soja, son et parfois farine de poisson. Inconvénients, une viande grasse au goût vite identifiable.

Outre le maïs, certains éleveurs n’hésitent pas à détourner également une partie du million de tonnes de soja destiné aux poules. Et qu’importe que le consommateur ne retrouve pas le goût des agneaux “Ardh Mriya” des pâturages naturels d’armoise et d’alfa. Les critères d’achat du mouton de l’Aïd el Adha concernent plus la dimension des cornes, la taille de l’animal et la qualité de sa laine.

Le poulet, une viande accessible à tous

Avant le mois de ramadan, le kilo de poulet évoluait entre 350 et 400 DA. Quant à la viande ovine, le kilo évoluait entre 1 000 à 2000 DA. La viande blanche constitue donc la source de protéines animales la plus accessible pour les ménages algériens à faible revenu. Comme le détournement du blé vers l’alimentation ovine, le détournement du maïs vers l’engraissement des agneaux représente une atteinte au pouvoir d’achat des plus démunis.

Ce détournement n’est pas sans conséquences sur le prix du maïs et du soja. Ils atteignent respectivement 8 000 DA et 12 000 DA le quintal. Des prix qui remettent en cause la viabilité des petits élevages avicoles.

Aussi, pour la filière avicole, réserver le maïs grain aux seuls élevages de volailles constitue une solution économique. Comme le fait remarquer l’agro-économiste Omar Bessaoud, c’est également une question de justice sociale.

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