Économie

L’enjeu de la semence de pommes de terre en Algérie

Après la semence de colza, c’est celle de la pomme de terre qui semble poser problème en Algérie.

En 2020, Belhanini Mustapha, le directeur général du Groupe de valorisation des produits agricoles (Gvapro), déclarait à l’APS « qu’à partir de 2022, l’Algérie n’importera plus de semences de pomme de terre

Des témoignages d’agriculteurs font état d’une qualité insuffisante des semences. Les semences produites localement seraient-elle en cause ?

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Récemment, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural ainsi que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique se sont rendus à Guellal (Sétif) pour soutenir la filière locale. Accompagnés par Belhanini Mustapha, la délégation a visité les installations de l’entreprise publique Agro-développement, une filiale du Groupe Gvapro.

Vêtus de combinaisons stériles, les visiteurs ont parcouru les laboratoires et les serres d’acclimatation. Le centre produit 1,5 million de mini tubercules G0 et 850 quintaux de semences de multiplication de première génération (G1).

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A cette occasion, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural s’est félicité des rendements obtenus par le centre et a insisté sur le fait que la semence est cédée au prix de 5.000 DA le quintal contre 25.000 DA pour la semence importée.

Semence locale, à peine 1 à 2 pommes de terre par pied

En avril dernier, un agriculteur confiait à Ennahar TV que la semence locale n’avait pas la qualité de la semence importée : « Au lieu de 3 mois et demi, la culture met 4 mois et demi pour être récoltée. Elle n’est pas vigoureuse et donne peu de pommes de terre; à peine 1 à 2 par pied contre 5 à 6 pour les autres. » Déçu, il ajoutait : « On en appelle au soutien de l’Etat. Les gens sont à l’arrêt sur ce genre de production. C’est pour cela que le prix de la pomme de terre est élevé sur les marchés. »

Le prix d’un quintal de semence est de 20.000 DA et le coût à l’hectare revient à 1,2 million de dinars, confie un agriculteur. Sans compter le coût de la location de la terre, de la main d’œuvre, des engrais et de l’irrigation. A Médéa, dans le cas de la culture de l’ail, le coût de location de l’hectare de terre est de 100.000 DA.

« N’importe qui peut se déclarer producteur de semences »

Gvapro n’est pas le seul organisme sur le créneau de la semence de pommes de terre. En 2020, le responsable de Gvapra confiait à l’APS que « le secteur importe actuellement 20% seulement des besoins en semences de pomme de terre pour près de 80 millions d’euros/an, pour les revendre ensuite aux agriculteurs au prix de 190 DA/kg. Les 80% sont couverts par la production locale au prix de 60DA/kg. »

Cette production locale de semences est également assurée de façon informelle par des agriculteurs privés. Dans le premier cas, il ne s’agit pas d’une simple multiplication mais de la production de semence de pré-base et de base.

Tandis que dans le deuxième, il s’agit de multiplication de semences de base locale ou importée. Dès 2020, les installations de Gvapro ont démarré un processus d’accréditation en coordination avec l’Organisme algérien d’accréditation (Algerac). En effet, les installations se sont hissées au niveau des standards internationaux.

La qualité des semences produites en Algérie dépend du niveau technique du multiplicateur. Si la plupart des multiplicateurs privés sont agréés par les services agricoles, certains agissent en totale indépendance. C’est ce qui fait dire à cet observateur : « En Algérie, n’importe qui peut se déclarer producteur de semences. Ce n’était pas le cas auparavant au temps de l’Onapsa [ex-office public agricole]. »

De meilleurs rendements sur terre vierge

Contrairement au blé, les semences de pomme de terre sont des tubercules et non pas des graines. Ces tubercules peuvent être de véritables réservoirs à maladie. Aussi, la multiplication de semences doit respecter un cahier des charges extrêmement strict. Il fait appel à un matériel végétal sain et à l’utilisation de terres indemnes de parasites car n’ayant pas reçu de pomme de terre durant deux années.

Les agriculteurs savent que les terres indemnes ou terres vierges, sont les plus productives. Le prix de location est d’ailleurs plus élevé que les terres ordinaires. Dans la région de Rechaïga (Tiaret), une étude réalisée en 2019 par l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie (ENSA) indique qu’avec « le même itinéraire technique et les mêmes intrants, le rendement dans la partie vierge a été de 1.100 quintaux d’oignons par hectare, et celui de l’autre partie de 800 qx/ha.»

Dans une autre étude universitaire, un agriculteur de Mouzaïa (Mitidja) produisant du poivron témoigne : « Nous sommes obligés de nous déplacer tous les deux ans ou trois, autrement le bénéfice serait nul. En effet, le sol s’épuise rapidement et les maladies se propagent encore plus vite, et si votre culture est atteinte, vous n’avez d’autre issue que de déménager ! »

Il n’existe pas de traitement chimique à moins de désinfecter le sol. « J’ai d’ailleurs eu la malchance de subir les conséquences de cette maladie que nous appelons ici elaarg (la racine), que j’ai traitée avec un produit qui m’a coûté 2,3 millions de centimes et ça n’a rien soigné du tout ! », a-t-il ajouté.

Des semences de base produites par culture in vitro

Avec la culture in vitro, la production de semences de Gvapro fait appel aux techniques les plus modernes. Seule la pépinière Vitroplant de Blida fait de même. On doit à Khadidja Chennoufi de l’ENSA, l’introduction de la culture in vitro en Algérie. Dès le début des années 1980, après sa soutenance de thèse, cette chercheuse est alors revenue de l’étranger et a formé les premiers spécialistes algériens.

En 2017, à Guellal, ce sont 350 millions de dinars qui ont été investis dans la modernisation des installations. Aujourd’hui, le matériel végétal de pré-base est d’abord cultivé en laboratoire dans des tubes, ce qui le débarrasse de tout type d’infection.

Ces opérations sont le fait d’un personnel spécialisé qui travaille en chambre stérile et utilise des milieux de culture particuliers avec des dosages hormonaux précis.

Les plants de base obtenus sont ensuite élevés en pots avec une terre stérilisée afin de les prémunir contre les nématodes du sol. Ces plants produisent de mini-tubercules qui seront plantés sous serre dite insect-proof. Cette fois-ci, le but est de les protéger des pucerons vecteurs de maladies à virus.

La multiplication en plein air, source de contaminations

Les risques de contamination surviennent lors des cycles de culture ultérieurs, c’est-à- dire lorsque ces semences de base doivent être reproduites en champs pour produire des semences super élite puis élite pour arriver enfin aux semences de classe A qu’utiliseront les agriculteurs.

Cette production de semences est la mission d’agriculteurs spécialisés, triés sur le volet. Le cahier des charges stipule une sévère lutte contre les parasites avec respect des rotations des cultures, protection phytosanitaire et épuration des parcelles. Il s’agit d’arracher et de détruire systématiquement les plants présentant des symptômes de maladies.

Au niveau de Gvapro, le suivi du cahier des charges est rigoureux. Aussi, il est possible que d’éventuelles contaminations aient eu lieu en bout de chaîne chez des multiplicateurs de semences. Si c’est le cas, il s’agit d’une question d’encadrement et de contrôle des multiplicateurs privés.

Face à l’importance stratégique de ce type de production, lors de cette visite, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a d’ailleurs lancé un appel aux chercheurs algériens afin qu’ils inscrivent leurs recherches dans les préoccupations du secteur agricole.

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