Économie

Les pluies dévoilent les retards de la filière céréales en Algérie

Alors que sur le marché international les cours du blé flambent, la campagne de semis patine et prend du retard en Algérie. À Bouira, le lancement officiel des semis n’a eu lieu que le 1er décembre, soit avec un mois et demi de retard.

À Tiaret, un ingénieur témoigne : “Chez nous à Tiaret une grande partie des agriculteurs, y compris les fermes pilotes, n’ont pas encore semé en totalité leurs parcelles“. La cause ? La pluie. Dans les champs, les tracteurs sont embourbés.

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À Bouira, ce 1er décembre un cortège de voitures est garé sur le bas-côté de la route. Dans un champ limitrophe, un officiel agite un fanion. Aussitôt des tracteurs s’élancent au niveau de la parcelle détrempée par la pluie.

Dans la boue, l’un essaye péniblement d’avancer pour épandre des engrais, un deuxième tente de les enfouir avec un outil à dents et trois autres suivent munis de semoirs.

La puissance des engins leur permet certes d’avancer dans le champ, mais la boue s’accroche aux roues. Derrière eux, les tracteurs laissent de larges ornières. Pire la terre s’accroche également aux organes de distribution du semoir et les obstrue. Ce qui ne pourra que provoquer des “manques de semis” à la levée. La solution serait d’attendre que le sol sèche ces terres. Mais la mi-décembre approche et avec elle la fin de la période optimale de semis.

Imperturbable devant la presse, Mohamed Bouali, le directeur des services agricoles égrène les statistiques des surfaces consacrées aux céréales dans la wilaya et les moyens mis en œuvre par ses services ainsi que ceux de la chambre d’agriculture et des instituts techniques. Plus loin, un agriculteur se réjouit que contrairement à l’année passée, la pluie soit tombée en abondance.

En octobre, suite au retard des pluies, le sol était trop sec. Les agriculteurs et les services agricoles ont préféré attendre les pluies pour semer. Mais celles-ci ont tardé. Résultats, des semis de blé qui s’éternisent. Or, chaque jour de retard se traduit par une baisse moyenne de 25 kg par hectare. De leur côté, les cours mondiaux du blé ne cessent d’augmenter.

Que faire alors ? Avec trop de pluie, les tracteurs s’embourbent dans les champs. Pas de pluie, le sol est trop sec pour travailler. La situation est grave, d’autant plus que pour augmenter la production de céréales, les services agricoles préconisent à l’avenir de travailler l’ensemble des 7 millions d’hectares de terre à blé.

Des besoins considérables en tracteurs

Actuellement, seule la moitié de ces terres sont semées. Cette pratique traditionnelle de la jachère, consiste à ne cultiver le sol qu’une année sur deux afin de lui assurer « un repos ». Au milieu des années 1970, afin de résoudre cette anomalie, le ministère de l’Agriculture a fait appel aux équipes du professeur Michel Sebillotte, un spécialiste français reconnu pour ses travaux sur les systèmes de culture.

Après enquête dans les principales régions céréalières et notamment à Tiaret, ce dernier devait relever la spécificité du milieu local. “Les caractéristiques climatiques sont telles que l’on ne peut raisonnablement envisager que des cultures mises en place à l’automne ou au début de l’hiver. Il en résulte que tous les travaux doivent être faits soit en période sèche, ce qui est difficile et coûteux, soit en automne après le retour des pluies dont la date est très fluctuante selon les années”.

Et de conclure quant au nombre de tracteurs présents dans les exploitations : « Il faut alors un parc de matériel considérable (…) et en particulier des investissements très importants ».

Le diagnostic de cet expert devait tomber tel un couperet : « Les outils aratoires nécessités par la jachère ne conviennent pas toujours aux travaux qu’impliquent son abandon ».

Et de préciser : « Ainsi, les outils à disques, traditionnels en Algérie, ne conviennent plus. Pour exécuter en temps utile les travaux nécessités par ces nouveaux systèmes de culture, il faut presque multiplier par deux la force de traction ».

Malgré cet avertissement formulé dès 1977, en mai 2015, le ministère de l’Industrie et des Mines, finalisait la création de la société algéro-portugaise Galucho-Algérie-SPA pour la fabrication de charrues à disques.

Ce qu’avait prévu le professeur Sebillotte ne devrait pas tarder à arriver. Face à l’impossibilité de labourer à temps toutes les superficies agricoles, c’est une véritable fuite en avant qui est opérée depuis des années. Et cela malgré des importations massives de tracteurs au bénéfice de la multinationale Massey Ferguson liée à l’Entreprise de tracteurs agricole (Etrag) de Constantine, ou de la société indienne ITL qui fabrique les tracteurs Sonalika dont la société Famag de Sidi Bel-Abbès assure le montage.

Les semoirs manquent aussi. À Batna, le spécialiste des céréales Saïd Behaz note qu’en 2021, la majorité des semis se font encore à la volée sans utilisation de semoirs à céréales.

Par quoi remplacer les traditionnels outils à disques s’ils ne conviennent pas ? Pour l’International Center for Agricultural Research in the Dry Areas (ICARDA) auquel l’Algérie est adhérente, une des solutions passe par l’abandon du labour et son remplacement par le semis direct. C’est ce qu’ont fait la majorité des céréaliers australiens.

Il s’agit d’un mode de semis plus rapide et moins coûteux. Autre avantage, il préserve mieux l’humidité du sol. Un semoir adapté à cette nouvelle façon de faire est même actuellement produit à Sidi Bel-Abbès par la société publique Construction de Matériel Agricole (CMA) en partenariat avec la firme espagnole Sola.

Mais pour les agriculteurs, cette technique constitue un changement de paradigme. Puis, elle exige plus de technicité, notamment en matière de désherbage. Or, actuellement, seules 25 % des surfaces sont désherbées. Aussi les agriculteurs doivent-ils être accompagnés. Pour l’expert et ancien ministre de l’agriculture Sid-Ahmed Ferroukhi, l’innovation doit être endogène, c’est-à-dire associée à des groupes d’agriculteurs.

La céréaliculture en milieu semi-aride est donc loin d’être simple. Le réchauffement climatique et la variabilité des pluies viennent compliquer les façons de faire. La filière céréales se voit donc confrontée à de nouveaux défis qui exigent de mobiliser des moyens adéquats tant au niveau matériel que de la recherche-développement.

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