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Empêchement des marches : est-ce que c’est la fin du Hirak ?

Empêchement des marches : est-ce que c’est la fin du Hirak ?

Les marches des deux vendredis derniers ont été marqueurs pour le mouvement citoyen inédit en Algérie et dans le monde sur les intentions du pouvoir de mettre fin au Hirak.

La prédiction de l’écrivain et journaliste Kamel Daoud va-t-elle se réaliser, lui qui décrétait déjà la fin du Hirak en janvier 2020 ?

| Lire aussi : Les marches du Hirak empêchées : et maintenant ?

Des interpellations et des arrestations massives ont été opérées par les manifestants, selon les chiffres fournis par le CNLD et la Ligue algérienne des droits de l’Homme.

Des procédures de dissolution contre le Parti socialiste des travailleurs (PST), l’UCP de Zoubida Assoul et l’association RAJ (Rassemblement action jeunesse), connus pour leur implication dans le Hirak, ont été lancées par le ministère de l’Intérieur.

Est-ce pour autant c’est la fin du Hirak ? Pour le pouvoir, il y a deux Hirak : l’originel qui a provoqué la chute du président Abdelaziz Bouteflika, et le néo-Hirak qui s’est poursuivi après l’élection présidentielle du 12 décembre 2019. S’il considère le premier comme « béni », il a fini par tenter de diaboliser le second, allant jusqu’à interdire les marches en le soumettant à des autorisations. Pour un mouvement horizontal, sans leadership, cela revient à les interdire.

« Le pouvoir considère la mobilisation populaire pacifique pour le changement du régime comme un ennemi à abattre alors que le Hirak est une opportunité à saisir pour amorcer un processus de changement pacifique en Algérie », pointe le président du RAJ, Abdelouhab Fersaoui.

Pour lui, le pouvoir « ne fait que retarder la crise et l’aggraver », ajoutant que « ce n’est pas avec la répression qu’on trouvera une solution à une crise politique très profonde et structurelle que vit le pays. »

« Ce n’est pas la fin du Hirak »

Pour Fersaoui, qui affirme avoir reçu hier mercredi une convocation de la police pour se présenter au commissariat central de Bejaia, « malgré les intimidations et la répression contre le Hirak », celui-ci ne peut pas s’estomper.

« Ce n’est pas la fin du Hirak. Il est inimaginable qu’un mouvement populaire qui a rassemblé des millions d’Algériens disparaisse tout d’un coup », estime-t-il tout en précisant que sur le plan psychologique et moral « les Algériens se sont libérés et ont renoué avec la chose politique ».

« On ne peut pas réduire le Hirak à des marches le vendredi et le mardi. Le Hirak est une idée, une conviction et une vision d’un peuple de l’avenir de leur pays. Si les marches viennent à s’arrêter ou empêchées par la force, le Hirak ne disparaîtra pas. Il va rester et peut-être prendre d’autres formes de revendication tout en gardant toujours le caractère pacifique », anticipe Fersaoui.

Pour lui, le Hirak peut connaître des « moments de force » et de « faiblesse » tout en soulignant qu’il « peut reprendre à tout moment. »

« D’ailleurs, après une année d’arrêt des marches en raison de la crise sanitaire liée au covid, peu de gens misaient sur la reprise en force du Hirak à partir de février 2021 », remarque-t-il en signe de consolation.

« Même si le pouvoir durcit la répression pour faire passer ses élections (législatives du 12 juin, NDLR) et même si le mouvement accuse un recul, le peuple ne s’inscrira pas dans la confrontation avec le pouvoir. En revanche, ce qu’il y a lieu de signaler c’est que tous les ingrédients d’une explosion sociale sont réunis et les raisons qui ont fait sortir des millions d’Algériens en février 2019 sont toujours d’actualité », observe le président de RAJ.

Pour Me Aouicha Bekhti, membre de plusieurs collectifs d’avocats pour la défense des détenus du Hirak, il y a comme une impression qu’on veut « mettre au pas » le Hirak.

Elle revient sur les récentes mises en demeure contre certains partis et associations menacés de dissolution en estimant que « même s’il y a des problèmes de procédure, elles peuvent être réglées sans en arriver à dissolution ».

