Économie

Pomme de terre, combien revient-elle à l’agriculteur ?

Le prix de la pomme de terre n’en finit pas de faire couler de l’encre en Algérie. Les consommateurs se plaignent des prix élevés pour un produit devenu indispensable car aujourd’hui autant consommé que les céréales.

Le président Abdelmadjid Tebboune lui-même a eu l’occasion de déclarer qu’il était inadmissible que le kilo de pomme de terre dépasse le prix plancher de 60 DA. On peut se demander quels sont les coûts réels de production de ce tubercule en Algérie.

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À El Oued, essor de la culture de pomme de terre

Traditionnellement, ce sont les régions de Mascara, Bouira, Rechaïga ou Aïn Defla qui produisent les précieux tubercules. Depuis les années 2000 est apparu un nouveau venu : El Oued. Une étude réalisée dans cette région* au niveau des communes de hassi Khelifa, Trifaoui, Ouernes, Reguiba et Taghzout apporte un éclairage sur la question.

Les différentes rubriques ont fait l’objet d’une enquête de terrain qui permet d’estimer les charges par hectare. Ainsi, le coût de la location varie entre 80 et 140 000 DA l’hectare; il faut rajouter 200 000 DA pour l’installation d’un pivot rotatif. Procéder à un forage revient à 300 000 DA auquel viennent se greffer 6 000 DA pour l’achat d’une pompe et 5 à 10 fois plus pour régler la facture d’électricité de la Sonelgaz.

Une fois ces charges comptabilisées, on pourrait penser commencer la culture. Mais il n’en est rien. Contre les vents de sable, il est plus judicieux d’installer un brise-vent. Dans cette région au climat aride, la solution passe par les haies de palmes de palmiers dattiers. À raison de 600 DA les 100 palmes, c’est un montant de 30 000 DA qu’il faut débourser.

Avec les opérations de nivelage du sol et de labour réalisées pour 120 000 DA, l’agriculteur doit consacrer une coquette somme pour acquérir du fumier. S’il utilise celui provenant de vaches ou de moutons, cela lui coûtera 250 000 DA et près de la moitié s’il s’agit de fientes de volailles. Pour une parcelle nouvellement mise en culture, les tonnages sont de 10 à 30 tonnes par hectare et nécessitent jusqu’à 2 chargements de camion.

Coût élevé des semences de pomme de terre

L’achat de semences constitue l’un des postes les plus élevés. Il faut lui consacrer plus de 300 000 DA pour les 45 quintaux nécessaires pour planter un seul hectare.

Si la semence d’arrière-saison coûte 50 à 90 DA /kg, il faut compter entre 150 à 220 DA /kg pour la semence de saison. La semence importée bénéficie d’une bonne réputation et son prix peut être le double de celle produite localement. Les tubercules sont parfois découpés en plusieurs morceaux afin de réduire les coûts.

« La semence importée coûte deux fois plus cher que celle locale, mais son rendement est également deux fois plus important que la semence locale », explique un agriculteur.

La plantation peut alors commencer. Elle ne nécessite pas moins d’une dizaine d’ouvriers qui pour 1 000 à 1 500 DA la journée, travailleront quotidiennement 4 à 6 heures.

Jusqu’à 4 quintaux d’engrais minéraux peuvent être nécessaires à la culture, ce qui correspond à 50 000 DA (prix 2019).

Durant la période de culture, l’élimination des mauvaises herbes et la lutte contre les maladies nécessitent une dépense de 30 000 DA. Les différents travaux comme le buttage mobilisent 3 à 4 ouvriers et donc une dépense de 8 000 DA.

Une fois arrivée la période de récolte, 10 à 15 ouvriers seront nécessaires, ce qui représente une charge salariale de 20 000 DA. Les ouvriers sont généralement payés à la tâche à raison de 100 DA la caisse de pomme de terre récoltée.

Une rentabilité très variable selon les exploitations

Au total, les charges oscillent entre 500 000 et 1 200 000 DA selon les exploitants. La marge bénéficiaire est liée principalement au rendement. Sur la dizaine d’agriculteurs considérés, ceux-ci oscillent entre 180 et 450 quintaux par hectare.

