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« L’huile d’olive d’Algérie peut se faire une place sur le marché mondial »

« L’huile d’olive d’Algérie peut se faire une place sur le marché mondial »

Avec l’effondrement de la production de l’Espagne, l’huile d’olive d’Algérie peut se faire une place sur le marché mondial. Olivier Rives, expert oléicole français, explique comment.

À l’occasion de l’inauguration mercredi 13 décembre du premier laboratoire d’analyse oléicole en Algérie à la station de l’Institut technique de l’arboriculture fruitière et de la vigne (l’ITAFV) de Takrietz (Bejaia), TSA a rencontré Olivier Rives, expert international sénior, chef de projet du Programme de soutien à l’agriculture en Algérie (Pasa).

Pour rappel, cet important laboratoire a été réalisé dans le cadre du Pasa, un programme financé par l’Union européenne.

Ce laboratoire peut contribuer à l’amélioration de la qualité des huiles d’olive du terroir algérien et au renforcement de leur présence sur les marchés européens.

TSA : Quelle a été la contribution du Pasa notamment dans les mutations des moulins dans la zone du projet ?

Olivier Rives : Il faut parler du caractère maintenant reconnu à l’échelle internationale notamment dans les marchés éloignés comme les États-Unis ou le sud-est asiatique et en particulier la Chine. Dans ces régions, on parle souvent de North Africa Olive Oil (NAOO).

Il s’agit d’une qualification internationale puisque nous avons les mêmes caractéristiques de production, de densité du verger et des variétés ainsi que des conditions pédoclimatiques que l’Égypte et la Libye qui sont les nouveaux entrants, évidemment la Tunisie (3e producteur mondial d’huile d’olive), l’Algérie et le Maroc.

Alors est ce qu’il y a beaucoup d’huile d’olive d’Algérie présente sur les marchés internationaux ? Non, puisqu’il y a peu de disponibilité en volume et en qualité.

L’Algérie est un grand pays producteur mais aussi consommateur et il y a peu de disponibilité à l’export. Enfin le pays est globalement quand même planté en verger extensif ou faiblement intensif.

Il y a donc moins de 200 arbres à l’hectare en moyenne et donc une conduite de verger qui entraine effectivement un standard d’huile assez peu différent des huiles tunisiennes ou espagnoles classiques dans les nouvelles zones de production.

Sur la zone de piémont et de montagnes du nord-est de l’Algérie qu’on appelle aujourd’hui Pinea, il y a des particularités très importantes car nous sommes sur des vergers, y compris en altitude avec évidemment une faible intensité 80 ou 100, voire 120 arbres à l’hectare avec utilisation d’oliviers sauvages, les oléastres.

Ceux-ci sont parfaitement adaptés aux conditions pédoclimatiques car greffés avec des variétés intéressantes. Il y a donc une certaine résilience de ces variétés.

Concernant la qualité de l’huile d’olive proprement dite, beaucoup de variétés sont riches en polyphénols et bénéficient de qualités nutritionnelles importantes.

Elles ont également une belle palette aromatique et selon la nature de la récolte et la qualité de la trituration, on peut aller de faible à haute intensité tout en restant dans une qualité intéressante.

Il y a par ailleurs un beau patrimoine variétal à travailler. Par exemple en monovariétal comme Takesrit, Rougette de Guelma et beaucoup d’autres variétés parfois oubliées ou alors travaillées en blend.

Par exemple il y a des mélanges possibles entre la grande variété dominante Chemlal avec Tazaradj en proportion 80-20 % ou 70-30 %. Bref, des blends qui permettent de bénéficier de l’amélioration issue de variétés qualitatives.

Le Pasa s’est beaucoup intéressé à ces questions de caractérisation pour démarquer l’huile d’olive algérienne de l’océan des huiles du bassin méditerranéen.

Nous avons conduit un protocole de caractérisation sur trois campagnes avec des analyses conduites par le centre technique de l’olivier en France et évidemment en Algérie avec l’Itaf dans le sens de l’intercomparaison.

