Économie

Et si les minotiers algériens se mettaient à produire des céréales ?

Pour contourner la politique restrictive des quotas de l’Office algérien des céréales, les minotiers algériens peuvent investir dans l’agriculture et produire leurs grains afin de faire tourner leurs moulins à l’arrêt ou ne fonctionnant pas à pleine capacité.

L’idée fait son chemin et arrange aussi bien les autorités qui veulent développer la production locale de céréales pour réduire les importations que les minotiers qui cherchent des céréales pour leurs moulins.

En Algérie, avec 500 minoteries dénombrées en 2018, les capacités installées dépassent largement les besoins locaux. Cette activité a drainé un grand nombre d’investisseurs qui voient aujourd’hui leurs moulins à l’arrêt par manque de quota de céréales délivré par l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC). Les walis tentent de trouver des solutions. C’est le cas à Tiaret.

Comme dans d’autres wilayas, les investisseurs concernés ne manquent pas de se rappeler au bon souvenir des autorités locales. Ils semblent encouragés par la décision des pouvoirs publics de faire de 2022 « l’année de l’économie » et du déblocage des projets d’investissement en souffrance.

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Le cas de la wilaya de Tiaret

Dans la wilaya de Tiaret, ce sont 6 investisseurs qui ont déposé une demande d’ouverture de minoteries. Actuellement, seuls 4 moulins sont entrés en fonctionnement. Cette situation fait suite à la décision prise par les pouvoirs publics en 2017 « de ne plus approvisionner ces unités de production créées durant l’année 2017 en produits subventionnés par l’État ».

Fin octobre, le wali de Tiaret et ses collaborateurs se sont rendus à Medrissa où est implanté un des deux moulins actuellement en attente d’un éventuel quota de céréales.

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Comme pour bon nombre de sorties, Tiaret News TV a couvert l’événement. On a pu voir la délégation d’une vingtaine de personnes parcourir l’immense hall de la minoterie et découvrir des installations neuves avec leur peinture d’origine encore intacte : broyeurs, trémies, ensacheuse et même un camion semi-remorque rutilant.

Le wali a eu l’occasion de s’entretenir avec le représentant de la Sarl MBA Djedid. À la demande : « Avez-vous l’acte de propriété, l’attestation de conformité, le raccordement au réseau électrique ? ».

Il est apparu que seule l’accréditation de la direction locale de l’environnement manquait malgré le dépôt d’une demande datant de plusieurs années. Le dossier se serait perdu dans les méandres administratifs.

Le wali a alors demandé au directeur de cette direction, présent dans la délégation, de traiter dans les plus brefs délais ce dossier indiquant à l’occasion que tout ce qui dépendait de l’échelon local pouvait trouver une solution dans les plus brefs délais.

Quant à la délivrance d’un quota de céréales, le wali a indiqué que la décision revenait à l’échelon ministériel entre les départements du commerce, de l’agriculture et de l’industrie.

Tiaret, approvisionnée en farine par les wilayas environnantes

Mais, en bon connaisseur des dossiers, le wali s’est étonné que la wilaya soit approvisionnée en farine par les wilayas voisines. Face au désespoir de l’investisseur arguant un projet réalisé sur fonds propres, des machines à l’arrêt depuis plusieurs années et la possibilité de créer 50 emplois, le wali a suggéré que la farine consommée dans la wilaya soit produite par les minoteries locales. Une telle solution permettrait à l’investisseur un minimum d’activité.

Allez à Brézina, ce n’est pas loin

Autre suggestion faite à l’investisseur : celle de demander une concession de terres agricoles dans le sud pour produire les céréales permettant d’approvisionner le moulin. « Il existe des aides et vous seriez prioritaires », lui a indiqué le wali.

Devant le peu d’entrain de l’investisseur et l’hypothèse que l’investisseur n’ait pas les moyens financiers suffisants, toujours à la recherche de solutions, il lui lance alors : « Pourquoi ne pas aller à Brézina ? Ce n’est pas loin ».

À Melakou, à l’occasion d’un précédent dialogue avec un investisseur dans la même situation, le wali a indiqué que ce type d’alternatives avait été utilisé lorsqu’il était en poste dans la wilaya de Souk Ahras.

Certains propriétaires de minoteries convaincus de ne pas obtenir de quota de la part de l’OAIC s’étaient tournés vers « une production intégrée » en bénéficiant de concessions de terres agricoles de 500 à 1 000 hectares à « Hassi messaoud, Ouargla ou Adrar » ce qui leur avait permis de « dégager une marge ».

Investissez dans une laiterie

Au début du mois d’octobre, lors de la sortie à Mélakou, le wali de Tiaret avait été confronté à un cas similaire. L’investisseur avait installé depuis 2015 un moulin, mais jusqu’à présent il ne disposait pas de quota de grains.

En bon pédagogue, le wali avait alors demandé s’il n’était pas possible de changer d’activité. L’investisseur avait répondu par la négative et défendu son projet initial arguant que la mise en service de sa minoterie permettrait également d’élargir l’offre en sous-produits tel le son de blé, matière essentielle à l’alimentation du cheptel local.

Présent dans la délégation, un autre responsable local avait proposé à l’investisseur de se tourner vers la production d’aliments de bétail. À nouveau l’investisseur avait répondu par la négative en mettant en avant l’incompatibilité de son outil industriel pour ce type d’activité.

Le wali avait alors rappelé l’insuffisance de planification à l’échelle nationale qui amenait aujourd’hui à cette situation précisant que même certains moulins publics de l’Eriad étaient fermés. Il avait ajouté : « Je ne peux pas vous procurer un quota de l’OAIC car que diraient les 5 autres minoteries ? ». À court de solutions, il avait fini par conseiller : « Mettez votre matériel en stand-by. On ne sait jamais… ».

Comme le père de cet investisseur disposait d’une centaine de vaches laitières et que sa production de lait transitait vers Blida, il avait alors proposé d’investir dans une laiterie. Mais là aussi, l’investisseur avait évoqué le problème de délivrance de quotas de poudre de lait par l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL).

Laiteries, conserveries et minoteries, des obligations différentes

Contrairement aux laiteries et conserveries de tomate industrielle, les minoteries ne peuvent collecter la part des céréales produites localement. Elles sont approvisionnées par l’OAIC à partir de quotas déterminés selon les capacités installées de chaque moulin et selon les besoins de chaque wilaya.

Si les laiteries et les conserveries se démènent pour collecter plus de matière première en aidant leurs agriculteurs respectifs, les minoteries ne peuvent pas le faire. En effet, les céréales étant un produit stratégique, le monopole de la collecte est du seul ressort de l’OAIC à travers son réseau de dépôts : les Coopératives de céréales et de légumes secs.

Dans le cas des laiteries privées, la concurrence est rude entre chacune d’entre-elles. C’est à celle qui arrivera à fidéliser le plus grand nombre d’éleveurs qui les approvisionnent en lait. Aussi, multiplient-elles les initiatives en développant un soutien multiforme à la production : soins vétérinaires gratuits, approvisionnements à prix réduits en aliments du bétail, formation, acquisition de matériel et même avances financières.

Nul doute qu’une telle aide aux producteurs appliquée à la filière céréales serait salutaire. Car celles développées actuellement par les services agricoles pour atteindre l’objectif officiel de 35 quintaux par hectare s’avèrent manifestement insuffisantes.

En Algérie, le défi est donc de trouver l’adéquation entre d’une part le soutien des producteurs de céréales et la protection des consommateurs à travers le monopole de l’OAIC sur les céréales et d’autre part la mobilisation indispensable des capitaux ainsi que l’initiative des minoteries privées.

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