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Rencontre avec Karim Zaghib, le maître algérien de la batterie

Rencontre avec Karim Zaghib, le maître algérien de la batterie

Chercheur de renommée internationale, détenteur de la plus haute qualification universitaire en France, membre de la Société royale du Canada, lauréat de la plus haute distinction au Québec dans le domaine de la recherche.

Tous ces titres, et bien d’autres, c’est un Algérien expatrié qui les accumule. Karim Zaghib, un enfant de Constantine, fait partie aujourd’hui des scientifiques les plus influents au monde.

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Fils d’une enseignante de français et d’un agent de l’administration, Karim Zaghib voit le jour le 25 décembre 1963 à Constantine, dans l’est algérien. Il passera toute son enfance non loin de là, dans la ville de Sétif. « Les meilleures années de ma vie », confie-t-il.

« À l’époque, la plupart de mes professeurs étaient étrangers, des coopérants. Ils venaient de Belgique, de Bulgarie, de France, de Syrie où d’Égypte. Il y avait une diversité exceptionnelle. Nous avions un excellent encadrement », se remémore-t-il.

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Le futur chercheur était-il doué en cours ?  « Absolument. J’ai toujours été bon à l’école. Dans ma tête, durant toute ma scolarité, j’étudiais comme si je me préparais aux jeux olympiques. Il fallait toujours que je sois dans le top trois de ma classe. Il faut appréhender la vie à la fois comme un marathon et un sprint », répond-t-il.

« Enfant, je ne savais pas ce que je voulais faire. La seule chose dont j’étais sûr à cette époque-là, c’est que je ne voulais pas faire d’études de médecine. La médecine était la filière la plus convoitée par les étudiants et les familles algériennes, mais moi, je savais que ce n’était pas ma voie. J’aimais par contre les mathématiques », poursuit-il.

De l’Algérie au Canada, en passant par la France et le Japon

Le baccalauréat en poche, Karim Zaghib intègre l’université de Sétif où il obtient un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) en électrochimie puis s’envole pour Grenoble, en France, où il décrochera successivement un doctorat, dans la même filière et une habilitation à diriger les recherches (HDR) de l’Université Pierre et Marie Curie  de Paris, le plus haut diplôme de l’enseignement supérieur français.

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Il posera ensuite ses valises au Japon pour poursuivre sa carrière de chercheur à l’Osaka National Research Institute. Il travaillera pour le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie de ce pays, tout en collaborant avec de grandes entreprises japonaises, telles que Sony, Panasonic, Sanyo, Matsushita….

Des multinationales qui lui permettront notamment de travailler sur les technologies des batteries au lithium. Il ne cessera plus de développer au fil des ans ces technologies.

« Aujourd’hui, dans la plupart des appareils que nous utilisons au quotidien, il y a des technologies que nous avons développées. Dans n’importe quel iPhone, iPod ou voiture électrique, il y a au moins un matériau breveté par moi et mes équipes », dit fièrement le chercheur.

Pour Dr Zaghib, le Japon, où il a résidé pendant cinq ans, a été « une extraordinaire expérience ». « Il y a une grande différence entre le Japon et les autres pays où j’ai vécu. En France, ou en Algérie, beaucoup de choses sont basées sur la recherche d’idées, mais cela reste théorique. Alors qu’au Japon, le focus est mis sur l’économie de la technologie et sur l’extrapolation des idées vers la commercialisation ». Une extrapolation, qui, selon cet éminent chercheur, « se fait rapidement », et représente aujourd’hui « la force de ce pays ».

En 1995, il émigre au Canada et intègre l’entreprise publique Hydro-Québec, l’équivalent de la Sonelgaz ‏algérienne.

Membre de l’Institut de recherche de cette entreprise d’État, il deviendra l’initiateur de travaux sur les batteries lithium-ion menés par la société et reconnus à travers le monde.

En 2017, il est promu directeur du Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie d’Hydro-Québec, avant d’être nommé, en 2020, conseiller stratégique auprès d’Investissement Québec, une société québécoise qui favorise l’investissement dans la province.

Une nomination qui s’inscrit dans la stratégie du gouvernement du Québec de développer l’industrie du lithium, afin de faire de cette région un leader dans le domaine des véhicules électriques.