Avec le centre de biotechnologie de Constantine, nous avons travaillé sur la caractérisation génétique et moléculaire de 55 variétés dont 36 sont déjà inscrites au catalogue et 19 qui sont des cultivars.

Nous avons présenté le nouveau catalogue de l’olive lors de l’inauguration du nouveau laboratoire de Takrietz. Il comprend tous les éléments de caractérisation phénologique, génétique et également une partie organoleptique ; c’est à dire la qualité sensorielle de chaque variété.

Il y a deux grands groupes d’huile d’olive en Algérie qui se distinguent des autres huiles disponibles. D’une part, des huiles standard issues des nouvelles zones de production (nouvelles entre guillemets car à l’ouest, il y a une longue tradition de production d’olives).

Par ailleurs, les huiles issues des zones de piémont et de montagne pour lesquelles dans le futur programme Pasa Plus un travail important devra être fait pour continuer la caractérisation, favoriser les bonnes pratiques et organiser la labellisation.

Il faut introduire de la complexité dans les chaînes de valeur, à savoir la certification, l’appellation d’origine, les signes officiels de qualité, l’agriculture biologique.

Voilà ce qui différencie l’huile d’olive d’Algérie et de l’Afrique du nord du reste des produits proposés dont certaines sont extrêmement qualitatifs en particulier en Italie ou en Grèce voire dans le sud-est de la France où il y a un grand nombre d’appellations contrôlées.

La contribution du Pasa porte sur le protocole de caractérisation moléculaire, sur le nouveau catalogue des variétés d’oliviers mais aussi sur le développement de la culture de la dégustation dans le pays parce qu’il faut que les Algériens (à commencer par les prescripteurs) soient conscients de la réalité d’huile d’olive de qualité dans le pays afin qu’ils deviennent (via la diaspora) ambassadeurs.

TSA : Le marché algérien de l’huile d’olive est souvent considéré comme peu exigeant. Comment faire évoluer l’huile produite dans la vallée de la Soummam dont une partie provient d’olives stockées plusieurs jours dans des sacs ?

Olivier Rives : Le marché n’était pas exigeant, mais les choses sont en train de changer assez rapidement. Je m’explique.

Lorsque nous avons commandé une étude sur la consommation et le marché qui a été réalisée par le cabinet PwC sur un échantillon représentatif de 1 800 foyers en Algérie et 300 foyers dans la diaspora, nous avons découvert avec stupéfaction que le marché était peu exigeant certes mais plus de 80 % des consommateurs algériens et de la diaspora consommaient de l’huile d’olive. Ils préféraient des huiles courantes, voire lampantes.

Aujourd’hui les choses évoluent pour plusieurs raisons. D’une part parce que les jeunes sont plus exigeants, d’autre part les messages passent sur les réseaux sociaux et notamment sur les bienfaits pour la santé des huiles d’olives vierge extra ou vierge douce.

Il y a donc une évolution lente mais certaine. Elle se conjugue avec un développement de la culture de la dégustation dans le pays. Il faut développer aussi la culture de l’analyse qui permet de montrer ce qui constitue une huile vierge extra.

Par ailleurs, il y a un élément d’ordre réglementaire : l’essentiel de la production et de la consommation algérienne sur le marché domestique porte sur une catégorie qui va disparaître du point de vue de la nomenclature, c’est la catégorie huile d’olive courante.

Donc, il faut savoir qu’il n’y aura plus que trois catégories d’huile : lampantes « pour la lampe », vierge, vierge extra (à moins de 0,8 d’acidité confirmée par l’analyse sensorielle).

Le marché algérien devra évoluer comme dans d’autres pays comme l’Espagne qui était autrefois sur des huiles chaumées et lampantes courantes et qui aujourd’hui a une très grosse majorité d’huile vierge extra dans la consommation et dans la production.

En Algérie, les habitudes de consommation de l’huile d’olive sont héritées de la période entre les années 1970 et 2000. Durant cette période, trois générations ont consommé des huiles de mauvaise qualité parce que toutes les huiles vierge et vierge extra d’Algérie étaient exportées. Mais le marché évolue et sera de plus en plus exigeant.