Ces différences sont liées à la technicité de l’agriculteur mais aussi au mode d’irrigation. Ainsi, ceux utilisant la technique du goutte à goutte peuvent arriver à une production double des autres et cela pour un coût moindre. Ce mode d’irrigation permet en effet une irrigation régulière et ne mouille pas le feuillage des plantes, ce qui évite le développement des maladies du feuillage tel le redoutable mildiou.

La plus grande partie de la production est vendue sur l’exploitation à un prix de vente compris entre 30 et 60 DA/kg. Pour un prix moyen de 45 DA/kilo, la marge bénéficiaire se situe entre 300 000 à 1 800 000 DA de l’hectare.

Malgré des résultats différents entre agriculteurs, la culture de la pomme de terre à El Oued est donc une activité qui permet de dégager de belles marges bénéficiaires. Le climat local permet une production précoce et donc un approvisionnent du marché au moment où les prix sont les plus intéressants. Ce type de travaux universitaires mériterait d’être poursuivi sur un panel plus large. Ils permettraient à la filière pomme de terre d’El Oued d’identifier les marges de progrès des agriculteurs.

Au-dessous de 20 DA/kg, l’agriculteur perd de l’argent

Les cours de la pomme de terre peuvent fluctuer rapidement. Il peut suffire de situations météorologiques défavorables qui réduisent le rythme de la récolte ou le transport des camions vers les principaux centres de consommation.

Récemment, à Bouira, un agriculteur confiait au quotidien Liberté l’effritement de sa marge bénéficiaire : “Aujourd’hui, nous avons deux camions qui viennent d’embarquer leur chargement de pomme de terre à raison de 21 DA le kilo, mais hier, nous l’avions cédé à 19 DA, les prix sont décidés par les grossistes“.

Et de s’étendre sur ses coûts de production : “J’ai acheté la semence de première qualité au prix de 120 DA/kg“. Quant à la main-d’œuvre, elle se ferait rare et coûterait de plus en plus cher.

Je dispose d’une cinquantaine d’ouvriers, parfois plus et ce chiffre peut être multiplié par deux, voire par trois si les saisons sont propices. Chaque ouvrier est rémunéré à raison de 50 000 DA par mois, logé, nourri, blanchi et toutes leurs dépenses sont à ma charge », explique-t-il.

Cet agriculteur spécialisé dans la production de pomme de terre ajoute : “En plus, j’embauche souvent des journaliers pour récolter les pommes de terre arrivées à maturité et ces jeunes sont payés à hauteur de 50 DA le cageot“.

Entre la location de la terre (80 000 DA l’hectare), le carburant, l’irrigation, les salaires et l’achat des produits phytosanitaires, l’exploitant confie “qu’il n’engrangera aucun bénéfice, et c’est tout juste s’il pourra amortir son investissement“.

Cultiver la pomme de terre sur les terres à blé

En juin dernier à Mostaganem, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a évoqué la possibilité de produire de la pomme de terre à grande échelle sur les terres à céréales disposant d’irrigation.

Selon Rabah Filali, directeur central des végétaux, il devrait être possible de cultiver des variétés en arrière-saison après la récolte du blé. La seule exploitation de 50 % de ces superficies qui atteignent plus de 115 000 hectares, pourrait permettre de couvrir les besoins nationaux. L’idée est de faire des économies d’échelle par une mécanisation des opérations en amortissant le matériel sur de plus larges surfaces.

À la marge des agriculteurs, il reste à rajouter celle des collecteurs, grossistes et détaillants. Leurs marges sont justifiées par le service rendu. Par contre, celles de particuliers n’ayant aucun lien avec l’agriculture, mais disposant de moyens de stockage s’apparentent à de la spéculation.

Pour de nombreux observateurs, les producteurs ne disposent pas encore des compétences commerciales afin de créer des groupements de producteurs qui leur permettraient d’investir dans la commercialisation et ainsi de sauvegarder leurs marges.

(*) Djaafour Nacira 2019 “État des lieux de la filière pomme de terre dans la région d’El Oued”.

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