Économie

L’Algérie en manque de viande rouge

En ce mois de ramadan, la disponibilité de la viande rouge à des prix accessibles constitue l’une des préoccupations des consommateurs algériens. Durant ce mois sacré, les besoins en viande sont de l’ordre de 55 000 tonnes en Algérie.

Aussi, les pouvoirs publics ont fait appel à l’importation de viande en provenance du Soudan, de la Colombie, de la Pologne et même du Brésil. L’Algérie est en manque de viande.

Bien avant le mois de ramadan, les prix ont augmenté pour dépasser les 2.200 DA le kg. Le programme d’importation et de distribution de viande a été confié à l’Algérienne des viandes rouges (Alviar), un opérateur public devenu incontournable.

Viandes : des importations de différentes origines

L’importation d’animaux sur pied est fréquente, le consommateur est ainsi sûr que les animaux aient été abattus selon un rite islamique.

Autre avantage, la valorisation des abats du cinquième quartier. Ces dernières années, l’importation concernait principalement de jeunes veaux, ou broutards, destinés à l’engraissement et provenant de France ou d’Espagne. Face à l’urgence d’alimenter le marché ce mois-ci ,ce sont des animaux finis qui ont débarqué sur le port d’Alger.

Lors d’une intervention sur la Radio algérienne, Lamine Derradji, le directeur général d’Alviar, a fait part de l’arrivée au port d’Alger d’un premier navire chargé de 2.500 veaux en provenance du Brésil : « 30.000 tonnes de viande seront importées par étapes dont 20.000 tonnes de viande fraîche et 10.000 têtes de veaux destinés à l’abattage. »

Les importations de veaux en provenance des pays du Sahel constituent également une nouveauté. Ces importations et l’abattage se font sous contrôle des services vétérinaires dans des abattoirs au sud.

La viande est ensuite transportée par camions frigorifiques vers le nord. Depuis peu, des investisseurs se sont également lancés dans l’importation de jeunes bovins de race sahélienne qu’ils engraissent au sud.

Importation des viandes : des perdants et des gagnants

Cette diversification des sources d’approvisionnement des viandes n’est pas sans quelques grincements de dents chez les producteurs traditionnels français et espagnols. En 2019, 62 000 veaux ont été importés dont 60 000 en provenance de France et 69 000 têtes en 2022. La presse spécialisée titrait alors : « L’Algérie permet de maintenir la dynamique des prix. »

Aujourd’hui, la déconvenue est grande au niveau du port français de Sète où la Société d’Exploitation du Parc à Bestiaux (SEPAB) s’est spécialisée dans l’exportation d’animaux vivants, notamment à destination de l’Algérie.

André Veyrac, président de la coopérative d’élevage Célia, gérant de la SEPAB, déclarait en 2020 : « Le salut de l’élevage français passe par l’export vers les pays tiers. » Cette coopérative est fortement engagée sur le marché algérien où les broutards de race Aubrac sont particulièrement appréciés. La coopérative est intégrée au groupe Bevimac, reconnu comme « leader sur l’export en Algérie. »

La récente importation par l’Algérie de bovins vifs en provenance du Brésil n’est pas passée inaperçue. « Il s’agit d’une première », a noté la presse spécialisée.

Côté espagnol, la filière évoque une chute de 20 à 30 euros du prix des veaux suite à la réduction des expéditions vers l’Algérie. L’interprofession vendait annuellement 20.000 tonnes de bêtes sur pied et recherche aujourd’hui de nouveaux marchés vers la Libye et le Liban.

Algérie : de la viande importée à 1.200 DA le kilo

L’objectif de l’Algérienne des viandes (Alviar) est d’approvisionner 1.100 points de vente répartis à travers tout le territoire national et dont les adresses figurent sur une plateforme numérique.

Ce réseau a été constitué grâce à des conventions signées avec 12 sociétés de distribution de viandes rouges. La viande devrait être proposée au consommateur au prix de 1.200 DA le kg. Un programme ambitieux observé de près par les consommateurs.

Sur les réseaux sociaux, une internaute demande : « Quelqu’un a-t-il déjà acheté de la viande rouge au prix de 1.200 DA comme annoncé ? Si oui, où ? » Immédiatement, les réponses fusent. Pour la viande rouge : 2.200 DA/kg à Khenchela, 1.900 DA à El Tarf, 2.500 DA à Tizi Ouzou ou 2.300 DA à Biskra.

Quelque peu désappointé, un internaute de Bouira répond : « Ces prix [1.200 DA/kg] existent seulement à l’ENTV ». Un autre tente une explication : « Les points de vente ne suffisent pas. Vous vous rendez compte, la TV présente des gens en train de faire de la pub et derrière eux des dizaines en train de se bousculer pour la viande brésilienne. Avec un seul point de vente. Vous imaginez la suite. Bousculade. »

Viandes : la production locale en renfort

La production nationale des viandes a été également mise à contribution. Les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) procèdent à la vente d’orge au tarif de 2.600 DA le quintal contre 5.000 à 6.000 DA sur le marché privé. Cette dotation devrait passer de 300 à 600 g par brebis.

De son côté, Alviar poursuit son programme de convention triangulaire qui prévoit la fourniture d’aliment concentré à l’éleveur par l’Office national des aliments du bétail (ONAB) contre la vente exclusive des agneaux à Alviar.

