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« Ni travail ni avenir » à Tebourba, ville déshéritée de Tunisie

“Ni travail ni avenir” à Tebourba, ville déshéritée de Tunisie

« Ici, il n’y a ni travail ni avenir », soupire Sami Dridi, 41 ans, tirant nerveusement sur une cigarette dans un café miséreux de Tebourba, une ville tunisienne secouée par trois nuits de heurts entre des protestataires et forces de sécurité.

Avec un ami, ils partagent la cigarette et un café pour deux dans un quartier populaire de la ville, Bir Hkimi, où les routes sont défoncées et les terrains vagues plein de pierres servant d’armes aux protestataires.

« Je n’ai pas un dinar sur moi », dit-il.  « Tu te rends compte à quoi nous sommes réduits? C’est une vie de misère, cette ville est aux oubliettes, tellement marginalisée ».

Tebourba, où un homme est mort lundi soir lors de la première nuit de heurts, n’est qu’à une heure de route à l’ouest de Tunis mais les infrastructures sont défaillantes et les perspectives d’emploi rares.

Les terres agricoles offrent parfois du travail à dix dinars (3,4 euros) la journée, expliquent les habitants, qui critiquent la corruption et l’indifférence des dirigeants locaux.

Alors que la grogne sociale perdure depuis des années en Tunisie, les mesures d’austérité prévues dans le budget 2018 et les prix qui ne cessent de grimper ont été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », selon Sami.

Pour lui, si les gens sortent la nuit au lieu de manifester le jour, c’est qu’ils attendent « la fin des cours et la fermeture des commerces ».

« J’ai voulu crier ma colère contre ma pauvreté, ils ont répondu par un tir de gaz lacrymogène sur ma tête », peste Mohamed Rahmani, 21 ans, la tête bandée après avoir reçu 10 points de suture.

Les violences ont repris de plus belle à Tebourba après l’enterrement du quadragénaire décédé lundi, d’autant que les autorités l’ont présenté comme un homme malade alors que sa famille assure qu’il a été écrasé par une voiture de police.

– ‘Vraiment marre’ –

« On va continuer cette guerre, on n’a rien à perdre. Soit ils nous écoutent, soit on va continuer le mouvement à notre manière », menace Ibrahim, 23 ans.

Comme beaucoup de jeunes, il est furieux que le Premier ministre Youssef Chahed, venu dans la région mercredi, ne se soit pas rendu jusqu’à Tebourba. Hormis les journalistes de passage, il n’y a personne à qui confier ses revendications.

Pour Walid Bejaoui, un autre habitant de Bir Hkimi, « on n’a toujours vu aucune amélioration depuis la révolution » de 2011.

La Tunisie marquera dimanche le septième anniversaire de cette révolution, lorsque des manifestants avaient chassé du pouvoir le dictateur Zine el Abidine Ben Ali aux cris de « travail et dignité ».

Mais le chômage est tenace et nombre de Tunisiens attendent toujours les emplois qu’ils réclamaient alors.

« Cela fait sept ans qu’on ne voit rien venir. On a eu la liberté, c’est vrai, mais nous sommes plus affamés qu’avant », lance Walid,  un chômeur de 38 ans.

« On se réveille le matin et on ne sait pas ce qu’on va pouvoir faire », soupire ce père de deux enfants, montrant ses poches vides. « Et ils veulent qu’on ne proteste pas ? Mais on en a vraiment marre ».

Mais pour Mohamed Ben Hssina, un petit commerçant septuagénaire du centre-ville, « ce qui se passe à Tebourba n’a rien à voir avec des revendications sociales ». « Ce sont des fauteurs de troubles qui ne veulent pas travailler et volent les autres », dit-il.

Il désespère devant ses étals vides, pillés durant les heurts nocturnes. « Ils m’ont pris 7.000 dinars de marchandises, comment vais-je vivre? »

Fatma Ben Rezayel, enseignante à Tebourba, estime que « c’est la classe politique qui est responsable de tout ça ». « La région est totalement marginalisée, les seuls projets qui marchent ici ce sont les cafés et les mléouis » (pain utilisé pour des sandwich à bas prix) », dit-elle devant un marché déserté.

Elle déplore également que les médias et le gouvernement présentent comme des criminels « des jeunes chômeurs pauvres qui en ont ras-le-bol de leur vie médiocre ».

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