Et Me Bekhti d’en appeler à un sursaut des forces démocratiques pour soutenir ces partis et associations. « Quand on voit la mascarade de cette campagne législative et les déclarations ridicules des candidats, il est impossible d’imaginer qu’on puisse fermer des sigles qui existent (UCP, PST et RAJ menacés de dissolution, NDLR), qui sont connus sur le terrain et qui ont prouvé leur sérieux », s’offusque l’avocate.

Le principal acquis du Hirak

« Ce que le Hirak a gagné de plus important, c’est que plus jamais les choses ne seront comme avant. La peur a été définitivement vaincue par les Algériens. Que les marches du Hirak s’arrêtent ou pas, l’idée est dans la tête de chaque Algérien », proclame Me Aouicha Bekhti.

Toutefois, la poursuite des marches semble avoir montré ses limites. La reprise des manifestations en février n’a pas drainé les grandes foules du début de la révolution populaire. Les acteurs du Hirak ont évité d’évoquer des sujets qui pourraient fâcher, laissant la rue avec toute sa complexité prendre le pouvoir.

Pour l’avocate, il y a lieu désormais de réfléchir à d’autres formes d’organisation du mouvement citoyen. « Que le Hirak s’arrête ou continue, il faut quand même présenter des alternatives concrètes et sérieuses », estime Aouicha Bekhti qui met en avant les acquis du Hirak en appelant à les valoriser.

L’avocate déplore qu’il n’y ait pas encore eu de la part du pouvoir politique de proposition de sortie de crise. « Cela fait deux ans que nous attendons au moins un signe, rien ne vient. Personnellement, je demande à ce que tous les détenus arrêtés à l’occasion du Hirak soient libérés, que ce soit ceux qui sont en prison ou ceux qui sont sous contrôle judiciaire ou en sursis. Tous doivent être libérés et toutes les poursuites dans le cadre du Hirak soient abandonnées définitivement », martèle l’avocate.

Me Bekhti s’inquiète qu’au lieu d’une « désescalade » à travers des mesures d’apaisement, « on assiste à une recrudescence des arrestations. On attendait des signes d’apaisement et là on assiste à l’inverse ».

« Le Hirak a fait sortir les Algériens de la non-citoyenneté vers la citoyenneté »

Le sociologue politique Nacer Djabi évoque « un durcissement et un rouleau compresseur qu’on veut faire passer sur tout ce qui bouge ». « On a commencé d’abord par les maillons qui peuvent être considérés comme faibles », comme le PST, l’UCP et l’Association RAJ, pointe le sociologue.

Par les pressions exercées sur ces acteurs politiques et associatifs « on veut donner l’exemple », analyse le sociologue qui estime que les Algériens passent un « mauvais moment ».

Selon le Pr Djabi, ces pressions de tous types s’accentuent en général à l’approche des élections. « Cette fois-ci peut-être un peu plus », fait-il remarquer.

Le sociologue prévient contre les risques de dérapage que ce « rouleau compresseur » pourra engendrer, tout en soulignant que de l’autre côté, le Hirak a toujours été pacifique, une caractéristique que lui reconnaît le monde entier.

« Même le pouvoir le reconnaît », observe le sociologue. « Le Hirak est un mouvement pacifique et il le restera malgré les pressions et les intimidations, etc. », souligne Nacer Djabi.

Le sociologue déplore que le pouvoir politique n’ait aucune approche politique mais s’enferme dans une logique sécuritaire. La fin du Hirak est « inenvisageable », estime Djabi.

« Le Hirak ce ne sont pas (que) les marches. C’est une mentalité et une intelligence collective du peuple algérien. Le Hirak a fait sortir les Algériens de la non-citoyenneté vers la citoyenneté et il est inenvisageable qu’ils reviennent à la situation d’avant », analyse encore Nacer Djabi qui aurait souhaité voir le pouvoir politique « construire » sur cette dynamique.

« Ce soulèvement populaire a vu sortir les femmes, les jeunes, les couches moyennes, soit toute la sociologie et la démographie de l’Algérie. Il aurait été possible de construire sur cette base et non pas agir contre », regrette-t-il.

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