Économie

Les Algériens doivent-ils changer leurs habitudes alimentaires ?

Attablé dans un café, un client indique qu’il a l’habitude de mettre 6 cuillères à café de sucre dans sa tasse. Zouhir, le patron de l’établissement, ne décolère pas et confie à Ennahar TV que 7 à 8 kilos de sucre sont consommés chaque jour par sa clientèle.

La hausse des prix des produits alimentaires sur le marché international va avoir de graves répercussions sur le montant de la facture des importations de l’Algérie. Les pouvoirs publics vont devoir faire face à de déchirants arbitrages.

Agriculture, le mythe d’une Algérie riche

Dès 2016, dans un entretien au quotidien El Watan, Omar Bessaoud, chercheur à l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier avertissait : “C’est ce mythe d’une Algérie riche en ressources naturelles qui a fondé le pari fait sur l’agriculture saharienne“.

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À part une mince bande côtière recevant presque autant de pluie qu’un pays comme la Lituanie, le reste du pays est montagneux ou désertique et donc peu propice à une agriculture durable. En effet, penser produire au sud ce qu’on n’arrive pas à mieux produire au nord implique une débauche d’énergie électrique pour pomper dans le sous-sol saharien une eau fossile souvent chargée de sel.

Bien qu’ayant connu des taux de croissance de 9,2 %, le drame de la production agricole locale est de ne pas pouvoir rattraper la hausse des prix internationaux.

Le taux démographique actuel fait que chaque année, un million de bouches à nourrir vient s’ajouter à la population algérienne.

À cela, il faut compter avec les 28 millions de moutons à nourrir et pour lesquels un tiers des surfaces céréalières leur sont consacrés pour produire de l’orge. Aussi, pour les pouvoirs publics, la facture alimentaire risque de devenir intenable, or les marges de manœuvres sont étroites.

L’eau, le facteur limitant

Avec un climat semi-aride, la principale contrainte de l’agriculture reste l’eau. Si les récentes pluies ont permis un début de recharge des barrages, rien ne garantit leur remplissage maximum.

De nombreuses cultures nécessitent d’être irriguées : pommes de terre, cultures maraîchères, arboriculture et depuis quelques années les surfaces de blé et de maïs dans le grand sud. À 1 000 km d’Alger, les réserves en eau souterraines sont encore largement disponibles. Plus au nord, ces eaux souterraines font l’objet d’une âpre compétition entre agriculteurs. Résultat, une surexploitation non maîtrisée à ce jour.

Une gestion rationnelle passe par une gestion participative associant les irrigants et le développement sur le terrain d’une police de l’eau capable de faire respecter la pose de compteurs sur les forages ainsi que le quota d’eau attribué à chacun.

Actuellement les subventions publiques à l’irrigation sont autant utilisées pour produire des cultures stratégiques telle la pomme de terre que des cultures de rente telle la pastèque. Cette culture, prisée par les consommateurs, assure de confortables marges bénéficiaires aux producteurs. Mais même avec l’irrigation par goutte à goutte, elle nécessite deux arrosages par jour.

Compter sur les cultures en sec

De nombreuses cultures ne nécessitent pas d’irrigation. C’est le cas des céréales, oléagineux et bon nombre de fourrages. Cependant, atteindre les rendements potentiels nécessite d’utiliser plus de variétés à haut rendement, de semences certifiées, de désherbants et de fertilisants. Alors que le désherbage est capital afin d’éviter la concurrence pour l’eau, seules 25 % des surfaces en céréales sont actuellement désherbées.

La généralisation des meilleures techniques en sec est en cours, mais au rythme actuel, elle ne pourra être effective avant plusieurs années. Elle implique une recherche-développement efficace, disposant de moyens conséquents et la mise à la disposition des agriculteurs d’un encadrement performant. Or, on ne compte seulement que 17 chercheurs pour 100 000 actifs en agriculture.

Réorienter l’offre aux consommateurs

Dans la mesure où la montée en puissance de l’agriculture ne peut qu’être progressive, la dernière variable d’ajustement reste le contenu de l’assiette des consommateurs.

Comme déjà noté, moins de pastèques consommées signifie plus d’eau disponible pour produire des pommes de terre. Ce transfert de priorité peut être également transposé à d’autres produits.

Moins de consommation de lait, de fromages et de viande de volaille signifie moins de poudre de lait, de soja ou de maïs à importer. Mais par quoi compenser de telles réductions ?

