ENTRETIEN. Akli Moussouni, expert en agronomie; revient dans cet entretien sur le refoulement de la Russie et du Qatar de cargaisons entières de pomme de terre et de tomates à cause du taux élevé de pesticides qu’elles contiennent.
Des tomates et des pommes de terre algériennes viennent d’être refoulées de Russie et du Qatar parce qu’elles contiennent trop de pesticides. Nos fruits et légumes peinent à s’exporter. Pourquoi ?
Il y a plusieurs raisons pour que les produits algériens ne soient pas acceptés par d’autres pays. Il y a l’état sanitaire du produit où on peut facilement détecter une forte présence de pesticides (traitement de bactéries), de fongicides (traitement de champignons), d’insecticides (traitement des insectes), ainsi que d’herbicides (traitement des mauvaises herbes).
Vient ensuite l’aspect extérieur du produit qui est rarement homogène en calibrage et en couleur. Nous sommes en face d’un problème culturel qui se manifeste par la qualité des produits de traitement utilisés et leur mauvais dosage. Les produits cultivés dans le Sud du pays posent aussi un réel problème à l’exportation. On n’a jusqu’à présent pas tenu compte des éléments climatiques spécifiques à ces régions sahariennes. Dans cette vaste partie du pays, l’agriculteur travaille dans des conditions de chaleur extrêmes ce qui le contraint à irriguer ses cultures de manière exagérée. Le résultat est que le produit obtenu présente un niveau de matière sèche (partie consommable) très faible. Elle est bien en deçà des normes internationales. C’est la raison pour laquelle notre tomate a été refoulée d’Espagne. Gonflé d’eau, ce produit comme la pomme de terre ou le mais, cultivé dans ces régions, présente plus d’eau que de matière sèche, soit un taux d’humidité très élevé. Le sol est, par ailleurs, très pauvre en éléments minéraux et organiques dans ces régions.
Pour corriger ce niveau de fertilité très faible, les agriculteurs utilisent la fiente de volaille brute. Étant non traitée, celle-ci renferme tous les produits administrés à la volaille et qui sont détectables à l’analyse des fruits et légumes cultivés dans le Sud du pays. Ce sont tous ces éléments qui font que le produit algérien n’est pas conforme aux normes internationales. Heureusement que nos produits agricoles sont gâtés par la nature d’où ce goût exceptionnel.
Peut-on parler d’un surdosage dans l’utilisation de tous ces produits de traitement ?
Il ne s’agit pas uniquement de surdosage. Le problème est beaucoup plus complexe. On n’a pas de marché normalisé et par conséquent tout ce qui est produit est vendu qu’il soit de bonne ou de mauvaise qualité. Notre marché n’est pas exigent vis-à-vis des normes de production et encore moins de la qualité du produit. Ainsi, en l’absence d’encadrement, nos agriculteurs sont habitués à produire hors normes. Ils ne savent pas utiliser les produits de traitement dont la plupart sont de très mauvaise qualité.
Vous dites que les pesticides utilisés sont de très mauvaise qualité. Cela suppose qu’il n’y a pas de contrôle à l’importation ?
Ils utilisent des produits de très mauvaise qualité car à l’importation, ils n’exigent pas la qualité. Beaucoup préfèrent se rabattre sur des pesticides de mauvaise qualité car ils sont moins chers à l’importation. Quant au contrôle, il est pratiquement inexistant. Pour preuve, il y a à peine quelques mois, une quantité de semences de céréales a été introduite via les frontières sans aucun contrôle sanitaire. Dans cette cargaison, les semences traitées sont mélangées avec des semences non traitées. Arrivées chez l’agriculteur, ces semences ont été aussitôt attaquées par des parasites faisant que ces céréales n’ont pas pu profiter du climat très favorable de ces dernières semaines. Au final, le rendement est très faible et la qualité du produit laisse à désirer. Une preuve de plus que le contrôle n’a pas été effectué.
Mais, cela n’a rien d’étonnant devant l’absence d’une organisation des agriculteurs exclusivement autour de la production. Ces derniers agissent en agrégats dispersés que ce soit en amont dans l’achat des intrants (semences et produits de traitement) ou en aval lors de la mise en vente de leurs produits. Ils sont, ainsi, très fragilisés au moment des négociations pour l’achat des pesticides et autres. Et pour rentabiliser leurs activités, ils n’ont d’autre choix que de se rabattre sur des produits de mauvaise qualité qui sont cédés à moindre prix. Agir en groupe aurait, pourtant, permis à cette corporation de bénéficier d’un meilleur contrôle du produit importé avec un meilleur encadrement dans leur conduites culturales.
