Économie

Pourquoi la baisse des réserves de change de l’Algérie se poursuit à un rythme rapide

C’est une nouvelle preuve que la nature a horreur du vide. La Banque d’Algérie n’ayant livré aucune information sur la situation de nos réserves de change depuis la fin de l’année dernière, c’est le premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui s’en est chargé hier samedi en répondant aux questions des journalistes à l’occasion dune conférence de presse organisée au terme du Conseil National du RND.

“À la fin du mois de mai, les réserves de change de l’Algérie s’établissaient à 90 milliards de dollars et devraient baisser à 85 milliards de dollars à la fin de l’année en cours, en raison des importations des biens et services”, a précisé M. Ouyahia

Pour le Premier ministre, “la tendance des hydrocarbures est à la baisse, ce qui doit inciter l’Algérie à faire plus d’efforts à l’avenir”, d’autant plus que, selon lui, l’accord auquel est parvenu l’OPEP “va freiner les prix”.

Une érosion qui se poursuit à un rythme rapide

Le chiffre de 90 milliards de dollars de réserves de change à la fin mai communiqué par le premier ministre est inédit. Il confirme la poursuite de l’érosion des réserves de change du pays depuis le début de l’année 2018 en dépit de la remontée des cours pétroliers et des efforts entrepris par le gouvernement pour freiner les importations.

Ce qui constitue une (demie) surprise, c’est que cette érosion des réserves de change se poursuit à un rythme rapide. Rappelons qu’on restait sur un chiffre officiel, donné par la Banque d’Algérie en février dernier, de 97,3 milliards de réserves à fin décembre 2017.

L’information livrée hier par Ahmed Ouyahia indique donc une baisse de 7,3 milliards de dollars en 5 mois. Soit une perte d’environ 1,5 milliards de dollars par mois depuis le début de l’année. Cette tendance devrait nous conduire, sans grand risque d’erreur, à un niveau de réserves d’un peu plus de 88 milliards de dollars à la fin du premier semestre 2018.

Quelles causes pour la baisse des réserves ?

Comment a-t’on perdu près de 9 milliards de réserves au premier semestre ? Le déficit commercial est la première cause. Bien qu’en réduction très sensible, comme le confirme les chiffres des douanes rendus publics jeudi dernier, il devrait quand même atteindre prés de 2, 5 milliards de dollars au premier semestre de cette année, en tenant compte de l’accélération des importations observée depuis le début du deuxième trimestre 2018.

Le déficit commercial réel sera encore plus important en raison de la prise en compte des importations destinées à la Défense nationale qui ne sont pas enregistrées par l’administration des Douanes. Au premier semestre 2017, la différence entre les « 2 mesures du déficit » avait été de près de 3 milliards de dollars. On arrive donc à un déficit commercial réel certainement supérieur à 5 milliards de dollars au premier semestre.

Il faut ajouter à ce déficit commercial celui des échanges de services. Au premier semestre 2017 , le solde négatif des services s’était creusé à « 4,47 milliards de dollars en raison principalement de la hausse des importations des services « construction », notamment ceux liés aux infrastructures autoroutières » notait la Banque d’Algérie.

Le déficit des services avait été compensé partiellement par un solde du compte de capital de près de 1 milliard de dollars.

La Banque d’Algérie devrait publier d’ici quelques semaines des chiffres du même ordre de grandeur qui confirment à la fois la structure et la résistance du déficit de la balance des paiement à un niveau voisin de 9 milliards de dollars en rythme semestriel .

Ouyahia très optimiste sur le montant de réserves en fin d’année

Le premier ministre ne s’est pas contenté de donner une information inédite sur le niveau des réserves de change à fin mai. Il a également livré un pronostic sur le montant qu’elles pourraient atteindre en fin d’année.

Elles devraient baisser à « 85 milliards dollars à la fin de l’année en cours, en raison des importations des biens et services », a avancé M. Ouyahia. Un pronostic très optimiste qui reprend en réalité les projections du ministère des finances dans sa trajectoire budgétaire 2018-2020.

Ces dernières sont malheureusement déjà dépassées. Avec des réserves de changes de 88 milliards à fin juin et un déficit de la balance des paiements de l’ordre de 9 milliards au premier semestre, la prolongation de la courbe suggère très fortement que le niveau des réserves de change devrait en réalité tester la barre des 80 milliards de dollars à la fin de l’année en cours .

Un pronostic d’autant plus probable que les importations, stimulées sans doute par l’augmentation des dépenses publiques, sont en cours de redressement depuis déjà 3 mois et que, ainsi que l’indique très justement le premier ministre lui-même : “la tendance des prix des hydrocarbures est à la baisse, du fait que l’accord auquel est parvenu l’OPEP va freiner les prix”.

Les réserves de change pénalisées en 2018 par l’ « effet de valorisation »

Un élément supplémentaire, indépendant du solde de la balance des paiements, n’a pas été pris en compte par le premier ministre dans ses pronostics

En cause, le désormais célèbre « effet de valorisation » qui joue depuis le début de l’année, et contrairement à l’année dernière, un rôle «négatif » en raison de l’appréciation du dollar, dans lequel sont libellées près de la moitié de nos réserves de change, par rapport à l’euro.

En effet, une partie des réserves de change est placée dans d’autres devises, dont l’euro qui a perdu du terrain ces dernières mois face au billet vert.

Explications d’un cadre de la Banque centrale : « Il y a encore une dizaine d’année la quasi-totalité des réserves en devises de l’Algérie étaient libellées en dollars. Au cours de la décennie écoulée on a diversifié les placements qui sont maintenant à peu près à égalité en dollar et en euro. Comme la valeur du dollar a grimpé sensiblement face à l’euro sur les marchés des changes internationaux au cours des derniers mois, nos réserves de change exprimées en dollars ont diminué indépendamment de leur réduction imputable par ailleurs au déficit de la balance des paiements ».

Ce mécanisme pourrait coûter 2 ou 3 milliards de dollars supplémentaires au montant des réserves de change en fin d’année si la tendance au raffermissement du billet vert observée au premier semestre se confirme.

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