Économie

« Les défis de l’Algérie sont d’ordre économique et de sécurité régionale »

Dans cet entretien, le professeur en économie, Brahim Guendouzi, résume les défis auxquels l’Algérie doit faire face après les législatives, et évoque la nationalisation des groupes appartenant aux oligarques, le retour à l’importation des véhicules de moins de 3 ans…

Quels sont les défis qui attendent le pays après les législatives du 12 juin ?

Les défis auxquels le pays doit faire face sont essentiellement d’ordre économique et de sécurité régionale.

Les élections législatives vont permettre uniquement l’émergence de nouveaux parlementaires qui poseront certes un problème de cohésion politique, mais globalement l’effort consensuel ira vers les réformes économiques et le suivi de la situation de crise qui prévaut au niveau des pays voisins.

Par contre, la question de la gouvernance est toujours posée et conditionnera par conséquent le succès ou l’échec des actions à entreprendre dans les mois à venir.

Le groupe ETRHB est devenu la propriété du Trésor public, après la condamnation définitive de son ex-propriétaire Ali Haddad. Comment qualifiez-vous cette décision ?

 La décision annoncée par l’administrateur judiciaire de considérer les actifs du groupe privé ETRHB et ses filiales comme propriété du Trésor public suite à l’aboutissement du dossier judiciaire concernant son principal actionnaire (Ali Haddad, NDR), va tout d’abord permettre à cette entreprise de poursuivre ses activités et de sauvegarder ses emplois.

Mais le statut de la société ne sera aucunement identique à celui des entreprises publiques économiques (EPE). Aussi, il y a lieu de considérer dorénavant l’ETRHB comme un établissement public soumis à une gestion commerciale.

Cependant, il se pourrait que ce ne soit là qu’une phase transitoire car il faut s’attendre plus tard à une restructuration de l’ensemble de ces actifs ainsi que ceux d’autres entités ayant subi le même sort, pour en faire à moyen terme des sociétés viables avec leur savoir-faire mais avec un nouveau statut juridique par rapport au capital social.

D’autres groupes appartenant à d’ex-hommes d’affaires aujourd’hui emprisonnés sont dans le même cas. Est-ce que c’est la meilleure façon de sauver les emplois et les activités de ces entreprises ?

L’importance des actifs de ces entreprises mais également des dettes qu’elles ont accumulées particulièrement vis-à-vis des banques publiques, font que la solution rationnelle soit la sauvegarde de l’outil de production et de l’emploi.

D’ailleurs, pour assurer un meilleur suivi, il vient d’être créé dans la Loi de finances complémentaires (LFC) 2021 un compte d’affectation spéciale (CAS) n° 302-152 auprès du Trésor dont l’intitulé est « Fonds des avoirs et biens confisqués ou récupérés dans le cadre des affaires de lutte contre la corruption ».

La gestion de ce fonds est confiée au ministère des Finances. Cependant, cela ne suffit pas pour assainir la situation complexe de ce lourd dossier et cela prendra encore plusieurs années pour apprécier les résultats.

L’importation des véhicules de tourisme de moins de trois ans par les particuliers résidents, sur leurs devises propres, a été autorisée par la Loi de finances complémentaire (LFC) pour 2021, publiée au dernier Journal officiel. Une bonne nouvelle pour les consommateurs algériens ?

L’importation de véhicules de moins de trois ans a fait couler beaucoup d’encre et elle passe comme la solution idoine pour régler le problème de la non-disponibilité des voitures neuves en Algérie.

Mais attention, le mécanisme ne semble pas aussi simple que par le passé. D’abord il y a le coût d’acquisition élevé des véhicules, puis les aspects opérationnels qui ne sont pas encore précisés comme les modalités de transfert des devises vers l’étranger, quel établissement bancaire habilité à traiter les dossiers, le certificat de conformité, la circulation des personnes physiques dans les conditions de crise sanitaire, etc.

Par ailleurs, on se pose certaines questions : on veut lutter contre l’informel mais on favorise une activité qui fait appel au marché informel de la devise pour alimenter les comptes des futurs acquéreurs ?

La liquidité détenue en dehors des circuits bancaires ne risque-t-elle pas d’être recyclée en partie dans l’achat en masse de véhicules de moins de trois ans ?

Les marchés publics à coups d’avenants est une voie royale vers la corruption et la dilapidation de l’argent public. Le constat a été fait mercredi 9 juin par le procureur de la République du tribunal de Sidi M’hamed. Quel est le mécanisme qui permet d’éviter à l’avenir ces pratiques qui siphonnent l’argent du contribuable ? 

