Économie

Le son de blé, objet de toutes les convoitises en Algérie

Sur les marchés aux bestiaux, le prix du son de blé est de toutes les discussions. Alors que le prix officiel est de 1 500 dinars algériens le quintal, il se négocie à 4 200 DA.

“Vous vous rendez compte, tempête un éleveur de moutons, ce n’est qu’un sous-produit, mais il coûte plus cher que le blé !” Les services agricoles tentent de réglementer le marché mais en vain.

| Lire aussi : Les pluies dévoilent les retards de la filière céréales en Algérie

Les issues de meunerie proviennent de l’activité des moulins à céréales. Une fois le blé écrasé entre les meules, l’enveloppe externe des grains peut être isolée et constitue le son si convoité.

Traditionnellement, les agriculteurs l’utilisent pour nourrir vaches et moutons. L’actuel manque de fourrages lié à la sécheresse de l’année passée réduit les disponibilités en foin, paille et orge d’où la tension actuelle sur les prix. “Des moulins nous le font payer à 4 200 DA le quintal mais indiquent 1 500 DA sur la facture. C’est à prendre ou à laisser nous disent-ils”, rapporte un éleveur.

En février dernier, le quotidien Liberté relatait qu’une quarantaine d’éleveurs avaient organisé un sit-in devant le siège de la wilaya de Nâama pour protester contre le manque d’aliments de bétail.

Pour l’agronome Sofian Benadjila s’exprimant en juillet 2019 dans El Watan : “Au fil des années, nous avons vu apparaître un type d’engraissement dit finition, à l’image des Feed Lots (toute proportion gardée). Autour des villes, et villages de l’intérieur du pays, ces parcs d’engraissement font désormais partie du paysage. Leur voisinage des centres urbains se justifie par la facilité de l’approvisionnement en grains, eau, la proximité des marchés…”

Ce type d’élevage en « hors sol » présente cependant l’avantage de créer des emplois en milieu rural.

En décembre 2020, lors d’un entretien avec la presse, le ministre de l’Agriculture avait indiqué avoir mis sur pied un dispositif visant à permettre aux éleveurs de disposer de son de blé à un “prix raisonnable” avec un “nouveau système qui mettra fin à ces spéculations”. A cette occasion, il s’était élevé contre le fait que le son soit commercialisé à un prix “deux fois plus que le prix du blé”.

Le ministre a fait savoir qu’une circulaire avait été adressée aux walis. A l’avenir, le son devrait être distribué aux éleveurs à travers les coopératives d’éleveurs et l’Office National des aliments du bétail (ONAB) chargé de l’incorporer dans ses aliments. Dans chaque wilaya, la vente de son devrait être contrôlée par une commission chargée d’établir la liste des éleveurs laitiers et de la production en son de chaque moulin. La distribution aux éleveurs devant être basée sur une note ministérielle de 2015 définissant une norme journalière de 4 kg de son par vache.

Un manque de fourrages en steppe

Face à ce déficit fourrager, des alternatives existent. Dès 2011, le spécialiste H. Ben Salem de l’Institut National de la Recherche Agronomique de Tunisie s’étonnait du fait “qu’on a tendance à faire nourrir des ruminants (bovins et ovins) comme des monogastriques (volailles)” c’est à dire à base de produits importés tel le maïs et le soja. Or, la panse des ruminants est apte à digérer la cellulose contenue dans la paille ou les feuilles d’arbustes fourragers, des cactus, des grignons d’olives et de l’azote sous forme minérale.

Dans cette optique, le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS) a lancé, sur des centaines d’hectares, la plantation d’arbustes fourragers : atriplex, acacia, figuier de barbarie (opuntia). Aujourd’hui, la région de Tébessa constitue un exemple. Les plantations locales permettent d’alimenter les élevages de moutons en raquettes d’opuntia. Découpées en minces lanières, elles sont consommées par le bétail.

Mais ces plantations reposent sur des programmes publics, les agro-pasteurs restent spectateurs et ne plantent pas ce type d’arbustes même s’ils reconnaissent leur intérêt. Une des explications vient du statut des parcours steppiques : ils sont communautaires pour la plus grande partie. Puis, jusque-là, l’orge d’importation a largement approvisionné les élevages. Avec ses 30 millions d’hectares, la steppe présente un potentiel fourrager certain en Algérie.

Les sous-produits, délaissés par les fabricants d’aliments du bétail

Une autre source d’aliments pour le bétail peut provenir des sous-produits des industries agro-alimentaires : tourteaux de soja et de colza, mélasse issu du raffinage du sucre roux, grignons provenant de la trituration des olives, pulpes de tomates des conserveries, drêches de brasseries.

Individuellement ces produits présentent peu d’intérêt, mais mélangés à d’autres, ils constituent des rations équilibrées. Il est possible de les associer avec un liant comme la chaux et de les compléter en azote avec l’urée produite par le groupe public Asmidal. Le produit final se présente sous forme de blocs alimentaires de petites dimensions qui assurent les besoins de base des animaux.

Malgré la mise au point de formules de rationnement par les chercheurs de l’Ecole nationale supérieure agronomique d’El Harrach, la valorisation des sous-produits sous forme de blocs reste faible. Elle fait face aux importations de maïs et de tourteaux de soja par les fabricants d’aliments du bétail qui bénéficient de généreuses exonérations de TVA.

Avec le développement des plantations d’oliviers, les grignons d’olives sont disponibles en plus grande quantité. Leur conservation nécessite cependant de les sécher, un tamisage permet d’éliminer les débris de noyaux.

Une autre façon d’utiliser les sous-produits apparaît dans certaines étables équipées de remorques mélangeuses. Ces engins permettent d’incorporer des sous-produits dont de la mélasse et de l’urée aux fourrages traditionnels et d’obtenir du “mash”. A Constantine, la société Agro-fourrages commercialise ce produit, à Sétif c’est la coopérative Anfel qui le propose à ses adhérents.

Le son, convoité en alimentation humaine

Mais le son est également intéressant en alimentation humaine. Non séparé du grain de blé, le tégument est une source d’éléments minéraux mais aussi de fibres. Des fibres qui améliorent le transit intestinal et bloquent les graisses, d’où un effet reconnu contre le cholestérol.

La baguette parisienne de farine blanche largement répandue en Algérie et largement subventionnée par les pouvoirs publics, présente un indice glycémique élevé. Un indice propice à générer du diabète. L’adjonction de son permet de produire de la farine semi-complète ou complète. Ce type de farine et de semoule est conseillé par les nutritionnistes.

Par ailleurs, avec un taux de mouture de 80%, passer de la farine blanche à la farine semi-complète impliquerait une plus grande utilisation de son et une réduction moyenne de 10% des quantités de blé à importer.

Mais, le son n’est pas le seul produit courtisé à la fois par l’alimentation animale et humaine. A l’étranger, les tourteaux issus de la trituration de soja sont utilisés dans les sauces, plats cuisinés et mélangés à raison de 15% dans les steaks de viande hachée.

A travers la disponibilité du son de blé, c’est l’autonomie fourragère des exploitations qui est en jeu. Beaucoup d’étables ne disposent pas de la surface nécessaire à la production de fourrages et sont considérées comme en “hors-sol”.

Mais c’est également la définition du type d’agriculture et d’alimentation qui est en cause avec en corollaire la place à accorder à la viande et aux produits laitiers dans la ration alimentaire des ménages.

Les plus lus