Économie

Les produits agricoles algériens sont-ils bourrés de pesticides ?

L’affaire des dattes algériennes retirées des étals en France à cause d’un pesticide a jeté un pavé dans la mare, soulevant des interrogations sur l’étendue de l’utilisation des produits chimiques  dans l’agriculture en Algérie.

En 2016, lors d’un reportage sur la production de légumes sous serre à Biskra, à la question “consommez-vous les produits des serres ?” Le journaliste du mensuel Le Monde Diplomatique a la surprise de s’entendre répondre : « pour rien au monde ! »

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Les produits agricoles consommés en Algérie seraient-ils contaminés par un emploi abusif de pesticides ?

 « Éviter l’utilisation abusive des pesticides »

En janvier 2022, Abdelhafid Henni, le ministre de l’Agriculture, a appelé les agriculteurs à « éviter l’utilisation abusive des pesticides. »

Les services agricoles disposent aujourd’hui de différents outils qui réglementent l’utilisation des pesticides en Algérie.

Dans l’édition de l’index 2015 des Produits Phyto 2015, Nadia Hadjeres, directrice de la protection des végétaux et des contrôles techniques au niveau du ministère de l’Agriculture et du développement rural indiquait “qu’un dispositif législatif et réglementaire a été mis en place (…) avant d’autoriser leur mise sur le marché.”

En Algérie, des laboratoires publics ou privés disposent aujourd’hui de capacités d’analyses ultramodernes telles la chromatographie et la spectrométrie. Le laboratoire SGS installé en Algérie indique pouvoir “identifier et quantifier les composés individuels de plus de 500 pesticides.”

Récemment, plusieurs laboratoires locaux ont reçu une aide de l’agence internationale de l’énergie atomique afin de contribuer au “renforcement des capacités d’analyse de la sécurité sanitaire des aliments en Algérie.”

En 2009, la chercheuse Mohammedi Saliha vérifie à Alger, Laghouat, Djelfa et Adrar le taux de résidus de lindane, un produit qui était utilisé jusque dans les années 1970.

Au terme des analyses, elle note que “le lindane est en nette diminution par rapport aux taux obtenus en 1985. Cette diminution est due particulièrement à l’interdiction de son utilisation.”

Libéralisation des importations des pesticides

La libération de l’importation de pesticides dans les années 1980 et la loi sur l’accession à la propriété foncière agricole ont eu pour effet l’accroissement du nombre de revendeurs. En 2016, Ali Daoudi, co-auteur d’une étude sur la plasticulture indiquait qu’à Biskra : “Le nombre de grainetiers a été multiplié par 50 en l’espace de seize ans.”

Bon nombre de produits agricoles proviennent de l’importation. Or, selon les pays, la législation sur l’emploi des pesticides est variable. Longtemps, l’Australie et le Canada ont toléré l’emploi de défanants pour hâter la maturation des cultures. Dans le cas des lentilles, cette pratique expose directement les gousses et les grains aux matières actives des pesticides.

Ce que montrent les analyses

Les analyses réalisées ces dernières années en Algérie montrent la présence de résidus de pesticides dans de nombreux produits agricoles. Le problème est d’autant plus ardu que les nouvelles molécules utilisées sont dites à effet systémique. Elles pénètrent dans la plante et sont véhiculées par la sève. Dans un tel cas, laver un fruit ne sert à rien, le produit y est à l’intérieur.

En 2013, la chercheuse Mebdoua Samira a analysé 160 échantillons de fruits et légumes ainsi que 84 échantillons de céréales. Les résultats de recherche montrent qu’en moyenne 60% des échantillons contenaient au moins un résidu de pesticide.

Concernant le taux observé, elle a conclu que « l’évaluation de l’exposition à court terme montre un risque aigu pour le chlorpyriphos associé à la consommation de six denrées alimentaires (pommes, poires, raisins, pêches, nectarine et pomme de terre), pour la deltamethrine, ce risque est associé à la consommation de deux denrées alimentaires (pommes et poires) et pour la lambda-cyhalothrine, le risque est lié à la consommation des pommes.”

Gros exportateur de produits agricoles, le Maroc n’est pas épargné par l’utilisation de pesticides. En avril 2021, les autorités sanitaires allemandes ont détecté des résidus d’un fongicide, le penconazole, dont le taux dépasse quatre fois la limite maximale de résidus : 0,044 milligramme par kilo, contre 0,01 mg autorisés, dans des produits agricoles marocains.

Des nitrates dans les nappes phréatiques

Les nappes phréatiques sont également concernées par les produits issus de l’agriculture intensive. En 2016 le chercheur Mokadem Tahar établi une cartographie du taux de nitrates dans la nappe phréatique de la Mitidja.

Ce taux atteint 121 mg/litre contre 50 pour la limite autorisée. Il attribue cette contamination à ” l’utilisation irrationnelle d’engrais chimiques dans l’agriculture, ainsi que de déchets industriels.”

Comme en Mitidja, en 2019, une pollution azotée est révélée par le chercheur Oussama Kheliel de l’université de Biskra. Il constate plusieurs points d’eau présentant une concentration en nitrates supérieure à 50 mg/l.

Fruits et légumes, nocifs pour la santé?

Les résidus de pesticides risquent-ils d’annuler le bénéfice sanitaire attendu de la consommation de fruits et légumes? C’est ce que suggère une étude américaine publiée en début d’année dans la revue Environment International. L’étude a passé en revue les habitudes alimentaires de 160 000 personnes et leur effet sur leur santé.

Autre difficulté, la fixation de normes de substances tolérées. Dans le cas du cadmium contenu dans les engrais phosphatés, le quotidien Le Monde rappelait en 2018 que les instances européennes ont décidé  “de durcir la réglementation en introduisant une limite pour la teneur en cadmium des engrais phosphatés. Fixée à 60 milligrammes (mg)/kilo, elle doit être abaissée à 40 mg/kg après trois ans et à 20 mg/kg d’ici douze ans.” Une norme qui rendrait impossible l’exportation des engrais algériens, marocains et tunisiens vers l’Europe.

Contrôles accrus et formation des agriculteurs

La solution passe par la formation des agriculteurs et le renforcement des contrôles. Comme à l’étranger, tout agriculteur pourrait être titulaire d’un Certificat Phytos obtenu après une formation de base de plusieurs demi-journées.

L’agriculture bio en Algérie mériterait d’être protégée par un label comme le propose l’association écologique Torba. Un moyen afin que les agriculteurs de Biskra acceptent enfin de consommer les produits de leurs serres.

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