Il y a donc des solutions pour améliorer la production de l’huile d’olive. C’est le rôle du Pasa qui a fait la promotion de la récolte mécanique, la trituration dans les 48 heures, le transport dans des caisses ajourées, le stockage dans des palox, financé des moulins qui mettent en avant ces bonnes pratiques…

En Algérie, la production de l’huile d’olive est rentable même sur une petite superficie. D’après notre référentiel technico-économique, trois hectares bien conduits peuvent dégager 70.000 DA par mois au producteur d’olives, ce qui est supérieur au salaire moyen en Algérie même si la somme reste modeste.

Le Pasa a beaucoup contribué à faire évoluer cette huile produite dans la région de la Soummam avec étude de consommation et de marché pour l’Algérie et la diaspora ainsi qu’un appel à projet pour identifier les initiatives économiques les plus dynamiques et notamment sur les aspects de qualité de trituration ou de conditionnement. À cela s’ajoutent la mise en place d’un dispositif d’appui et de conseil avec des démonstrations sur le terrain auprès de tous les producteurs.

La pratique d’une récolte tardive n’est pas mauvaise en soi. Il peut y avoir un segment de marché qui soit sur ce type de produit. Le problème se situe au niveau du stockage dans les big bag et l’oxydation des olives au sein de ces contenants.

Donc les olives noires récoltées tardivement ne font pas plus de tonnage. Elles sont peut-être plus aisées à récolter mais en réalité le taux de trituration élevé est dû à de mauvaises pratiques dans les moulins où la trituration ne se fait pas à froid c’est à dire à moins de 27°C, mais 35°C ou 40°C voire plus pour obtenir un produit qui sera effectivement d’un bon rendement mais sans aucune consistance. Il faut donc veiller à ce que les bonnes pratiques soient amenées dans les moulins ainsi que dans les vergers.

Il faut remarquer aussi que la petite exploitation n’est pas exclusivement centrée sur l’olivier. Il représente en moyenne 50 % du revenu de l’exploitation. Il y a autour le figuier, l’amandier et parfois le caroubier, le pistachier, le pommier et le cerisier, des petits élevages, du miel, parfois des huiles essentielles et petit à petit un peu d’agro-tourisme.

TSA : Avec la clôture du Pasa, quels sont les leçons, les changements structurants et les acquis concernant la chaine de valeur oléicole en Algérie ?

Olivier Rives : Il faut savoir qu’entre le début et la fin du Pasa, qui a duré 5 ans, il y a un nouveau contexte mondial oléicole. C’est un véritable changement de paradigme.

Avec l’effondrement de la production de l’Espagne qui est le leader mondial et la baisse moyenne enregistrée dans tous les pays, il y a un phénomène de raréfaction de l’huile d’olive et du surenchérissement de celui-ci.

On peut d’ailleurs noter une différence importante entre le nord et le sud de la Méditerranée. On peut considérer que le verger du sud de la Méditerranée, ce qu’on appelle North Africa Oil, est caractérisé par un verger extensif et des variétés plus résilientes au changement climatique.

Pour résumer : les handicaps d’hier sur le verger algérien peuvent devenir des atouts aujourd’hui puisqu’il y a une réserve de productivité qui vient d’une part par la présence d’un énorme verger d’oléastres qui sont des oliviers sauvages parfaitement adaptés aux conditions pédoclimatiques et qui sont beaucoup plus résilients à la sécheresse.

Ils peuvent être greffés par des variétés intéressantes y compris productives.

Voilà ce qui peut caractériser le nouveau contexte mondial pour la production algérienne qui finalement dispose d’atouts qui peuvent être valorisés.

Deuxièmement, il y a une mutation rapide du marché algérien de l’huile d’olive sous la pression des jeunes mais aussi des prescripteurs et des réseaux sociaux.

Très rapidement, les jeunes comprendront qu’on ne peut plus aller chercher de l’huile au pays dans des contenants en plastiques mais qu’on va essayer de chercher des huiles vierges douces.

La tendance naturelle vers la montée en gamme de la consommation algérienne ira depuis l’huile lampante qui va donc disparaître du paysage réglementaire vers une huile vierge douce.