Selon Lamine Derradji, PDG d’Alviar, « ce nouveau dispositif de convention triangulaire a déjà attiré quelque 200 éleveurs adhérents, ce qui représente un cheptel de plus de 20 mille têtes ».

Ce programme en est encore à ses débuts. Dans la seule wilaya de Tiaret, les services agricoles font état de 1,5 million de têtes.

Elevage ovin en steppe

Bon connaisseur de l’élevage en milieu steppique, l’universitaire Slimane Bencherif a établi en 2018 la liste des difficultés encore rencontrées par les éleveurs.

« Quelques rares éleveurs arrivent à satisfaire la totalité des besoins fourragers de leurs animaux, uniquement avec des cultures fourragères irriguées ; faute d’hygiène et de suivi vétérinaire, la mortalité des agneaux nouveau-nés dépasse souvent 10 % ; faute de sélection des races locales, les bons géniteurs sont difficiles à trouver et beaucoup trop chers pour de nombreux agropasteurs ; faute de mises en défens obligatoires, les parcours surchargés sont souvent gravement dégradés ; et faute de moyens d’information et de services techniques et financiers appropriés, d’approvisionnement régulier en intrants, d’unités de transformation, de conditionnement, et de commercialisation des produits assez nombreuses et bien réparties la plupart des éleveurs ne peuvent pas profiter de toutes les possibilités d’améliorer leur sort. ».

C’est dire les réserves de productivité qui existent. En matière de pâturages, la location saisonnière des parcours au prix de 1.000 DA l’hectare se veut une réponse à la dégradation des parcours.

En matière de transformation, Alviar dispose de trois abattoirs modernes à El Bayadh, Djelfa et Aïn M’lila (w. Oum El Bouaghi). Malgré ces efforts et l’augmentation des effectifs en ingénieurs agronomes et vétérinaires au niveau national, les techniques utilisées par les éleveurs restent rudimentaires.

Algérie : manque de technicité dans la production de veaux

Les importations de broutards ces dernières années ont contribué au développement d’une filière bovin viande. C’est le cas dans la région de Constantine, où des éleveurs se sont spécialisés dans l’engraissement de broutards de race Charolais.

Des animaux qui arrivent au poids de 450 kg et que les éleveurs amènent à 700 kg à raison d’un gain de poids de 1,5 kg/jour. Des éleveurs dont la revue spécialisée Réussir Bovins a recueilli les pratiques : « Les broutards sont démarrés avec du foin d’avoine et d’orge (3,5 kg par bête et par jour), de la paille et 2 kg d’orge, pour les habituer à la ration sèche. Ils passent ensuite à un régime foin (5,5 kg), blé et son, puis à une ration avec paille à volonté et aliment d’engraissement (jusqu’à 12 kg). »

Il s’agit le plus souvent d’éleveurs disposant de capacités leur permettant d’engraisser plusieurs centaines de veaux. La rentabilité de ces élevages dépend du prix d’acquisition des bêtes – certaines proviennent de quotas bénéficiant d’une détaxe –, des frais de quarantaine en lazaret, du transport depuis le port jusqu’à l’exploitation et du niveau d’autonomie fourragère de l’exploitation.

A côté de ces élevages intensifs, des éleveurs comme à El Tarf ou à Sétif préfèrent engraisser des veaux de race locale. Des animaux plus rustiques et moins sensibles aux maladies mais dont la période d’engraissement est plus longue.

Dix kilo de végétaux pour un kilo de viande

Le développement de la filière bovine en Algérie a plusieurs défis à relever. Le premier concerne l’insuffisance des ressources en fourrage. A cela s’ajoute la difficulté d’accès aux financements et aux quotas d’animaux exemptés de taxes.

La filière reste peu organisée et la valeur ajoutée est captée par de nombreux intermédiaires : propriétaires des lazarets, transporteurs ou vendeurs d’aliments. Cela sans compter le manque de savoir-faire en matière de constitution des rations d’engraissement.

Pour Mohamed Sadoud, co-auteur d’une récente étude, les charges des exploitations locales sont huit fois supérieures aux exploitations brésiliennes et deux fois supérieure à celle des exploitations européennes.

Depuis longtemps, le spécialiste français Bernard Griffoul alerte la filière française : « La France ne pourra d’ailleurs pas se contenter d’expédier des animaux vers l’Algérie. Pour pérenniser ce marché, voire le développer, et se prémunir contre la concurrence d’autres pays fournisseurs d’animaux, elle serait bien inspirée d’y associer un transfert de technologie en construisant une véritable filière bovine franco-algérienne d’engraissement. »

Quant à la filière ovine en Algérie, à propos des projets de développement, Slimane Benchérif avertit : « Pour être appropriés et durables, pour être effectivement mis en œuvre et pour être efficaces, ils doivent aussi être participatifs et librement négociés [avec les éleveurs ]. »

Produire un kilo de viande rouge revient à utiliser en moyenne dix kilos de végétaux. Le climat semi-aride local ne permet pas à l’Algérie de se comparer aux plaines soudanaises irriguées par le Nil ou au Mato Grosso brésilien.

Le vétérinaire Nadjib Tekfa, distributeur des poules de race Hubbard-Algérie, indique avoir beaucoup voyagé en Afrique de l’Ouest et suggère d’investir dans la production de fourrage au niveau de pays africains amis. La disponibilité en viande rouge, de quoi animer la discussion des longues soirées de ramadan.

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