Société

Lutte anti-covid en Algérie : les vieilles recettes montrent leurs limites

Prises de court par la flambée des cas de contamination au covid-19 et l’incapacité du système de santé à faire face à la situation exceptionnelle, les autorités algériennes sortent leurs vieilles recettes en matière de communication.

Entre l’impératif de dire la vérité pour faire prendre conscience à la population de la gravité de la situation afin de l’amener à plus de prudence, et le souci d’éviter la panique en donnant l’illusion d’une situation maîtrisée, les officiels algériens semblent avoir choisi la seconde option.

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D’autant plus que ne pas dramatiser la situation confère aussi l’avantage de défendre l’image de l’Etat et du gouvernement, très critiqués sur les réseaux sociaux.

Le Premier ministre et son ministre de la Santé se sont exprimés cette semaine sur la situation et, de leurs propos, il ressort que le gouvernement a toujours la situation en mains et que les problèmes posés, aussi bien concernant l’oxygène que la vaccination, sont pris en charge et en passe d’être réglés.

Aïmene Benabderrahmane s’est adressé jeudi soir aux Algériens à travers la télévision publique et a axé sur les efforts consentis en matière d’acquisition de vaccins et d’appareils de production d’oxygène médical, dénonçant au passage le discours alarmiste véhiculé par certains sur les réseaux sociaux et leurs « fausses informations ».

Mais il n’a pas confirmé, ni démenti les informations sur les décès dans les hôpitaux de patients covid-19, faute d’oxygène.

Il ne s’agit ni de dramatiser, ni d’amplifier la situation, mais de dire tout simplement la réalité. Or, beaucoup d’Algériens pensent à tort ou à raison que le gouvernement ne leur dit pas tout sur la situation sanitaire.

Certes, Abderrahmane Benbouzid, lui, a reconnu une situation « inquiétante » et que le problème principal des hôpitaux était le manque d’oxygène, tout en insistant toutefois sur la nécessité de travailler « dans le calme ». Sans plus.

On l’aura compris, en plus de gérer l’épidémie proprement dite, le gouvernement est aussi confronté à l’incursion des réseaux sociaux qui mettent à mal sa stratégie et « la version officielle » de la situation.

Plus que lors de la première vague de la pandémie, les réseaux sociaux ont presque pris le relais des médias traditionnels dans le traitement de l’information liée au covid-19 pendant cette troisième vague.

Les situations les plus inquiétantes, comme les hôpitaux qui enregistrent un nombre élevé de décès dans la même journée ou une coupure dans l’alimentation en oxygène, ont été répercutées par les réseaux sociaux, devant le silence des médias, gouvernementaux ou privés.

Les vidéos et live réalisés à partir des hôpitaux aux quatre coins du pays ont contribué à faire connaître la détresse des malades, de leurs parents et du corps médical.

C’est aussi le même canal qui a permis de lancer et de mener avec succès des opérations de solidarité ayant permis de doter plusieurs établissements hospitaliers de générateurs d’oxygène et un nombre incalculable de malades en matériel d’oxygénothérapie.

Une arme à double tranchant

Des excès, il y en a eu aussi. Comme des jeunes qui ont fait croire à travers une vidéo que le personnel de l’hôpital de Thénia, dans la wilaya de Boumerdès, a laissé mourir des patients alors que des bouteilles d’oxygène étaient  «cachées » dans l’entrepôt de l’établissement.

Les réseaux sociaux se sont avérés être une arme à double tranchant. Alors que certaines pages ont contribué grandement à équiper l’hôpital d’Akbou (Béjaïa) d’un générateur d’oxygène, ouvrant la voie à des actions similaires à travers tout le territoire national, d’autres pages ne se sont pas gênées immédiatement après sa mise en fonction d’annoncer tantôt qu’il est en panne, tantôt qu’il n’arrive pas à satisfaire toute la demande de l’établissement.

Une telle information, qui est évidemment fausse et vite démentie, est de nature à saper les efforts de solidarité en cours pour résorber la pénurie de l’oxygène dans les hôpitaux.

Ce samedi, le ministère de la Santé a dû démentir une autre fausse information qui faisait état du décès de 25 patients à l’hôpital d’El Menea.

Cela dit, une large part de ce qui a été rapporté sur les réseaux sociaux en rapport avec la vague en cours, ne relève pas de la désinformation. Les chiffres par exemple de la forte mortalité dans certains hôpitaux sont indéniables car annoncés à visage découvert par des médecins de renom.

Mettre tout sur le dos des réseaux sociaux est contreproductif et décrédibilise plus qu’il ne sert les institutions de l’Etat. C’est le cas de le dire pour la direction de la santé de Skikda qui qualifié vendredi de « désinformation » le contenu de son propre communiqué faisant état le même jour de nombreux décès dus à l’épuisement du réservoir l’oxygène dans l’hôpital de la ville. C’est le cas de le dire pour les chiffres réels du covid-19 et des décès dus au manque d’oxygène.

Cette manière de faire a montré ses limites depuis le début de la pandémie il y a plus de 18 mois. Les réticences à se faire vacciner, le peu de cas fait des mesures de prévention et la panique actuelle traduisent en fait un manque de confiance dans un discours officiel et les médias qui le relaient qui, à force de travestir la réalité, ont perdu leur capacité de persuasion.

Si les réseaux sociaux, avec leur bon et leur mauvais impact, ont pris le dessus et contrarient la stratégie gouvernementale, c’est principalement parce que les médias traditionnels, très affaiblis pour les raisons que l’on sait, n’ont que très peu joué leur rôle. L’affaiblissement des médias traditionnels a profité aux réseaux sociaux, qui eux ne connaissent aucune limite, dans la diffusion des informations.

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