Les solutions alternatives existent. De façon étrange, si dans les années 1980, lors d’un retour suite à un voyage en France, il était courant de glisser dans sa valise du fromage, cela n’est pas le cas concernant les produits “végétariens” qui ornent actuellement les rayons des supermarchés étrangers : merguez et steaks végétaux, mayonnaise sans œufs, pâtes alimentaires hyper protéinées à base de lentilles…

Chaque mois apparaissent de nouveaux produits. Les consommateurs algériens ne connaissent pas ce virage opéré par les consommateurs étrangers. Un adulte peut se suffire de “lait” d’avoine. Une partie du lait de vache des yaourts et des crèmes dessert peut être remplacée par ces mêmes “laits” d’avoine ou de soja associés à des épaississants à base de caroube.

Les protéines contenues dans la viande peuvent être remplacées par celles contenues dans les légumes secs et le blé dur grâce à leur richesse en acides aminés essentiels.

La viande hachée peut être mélangée à 15 % de soja texturé tel celui produit après extraction de l’huile dans l’usine SIM d’El Hamoule (Oran). Actuellement, ce produit riche en protéines est donné aux animaux. Le cracking des graines de pois ou de pois chiche permet aujourd’hui d’extraire des protéines végétales qui, une fois mises dans une presse extrudeuse, permettent de produire un substitut végétal de viande de poulet.

Ces tendances alimentaires qui se font jour en Europe ne sont qu’une imitation de la diète méditerranéenne qui, il y a une cinquantaine d’années, était encore largement répandue en Algérie. Cette diète qui fait l’admiration des nutritionnistes du monde entier se base sur la consommation de céréales, légumes secs, fruits, légumes et huile d’olive.

Réadapter l’appareil industriel

Offrir au consommateur algérien, des produits alimentaires faisant plus appel aux protéines végétales qu’animales (lait, viande, fromage) nécessite une profonde modification des habitudes alimentaires.

Cette phase peut être facilitée par l’apparition de nouveaux procédés industriels permettant d’éliminer le goût végétal de ces nouveaux ingrédients. Mais, elle implique de la part des pouvoirs publics une stratégie nationale et une adaptation de l’outil industriel.

Ces dernières années, les pouvoirs publics ont mené une concertation avec les industriels des boissons (Apab) afin de réduire le taux de sucre des sodas et autres jus de fruits.

Ce type d’approche pourrait être étendu à d’autres catégories de produits dont les protéines. Le seul dossier protéines concerne les importations de poudre de lait, de maïs et de soja et avoisine annuellement 2 milliards de dollars. Dans nombre de pays européens, il existe des “plans protéines” visant plus d’autonomie.

Dans le cas de la meunerie, demander à un industriel d’augmenter le taux d’extraction de farine du blé importé est relativement simple. Il suffit de régler différemment les meules du moulin. On réduit ainsi les quantités considérables d’issues de meunerie qui sont bradées vers l’élevage.

Le pain est ainsi enrichi en fibres. Certes, il n’est plus blanc mais il est plus diététique. Demander à une laiterie d’élaborer des yaourts à base de “lait” végétal ou à un fabricant de cashir d’incorporer plus d’extraits de protéines végétales nécessite par contre plus de doigté.

Depuis des années, les universités ont formé des centaines d’ingénieurs en technologie alimentaire et en microbiologie. Le secteur de l’alimentation possède un capital scientifique qui peut être mobilisé.

Un nécessaire langage de vérité

La facture alimentaire actuelle de l’Algérie implique des choix, consommer plus de pomme de terre ou de pastèque, de protéines animales ou végétales, de continuer vers un mode de consommation européen impliquant plus de maladies métaboliques (diabète, hypertension, hypercholestérolémie) ou vers la diète méditerranéenne.

Ces choix ne sont pas neutres, ils impliquent des modifications dans les habitudes alimentaires des Algériens et des reconversions en matière d’emploi. On peut se demander à terme quel avenir sera réservé aux dizaines de milliers d’emplois dans la filière avicole ; celle-ci reposant essentiellement sur le maïs et le soja provenant de l’étranger.

Un langage de vérité est donc nécessaire. L’idée largement répandue de l’Algérie qui nourrissait l’Europe ou “l’Algérie, grenier de Rome” est un mythe entretenu à l’époque coloniale mais il perdure.

Le potentiel climatique fait que l’agriculture locale ne peut être comparée à celle de la Lituanie. Aussi, des efforts sont à consentir par tous, seule voie pour leur acceptation par le plus grand nombre.

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