En ce qui concerne le marché mondial, il faut donc consolider le marché domestique qui est essentiellement basé sur du petit vrac et le Pasa a fait des préconisations y compris en termes de transport et de stockage sous des contenants en verre, fer, poterie ou en inox afin de sortir du plastique pour lequel le risque de phtalates est important y compris sur le PET.

Sur le marché international, il y a une grande curiosité des consommateurs européens mais aussi américains, canadiens, ou du sud-est asiatique et notamment la Chine.

Les huiles d’olive d’Algérie, en particulier celles caractéristiques des zones de production dans le piémont et la montagne peuvent trouver une place sur le marché mondial sous réserve qu’elles soient bien marquetées.

Nous pouvons constater aussi une montée en puissance de la culture des analyses. Il faut donc mettre à la disposition des moulins des systèmes d’analyses de proximité même si cela ne débouche pas automatiquement sur une analyse complète et puis il faut évidemment que le nouveau laboratoire puisse monter en puissance dans ces 4 wilayas pour remplir ses fonctions qui étaient autrefois remplies par des laboratoires étrangers.

Deuxièmement, c’est la montée en puissance de la culture de la dégustation et il faut pour cela utiliser tous les canaux et notamment les prescripteurs que sont les diététiciens, les achats de collectivités, les médecins, les influenceurs, les journalistes.. etc. pour montrer l’intérêt, y compris en matière de santé publique, du développement d’une huile vierge extra dans la consommation nationale.

Au titre du bénéfice santé, un travail a été réalisé par un groupe de scientifiques réuni autour du Pasa. Il est constitué d’universitaires, de chercheurs des secteurs de l’agronomie, de la pharmacie… Ils ont réalisé un état des bienfaits pour la santé de l’huile d’olive vierge extra.

Et pour ce qui est de la récupération des grignons ?

Nous parlons souvent de la première transformation qui est la trituration donc la production d’huile d’olive si possible vierge extra ou vierge. Il y a une deuxième transformation qui consiste à récupérer les grignons et margines qui sont entassés dans les moulins. Ils polluent les nappes et les rivières parce qu’ils sont acides.

Il s’agit de reprendre les grignons et de les transformer. Il y a 13 coproduits de la trituration, de la deuxième transformation qui permet notamment de produire des drêches pour l’alimentation du bétail et des noyaux qui servent de combustible pour le marché international qui est très demandeur dans ce domaine.

Mais il y a aussi l’huile brute de grignon, qui malheureusement ne peut pas être raffinée en Algérie puisqu’il n’existe plus de raffinerie dédiée.

Il y a donc de la place pour un projet industriel à terme, puisque la matière première est très abondante. Elle est pour l’instant gaspillée. Elle pourrait donner lieu à la production d’huile de grignons, de l’huile raffinée qui pourrait servir à l’agro-alimentaire qui a besoin effectivement d’huile.

L’huile de grignons peut avantageusement remplacer l’huile de palme parce qu’elle a un bilan carbone infiniment supérieur d’une part.

Et d’autre part, l’huile de grignons qui peut être donc vendue, parce qu’elle est neutre, avec des incorporations d’huile vierge extra à hauteur de minimum 5 à 10 % peut constituer un produit intéressant pour les classes populaires qui ne veulent pas se priver complètement d’huile d’olive et qui n’ont pas les moyens d’acheter des huiles vierges extra qui seront de plus en plus chères.

En conclusion, sur les activités du Pasa, je voudrais dire que l’unité des maillons de la chaîne de valeur oléicole en Algérie progresse.

Lorsque ce programme a démarré, il n’y avait pas d’unité entre les maillons, pas de relations entre eux, depuis les pépinières jusqu’à la production, en passant par la trituration, le conditionnement, le transport, la mise en marché.

Tous ces maillons n’étaient pas du tout reliés. Aujourd’hui les maillons dialoguent entre eux et un nouvel acteur apparaît dans le paysage professionnel : la Chambre nationale d’agriculture. Elle se positionne comme un acteur au service du développement de la filière oléicole.

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