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Les agriculteurs français en guerre contre l’Europe : quelle similitude avec l’Algérie ?

Les agriculteurs français en guerre contre l’Europe : quelle similitude avec l’Algérie ?

Les agriculteurs français ont gagné leur bras de fer. En quelques jours leurs tracteurs qui bloquaient les autoroutes ont fait plier le gouvernement français et Bruxelles. Le gouvernement français a ainsi annoncé une batterie de mesures visant à répondre à leurs revendications.

Lors des manifestations, les agriculteurs ont accroché sur leurs tracteurs des pancartes avec l’inscription « Notre fin sera votre faim ». À leur passage, les habitants des villes et villages leur ont témoigné une pleine solidarité.

Pour ces agriculteurs français, la coupe est pleine après l’entrée en masse des produits agricoles ukrainiens c’est ceux d’Amérique latine qui les menaçaient à travers le projet d’accord commercial Mercosur. Mais c’est l’annonce d’une suppression prochaine de la subvention sur le gasoil agricole qui a fait déborder le vase. Le gouvernement français a indiqué ensuite revenir sur cette décision.

Les agriculteurs français ne sont pas les seuls à faire entendre leur voix. Déjà ceux des Pays Bas manifestent depuis plusieurs mois contre les restrictions qui frappent les élevages. En cause, la pollution aux nitrates liée à la grande concentration d’animaux sur leur exploitation.

Contre la grande distribution

En France, les grandes surfaces organisées en de puissantes centrales d’achat imposent leur loi aux industriels de l’agro-alimentaire et aux agriculteurs.

Ceux-ci tentent de résister notamment en se groupant à plusieurs pour ouvrir des magasins fermiers permettant la vente directe de leurs produits. C’est le cas à Cadenet dans le sud de la France où, joint par téléphone, Christophe un éleveur de moutons confie à TSA que la superette ouverte depuis 3 ans avec ses collègues agriculteurs « fonctionne du tonnerre ».

D’autres agriculteurs s’équipent de petits moulins à grain et d’un atelier de production de pâtes alimentaires quand d’autres pressent eux même leur huile de colza pour de la vente directe.

D’autres ont choisi la stratégie du bio même s’ils déchantent actuellement. Avec l’inflation, les consommateurs disent ne pas pouvoir acheter des légumes à 7 euros le kilo.

Pour les grosses exploitations céréalières la vente directe n’est pas possible, aussi certains font des infidélités à leur coopérative et se découvrent une âme de trader.

Rivés à l’évolution des cours du blé, du colza ou du maïs, ils vendent leur récolte au plus offrant. Fini la fosse au pied des silos de la coopérative où ils vidaient auparavant leurs remorques de grains. Ils se sont équipés de boisseaux de chargement, sorte de gros entonnoirs, qui leur permettent de charger les camions du négoce privé en moins d’un quart d’heure.

Témoignant dans la presse locale, un jeune céréalier installé au sud de Paris avec un ouvrier sur 280 hectares indiquait ces jours-ci ne plus y arriver.

Si en 2022, la flambée des cours du blé liée à la crise ukrainienne lui a permis de réaliser une bonne année, 2023 s’avère catastrophique. En cause, le prix du blé redescendu au niveau d’avant crise alors que les prix des engrais et carburant sont restés élevés.

Comme en Algérie, les agriculteurs français se plaignent des marges exagérées dont bénéficient les intermédiaires.

La Fondation française pour la Nature et l’Homme (FNH) a étudié le cas d’un produit de large consommation : le lait demi-écrémé. Entre 2001 et 2022 le prix du litre payé aux éleveurs a baissé de 0,24 € à 0,25 € alors qu’au niveau de la distribution les prix passaient de 0,08 € à 0,23 € soit une augmentation de 188%.

Quant aux bénéfices de la grande distribution, sur la seule période 2018 à 2021, la FNH indique qu’ils sont passés de 74 à 145 millions d’euros.

La loi Egalim de 2018 concernant l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire visait à ce que les marges des agriculteurs soient protégées. Apparemment ce n’est pas le cas.

À la question des marges, s’ajoute celle de la concurrence des produits étrangers à bas prix liée aux bas salaires pratiqués par des pays exportateurs.

Au péage autoroutier de Béziers, des tomates jonchent le sol. Il s’agit de tomates cerise en provenance du Maroc et destinées à la plateforme de la marque de supermarché discount LIDL.

Déjà lourdement impactée par la sécheresse endémique, l’agriculture marocaine qui est tournée vers l’exportation, pourrait souffrir si des mesures sont prises en Europe pour protéger les agriculteurs contre la concurrence déloyale.