Nos agriculteurs doivent obéir à une règle triangulaire. À commencer par une formation qui répondrait à leur besoin par rapport à leur activité, soit le produit cultivé. Ils doivent être informés du marché national et du marché international, notamment des fournisseurs en matière de produits de traitement et de semences. Ils doivent activer en formation (groupe). C’est une règle internationale que l’Algérie peine à mettre en place. Les autorités ne se rendent compte aujourd’hui que de la problématique de la dépendance alimentaire à l’importation. Mais aucune mesure n’est adoptée pour réorganiser ce potentiel agricole à même d’aboutir à un marché national conforme et formel.
Il n’y a pas de contrôle de qualité pour les produits de traitement, qu’en est-il de nos fruits et légumes ? Y a-t-il une menace sur le consommateur algérien ?
Nous avons un énorme problème de contrôle de la qualité des produits alimentaires en Algérie. Le contrôle se limite, essentiellement, aux produits périssables, en l’occurrence les produits laitiers et charcuteries. Pour le reste, on ne peut pas espérer voir un contrôle de qualité s’effectuer sur les fruits et légumes produits localement ou importés.
En absence de normes de production, le contrôle de la qualité devient caduc. Pis encore, l’agriculteur ne se sent pas obligé d’investir dans la qualité du produit du moment qu’elle n’est pas rémunératrice. Au regard des normes de commerce international, la totalité des produits que nous consommons sont impropres à la consommation même s’ils ne portent pas atteintes à la santé publique. C’est le cas de l’huile d’olive produite localement. Elle présente un taux d’acidité beaucoup plus élevé que la norme internationale. Elle ne porte pas atteinte à la santé du consommateur, mais elle n’apporte pas non plus le plus recherché dans d’autres pays.
La spécificité de chaque produit nécessite une discipline de production avant sa mise sur le marché. Il est difficile d’appliquer ce processus dans notre pays en absence d’encadrement technique et de plateforme logistique au niveau de nos marchés de gros.
Quelles sont les conséquences d’une utilisation excessive de pesticides ? Avons-nous des laboratoires spécialisés dans le contrôle des produits agricoles ?
L’Algérie ne dispose pas de laboratoires pour effectuer des analyses profondes. Jusque-là, il n’y a pas eu d’investissement dans ce créneau car il n’y a pas de demande d’analyse des produits consommés en l’état. Pour ce qui est des conséquences, elles sont nombreuses dont notamment la contamination des eaux souterraines et de surface. Le lessivage du sol par les eaux de pluie entre en contact avec les produits de traitement des infections des eaux souterraines. Ces intrants qui sont pour la plupart de mauvaise qualité et utilisés d’une manière exagérée rentrent, inévitablement, dans la composition des produits mis à la vente.
Ils fragilisent le sol et par conséquent même les cultures qui viennent après sont de mauvaise qualité. C’est un cercle infernal auquel est soumis le produit agricole algérien.
Notre volaille serait aussi de mauvaise qualité. Est-ce que c’est pour les mêmes raisons que les produits agricoles ?
Elle ne peut pas être de bonne qualité puisque beaucoup de fermiers abusent des antibiotiques pour ne pas prendre le risque de mortalité des poules lors de leur transport sur les routes. À cela il faudrait ajouter l’alimentation qui ne répond pas aux normes. Je parle notamment du soja qui, dans la plupart des cas, est stocké dans de très mauvaises conditions. Mais la présence de moisissures dans ce produit ne semble déranger personne puisqu’il est tout de même administré aux volailles.
Il faut savoir que ce secteur dépend entièrement des importations aussi bien pour les produits vétérinaires que pour l’alimentation. Et comme ces produits sont de plus en plus chers, la volaille est très mal alimentée d’où le rendement faible constaté ces dernières années. Dans les autres pays, un poulet est produit en 45 jours. En Algérie, le même poulet d’environ 2,5 kg est produit en 65 jours.
Les causes sont essentiellement liées à la quantité et à la qualité de l’aliment. Mais aussi aux produits vétérinaires utilisés, ainsi qu’au micro climat d’élevage qui dans beaucoup de cas n’est pas approprié. Notre poulet est par conséquent cher et de mauvaise qualité.