La passation des marchés publics est toujours susceptible de donner lieu à des pratiques de corruption car il existe des failles dans la réglementation en la matière.

Les mécanismes de contrôle comme les commissions des marchés, l’Inspection générale des finances (IGF) et la Cour des comptes, peuvent atténuer un tant soit peu le phénomène de corruption, pourvu que la volonté politique existe.

Le rôle de la société civile, la digitalisation des administrations, la transparence dans les procédures, etc. sont autant de moyens susceptibles de faire reculer les pratiques de corruption.

Globalement, c’est l’esprit de la rente pétrolière qu’il faudra enrayer de la logique de fonctionnement des institutions de l’État. Cela nécessite plus de temps !

“L’année 2021 devra être consacrée à la stabilisation des fondamentaux de notre économie, à travers un retour progressif de l’activité économique à des niveaux permettant le rattrapage des pertes subies en 2020 et une atténuation des déséquilibres internes et externes des comptes de l’État”, a annoncé le ministère des Finances. Partagez-vous cette projection ? 

La préoccupation de l’heure est d’enclencher le processus de sortie de la récession économique avec une présence de la crise sanitaire dont l’évolution reste encore incertaine.

Il y a lieu effectivement de traiter les déséquilibres financiers tant interne (budgétaire) qu’externe (balance des paiements) pour stabiliser les variables macroéconomiques et relancer l’investissement productif et la création de nouvelles entreprises.

Ceci doit se faire à court terme, tout en opérant les changements indispensables concernant la fiscalité dans son ensemble et le système des subventions, une nouvelle approche pour le système bancaire et monétaire, le climat des affaires et la gouvernance économique.

À moyen terme, c’est le modèle de croissance qui doit évoluer vers une densification du tissu économique et la diversification des exportations. Les nouvelles sources de croissance identifiées (agriculture, industrie pharmaceutique, énergies renouvelables, pétrochimie, économie de la connaissance) attendent la mise en œuvre de ces réformes pour intensifier l’investissement de la part du privé national ainsi que l’attrait des investissements directs étrangers (IDE) dans le cadre de partenariats.

Aussi, redonner la confiance aux investisseurs s’avère certainement l’action la plus difficile que les pouvoirs publics auront à mener dans les mois à venir.

La LFC 2021 prévoit un déficit budgétaire colossal de 3.311 milliards de DA. Elle autorise le gouvernement à procéder à des émissions permanentes de bons du Trésor sur formule et de bons et d’obligations du Trésor en compte courant. Est-ce que c’est suffisant pour financer cet énorme déficit ?

L’important déficit budgétaire que l’Algérie enregistre d’année en année depuis le retournement du marché pétrolier en 2014, plus son accentuation avec la récession économique induite par la pandémie du covid-19, est devenu source de préoccupation quant à son financement pour éviter une dégradation des équilibres macroéconomiques.

Avec l’exclusion au recours à l’endettement extérieur, les pouvoirs publics privilégient deux leviers d’intervention en vue d’atténuer les effets sur l’état des finances publiques : le taux de change et le financement monétaire.

Dans le premier cas, la modification de la valeur du dinar par rapport au dollar et à l’euro a commencé depuis décembre 2020 et se poursuit encore à un rythme beaucoup plus modéré.

Le second levier vient d’être affirmé par la LFC avec l’encouragement des émissions de bons du Trésor et des obligations. Il y a deux aspects à distinguer dans ce cas.

Tout d’abord, s’agissant des bons du Trésor, l’émission qui se pratique déjà, risque de s’intensifier pour que les banques et les compagnies d’assurances fassent le plus grand nombre de souscriptions possible.

La Banque d’Algérie assurera à son tour le refinancement des banques avec un taux directeur qui serait probablement revu à la baisse (actuellement de l’ordre de 3 %), d’autant plus que les règles prudentielles sont assouplies dans le contexte de crise sanitaire.

La seconde possibilité est une émission obligataire avec appel à l’épargne du grand public. Ce sera une opération semblable à celle qui a eu lieu en 2016.

Auquel cas, c’est la masse monétaire qui se trouve en dehors du canal bancaire qui sera la cible. Cela nécessite une préparation pour que les conditions soient réunies afin de garantir la réussite de l’émission obligataire. Dans tous les cas, il va y avoir un alourdissement de la dette publique d’ici fin 2021, d’ores et déjà elle représente près de 60 % du PIB.

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