search-form-close
Incendies à Tizi Ouzou : voyage au cœur de l’enfer

Incendies à Tizi Ouzou : voyage au cœur de l’enfer

L’Algérie est en deuil. Plus de 65 personnes ont péri dans les incendies qui se sont déclenchés lundi dans plusieurs wilayas du pays. La plupart des victimes ont été déplorées dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Voyage au cœur de l’enfer.

Tout au long de la RN-15, reliant Tizi Ouzou à Bouira, c’est la désolation. Par endroits, les feux n’ont presque rien laissé des deux côtés de la route. Au fur et à mesure qu’on gagne en altitude, le désastre gagne en ampleur.

Les premiers feux se sont déclarés lundi 9 août dans les villages en contrebas de Larbaâ Nath Irathen, en montant de Takhoukht. Sans doute des étincelles et des braises venues du versant de Beni Yenni  pour traverser la rivière de Verkmouche qui alimente le barrage de Taksebt.

| Lire aussi : Ils ont sauvé 101 citoyens : des militaires morts dans les incendies en Kabylie

Très vite, les flammes atteignent les grands villages de la région. D’abord Taourirt Mokrane, le deuxième village le plus peuplé de Kabylie, puis Aït Frah et Aït Atteli, aux portes de la ville.

Les villageois ont vite compris qu’il n’y a pas grand-chose à faire et mieux vaut ne pas perdre de temps. Les femmes et les enfants sont évacués. Un seul passage, la ville de Larbaâ. Les dégâts sont immenses. Des maisons sont détruites et les premiers morts sont signalés.

La solidarité s’improvise dans l’urgence et des appels sont lancés aux sinistrés pour venir se réfugier dans les zones non encore touchées, à Aït Oumalou, Tizi Rached et au chef-lieu de wilaya.

La protection civile est dépassée et tout le monde comprend qu’il est vain d’attendre des renforts. D’autres régions de Kabylie s’embrasent simultanément. 25 départs de feu sont signalés dans la même journée, dont 10 importants, selon la direction des forêts. Les forêts et maquis de Beni Yenni, Beni Douala, Aït Ouacif, Michelet, Yattafen, Bouzeguène, Azazga, Yakouren, Mizrana…

Dans la nuit, les feux montant d’Aït Atteli arrivent aux abords de la caserne de la ville, l’ancien Fort-National, mais ils seront vite maîtrisés. Les habitants ont passé une nuit difficile, mais le pire est à venir.

Mardi 10 août, presque toute la région est sous les flammes. Les habitants d’Irdjen, une commune qui surplombe le barrage de Taksebt, n’ont rien vu venir. C’est là que commence la RN-15.

« On n’a rien vu venir »

Là aussi, les étincelles ont dû être emportées par les vents de l’autre côté de la rivière, des collines de Beni Douala dont il ne reste presque rien. La forte canicule et les vents forts qui sévissent dans la région n’ont pas arrangé les choses.

Des villages qui se croient à l’abri peuvent se retrouver au milieu du brasier en quelques minutes. C’est ce qui est arrivé aux habitants d’Aït Halli, Aït Hague et Aït Yacoub, juste au-dessus du barrage, presque à sec depuis plusieurs semaines.

C’est en fin d’après-midi que les feux ont atteint les lieux pour se propager rapidement. Un habitant de la région témoigne : « Je suis arrivé en fin de journée de Tizi-Ouzou où je travaille, tout était normal. Puis soudain, on commence à crier au feu. Tout se passe très vite. Tout passe, oliviers et maquis, jusqu’aux maisons aux abords des villages. Plusieurs habitations ont été détruites. Les habitants ont tenté de lutter contre le feu, mais il n’y avait rien à faire contre les flammes gigantesques qui se déplacent vite. Tout ce qu’il y avait à faire, c’était de sécuriser les maisons les plus exposées. »

Un mort est à déplorer selon le même témoin, sans être en mesure de préciser son village. Le cadavre d’un jeune d’Aït Hague est découvert ce mercredi matin. « On a combattu le feu jusqu’à 03h00 du matin, puis on a été obligés d’abandonner. On n’en pouvait plus », ajoute cet habitant.

