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Présidentielle turque : une leçon de démocratie pour le monde musulman

En dépit de ce qui peut être qualifié de décisions et mesures autoritaires prises ces dernières années par le président Recep Tayyip Erdogan, la démocratie turque n’est pas morte.

Elle se porte même bien, comme l’a démontré le premier tour de l’élection présidentielle, tenu dimanche 14 mai.

Le monde musulman, résigné à devoir choisir fatalement entre l’autoritarisme et l’intégrisme religieux, est devant une belle leçon qui lui ouvre des horizons d’une troisième voie : la démocratie est possible en terre d’Islam.

Les électeurs turcs, appelés à élire leur président de la République, ont renvoyé dos à dos Recep Tayyip Erdogan et le candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu.

Pour la première fois de l’histoire de la République turque, qui fête son centenaire en cette année 2023, un deuxième tour est nécessaire pour désigner le premier responsable du pays. Le tour décisif est prévu pour le 28 mai.

Erdogan a manqué d’un cheveu de se faire réélire dès le premier tour. Il est arrivé en tête avec 49,51 % des voix, suivi de Kilicdaroglu (44,88 %) et Sinan Ogan (5,2 %).

Dans un régime « autoritaire » comme est décrit celui d’Erdogan, les quelques dizaines de milliers de voix qui manquaient à celui-ci pour éviter de passer par l’épreuve du second tour auraient été « trouvées » d’une manière ou d’une autre. Ce qui n’a pas été fait.

L’élection est seulement entachée par le parti pris de certains médias en faveur du président sortant pendant la campagne électorale. Pour le reste, elle s’est jouée suivant les règles de démocratie en cours en Occident et la volonté du peuple turc a été respectée.

La présidentielle turque du 14 mai s’est distinguée aussi par un taux de participation de 90 % qui fait saliver les vieilles démocraties occidentales. Les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen n’ont pas manqué de le mentionner pour saluer cette « très forte participation ». Pour Ursula von der Leyen et Charles Michel, c’est une « victoire » pour la démocratie.

Il y a un fait qui n’échappe à personne : aucune voix de l’opposition ne s’est élevée pour contester en quoi que ce soit le déroulement du scrutin, encore moins les résultats annoncés par l’administration électorale.

En Occident, les analyses portent unanimement sur l’explication du comportement de l’électeur turc et l’évaluation des chances au second tour de l’un et l’autre des deux candidats, en fonction de leurs programmes respectifs et du mécanisme du report de voix.

Comme dans les grandes démocraties occidentales, l’élection turque de cette année a aussi son arbitre, en la personne d’un candidat de moindre poids.

La démocratie apaisée de la Turquie peut inspirer d’autres pays musulmans

Même si les chances d’Erdogan de l’emporter au second tour sont grandes, Sinan Ogan pourrait faire basculer le scrutin par la consigne de vote qu’il donnera à ses électeurs.

Il a déjà prévenu que le seul marchandage qu’il fera portera autour de deux questions politiques centrales : la question kurde et celle des réfugiés syriens.

Un casse-tête pourrait se poser par le fait que Ogan, un nationaliste laïc qui ne veut pas de concessions aux activistes kurdes et souhaite le départ des 2,6 millions de Syriens qui ont trouvé refuge sur le territoire turc, converge Erdogan sur la première question, et avec Kilicdaroglu sur la seconde.

Ce n’est pas cet imbroglio qui importe, mais cette manière de fonctionner de la démocratie turque, où les programmes l’emportent sur toute autre considération.

Les violences post-électorales redoutées n’ont pas eu lieu et pas le moindre incident n’a été signalé dans les bureaux de vote de ce grand pays de 85 millions d’habitants.

Recep Tayyip Erdogan a dirigé la Turquie pendant 20 ans, comme Premier ministre à partir de 2003, puis comme président depuis 2014. Cette longévité et l’absence d’alternance pendant deux décennies peuvent sembler incompatibles avec les règles de la démocratie, d’autant plus que le président dirige désormais la Turquie avec des pouvoirs renforcés après la révision de la Constitution en 2017 pour donner naissance à un régime ultra-présidentiel.

Mais il reste que la volonté du peuple turc est respectée, que ce soit lors du référendum constitutionnel ou les différents scrutins législatifs ou présidentiels, comme c’est le cas pour le scrutin de cette année.

Pour un président « autoritaire », aller au deuxième tour est en soi un revers inenvisageable. Aussi, il n’attend pas son tour dans une file d’attente avec le commun des citoyens pour voter, comme on a pu voir Recep Erdogan dimanche dernier, même si la scène peut bien avoir été orchestrée par son staff de communication.

Quoi qu’il en soit, le monde ne trouve rien à redire sur les conditions du déroulement du scrutin en Turquie.

Même au plus fort de ce qui était qualifié de « dérive autoritaire » d’Erdogan, de nombreux signaux reflétant la bonne santé de la démocratie turque étaient perceptibles. Lors de la tentative de coup d’État de 2016, les institutions ont joué pleinement leur rôle pour faire échec au putsch.

En 2019, l’AKP, le parti du président Erdogan, a perdu les mairies de la mégapole d’Istanbul et de la capitale Ankara au profit de l’opposition, à l’issue d’élections transparentes.

Le monde musulman, qui a vu ses rares expériences de démocratie échouer, peut se servir du modèle turc comme d’un exemple.

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