Les manifestants dénoncent ces importations pour distorsion de concurrence. Les tomates sous serre provenant d’Espagne sont également dans le viseur. L’ex-candidate à la présidentielle française Ségolène Royal, s’est exclamée sur BFMTV fin janvier : « Vous avez goûté les tomates soi-disant bio espagnoles ? C’est immangeable ! »

À Bagnols-sur-Cèze dans le sud de la France, c’est un camion transportant du vin espagnol qui a été l’objet de la colère des agriculteurs. Les vannes de la citerne ont été ouvertes et 30.000 litres de vin ont fini sur la chaussée.

« Il y en a pour 4.000 euros et les assurances refusent de m’indemniser », indique en colère le patron espagnol en voyant la vidéo prise sur le barrage.

Les produits ukrainiens sont également visés par les agriculteurs français. Dans un esprit de solidarité avec ce pays qui est en guerre avec la Russie depuis février 2022, l’Union Européenne (UE) a aboli les droits de douanes sur les céréales, le sucre et les poulets ukrainiens. Aujourd’hui, la moitié des poulets consommés en France viennent d’Ukraine.

À 6,8 euros le kilo le poulet français n’est pas concurrentiel face à celui venu d’Ukraine vendu à moins de 3 euros. Chaque mois ce sont 24.000 tonnes de poulets ukrainiens qui rentrent dans l’UE.

Le blocage des autoroutes par les agriculteurs a finalement fait bouger le monde politique. Lors du dernier sommet européen à Bruxelles, le président Emmanuel Macron a dénoncé les importations de poulet et Yuriy Kosyuk le PDG de MHP, une multinationale ukrainienne. « Ça profite à qui, aux trois-quarts ? À un groupe, détenu par un milliardaire. Objectivement, on n’a pas envie d’enrichir ce monsieur » car « ça n’aide pas l’Ukraine », a dénoncé le président français.

L’arrivée massive des produits agricoles ukrainiens a fait chuter les cours du blé et du sucre. Plus grave est la menace que font peser le projet d’accord Mercosur. Il vise à supprimer les droits de douanes entre l’UE et plusieurs pays d’Amérique latine. Une façon pour les industriels européens et, en particulier allemands, d’accéder à ces marchés.

Enfin les agriculteurs français se plaignaient des nombreuses contraintes environnementales ainsi que des nombreux formulaires et contrôles nécessaires à l’obtention des aides européennes. Ils ont obtenu le retrait du plan Ecophyto qui visait à réduire l’utilisation des pesticides.

Agriculteurs français en colère : quelle comparaison avec l’Algérie ?

En comparaison avec leurs homologues européens notamment français, les agriculteurs algériens sont mieux lotis. Certes, ils peuvent rencontrer des problèmes de marges, mais ils sont relativement bien protégés de la concurrence étrangère du fait de barrières douanières.

Par ailleurs, les subventions qui leur sont accordées ne sont pas accompagnées de mesures environnementales telles l’obligation de planter des haies ou lutter contre la pollution par les nitrates.

En Algérie, la volonté des pouvoirs publics de réduire les importations de biens alimentaires se traduit pour les agriculteurs par un meilleur accès à la propriété foncière à travers l’attribution de concessions agricoles, de gratuité de l’eau ou de subventions portant sur le matériel et les intrants agricoles.

Par ailleurs, les mesures prises contre les importations de tomates de conserve, d’ail et de pommes ont sécurisé l’investissement des agriculteurs engagés dans ces filières. La récente attribution du monopole d’importation des légumes secs au seul Office algérien interprofessionnel des céréales vise également à protéger la production locale des légumineuses.

Reste la délicate question de l’eau. Face à l’irrégularité des pluies, les tensions concernant l’accès à l’eau pourraient s’exacerber à l’avenir avec le dérèglement climatique.

En juin 2022, le quotidien El Watan a relaté qu’à Bouchegouf (Guelma), des agriculteurs « ont manifesté leur mécontentement, deux jours durant en dénonçant le manque d’eau d’irrigation en provenance du barrage de Hammam Debagh ». Ce qui s’est traduit par « quelques ralentissements de la circulation routière ».

Les forages illicites sont fréquents. À la mi-novembre 2023 le quotidien Le Soir d’Algérie a rapporté que la Gendarmerie nationale de Relizane a traité « quatre affaires de forage illégal, pour avoir creusé des puits sans aucune autorisation délivrée par les services de l’hydraulique. »

La loi de 2005 sur l’eau constitue un cadre réglementaire. Restera à développer la concertation en tenant compte des exigences des agriculteurs et de la préservation d’une ressource vitale pour tous.

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