Deux ou trois kilomètres plus en avant, Azzouza et Aguemoun, deux villages densément peuplés, vivent l’enfer. Les femmes et les enfants sont évacués et les hommes tentent d’éteindre les brasiers. Sans plus de succès.

Lorsqu’un camion des pompiers prend feu, les volontaires comprennent que ce feu ne s’éteindra que quand il n’y aura plus rien à consumer. La ville est à quelques encablures.

En début de soirée, elle est atteinte par les flammes et plonge dans le chaos total. L’hôpital de la ville, déjà doublement saturé par la crise du Covid et les incendies, est menacé. On parle d’une trentaine de cadavres qui y ont été acheminés depuis la veille, dont ceux de 25 militaires du détachement stationné sur la route menant vers Ain El Hammam, sur les hauteurs de Tizi-Ouzou.

Mais les témoignages d’habitants de différents villages font penser que le nombre de victimes est plus important. Un climat de guerre et de désolation a régné pendant toute la journée à l’hôpital de Larbaâ, le personnel est dépassé. On ne sait plus où donner de la tête. Les efforts de la population ont pu sauver l’établissement, mais ailleurs, c’est le désastre.

Les secours sont venus de partout. Des citoyens de la région, mais aussi de Boumerdès, d’Alger, et d’autres wilayas ont accouru avec citernes et vivres, mais cela reste insuffisant devant l’ampleur des brasiers.

Hécatombe sur la RN-15

A la sortie sud de la ville, toujours sur la RN-15, c’est la commune d’Aït Agouacha. Plusieurs villages situés en contrebas ont été gravement touchés, notamment Aït Mimoun et Ikhlidjen.

Dans ce dernier village, on parle d’un bilan lourd. Certaines sources évoquent 10 morts, d’autres 17. Deux jeunes adolescentes ont été retrouvées calcinées, agrippées à leur mère, morte elle aussi. Il y a aussi des disparus et des appels sont lancés sur les réseaux sociaux pour les retrouver. Vingt personnes étaient toujours recherchées ce mercredi.

Sur la RN-15, au-dessus des villages partis en flammes, était stationné un détachement de l’ANP. Ses éléments, présents sur les lieux depuis la décennie noire, ont fortement sympathisé avec la population qui témoigne unanimement de leur gentillesse et de leur disponibilité à aider les gens, comme ils l’ont fait pendant cette tragédie. Hélas, ils n’ont pas été épargnés.

Dans l’endroit où ils sont stationnés, la végétation commence à peine à reprendre après les incendies de la décennie noire. Mais il y a suffisamment d’arbres renaissants et de buissons pour alimenter le brasier. Au moins 25 d’entre eux sont morts brûlés ou étouffés par la fumée. Les habitants ne les ont pas laissé tomber et sont venus pour secourir et rassurer les survivants.

Le détachement est stationné à équidistance entre les communes de Larbaâ Nath Irathen et Michelet (Aïn El Hammam). Dans cette dernière commune, les dégâts sont aussi importants. Juste avant d’entrer dans le chef-lieu, la pompe à essence d’Aguemoun Izem est toujours là. La nouvelle de son explosion, faisant 15 morts d’une même famille, est fausse.

Mais juste au-dessus, le village d’Azrou Oukellal a vécu l’enfer. Un habitant, encore sous le choc, indique qu’il y a eu plusieurs morts dans le village mardi, sans être en mesure de déterminer leur nombre.

Beaucoup de jeunes qui ont tenté d’affronter les flammes pour sauver des familles piégées, ont perdu la vie. Là aussi, on n’a rien vu venir. Le témoin assure que tout allait bien dans la matinée de mardi, jusqu’aux environs de midi, lorsque, sans crier gare, le feu a surpris les gens dans leurs maisons.

  • Les derniers articles

close