Le Canada « est incontestablement une terre d’accueil », décrit Dr Zaghib, qui y réside depuis plus de 27 ans. « En arrivant en Amérique du nord, l’accueil a été exceptionnel. Le Canada est un pays d’opportunités. Les Canadiens sont venus me chercher du Japon et ont tout fait pour que les choses soient faciles pour moi en arrivant ici », reconnait-il.

Fort de son expérience, il livre ce conseil aux jeunes algériens qui souhaitent s’installer au Canada. « Aujourd’hui, il y a un problème de reconnaissance des diplômes. À tous ceux qui veulent poser leurs valises ici, je dirai : n’ayez pas de complexe pour faire une formation ou retourner sur les bancs des écoles et des universités en arrivant sur le sol canadien. Il faut impérativement avoir un diplôme canadien pour trouver du travail dans ce pays. C’est très important ».

Une consécration internationale qui n’a pas de prix

Ce chercheur émérite algérien est considéré comme l’un des cerveaux derrière la filière québécoise de la batterie électrique. « Au Canada, nous avons développé avec mes équipes une batterie à lithium phosphate. Une technologie qui est utilisée dans la plupart des voitures électriques de la marque Tesla. Maintenant, en Chine, ils utilisent partout notre technologie, que ce soit dans les autobus ou pour les voitures électriques », dit-il.

Ce n’est donc pas sans raison qu’on le surnomme « le maître de la batterie ». Karim Zaghib est aujourd’hui professeur au département de génie des mines et des matériaux de l’université McGill, au Québec, et actionnaire d’une nouvelle entreprise dénommée CEA-ACE et basée aux États-Unis et au Canada. Une entreprise spécialisée dans la fabrication d’anodes et de cathodes, des composantes nécessaires à la fabrication de batteries lithium-ion.

À ce jour, Karim Zaghib détient près de 600 brevets d’invention et 60 licences. Une chose est sûre pour lui, « l’argent n’a jamais été le leitmotiv » de sa carrière professionnelle.

En effet, alors que ses différents brevets auraient pu lui rapporter gros en travaillant dans le privé, il a préféré effectuer ses recherches dans le secteur public.

« Si je travaillais dans le privé, mes brevets auraient pu me rapporter beaucoup financièrement, mais cela n’a jamais été ma motivation. En restant dans le secteur public, j’ai préservé ma liberté de penser et ma liberté académique », explique-t-il son choix.

« Lorsqu’on travaille pour des entreprises publiques telles que Hydro-Québec, on cède 100 % de la propriété intellectuelle à la compagnie. J’ai vendu plusieurs licences qui ont rapporté des centaines de millions au gouvernement. Je travaillais dans une entreprise publique, les dividendes allaient donc au gouvernement qui les a investis par la suite dans l’éducation et la santé », fait-il savoir.

Les brevets de Dr Zaghib  ne lui ont certes pas permis de s’enrichir, mais avec du recul, il est persuadé d’une chose : ni maintenant, ni après, il ne regrettera ce choix.

« Je ne regrette pas. Dans la vie, on ne peut pas tout avoir. J’ai obtenu zéro dollar de mes brevets mais je ne regrette rien. Je ne me suis pas enrichi, mais mes brevets m’ont permis de construire l’un des meilleurs laboratoires de recherche du monde. Cela n’a pas de prix. C’est vraiment inestimable », dit-il.

En 2015, c’est la consécration. Le nom de Karim Zaghib apparaît pour la première fois sur la liste des scientifiques les plus influents du monde établie par la société Clarivate Analytics, spécialisée dans les analyses de la production scientifique.

Le nom de ce scientifique algérien figurera sur cette liste pendant trois années consécutives. Il s’agit d’une distinction accordée aux chercheurs dont les travaux sont les plus fréquemment cités dans les différents champs de recherche.

Pour Dr Zaghib, apparaître sur cette liste « est un honneur mais pas une surprise ».

« Lorsqu’on travaille dur et qu’on a la ténacité, la persévérance et qu’on est honnête et discipliné, on n’est pas surpris », affirme-t-il.

En 2019, il reçoit le Prix Lionel-Boulet, la plus haute distinction accordée par le Québec dans le domaine de la recherche en milieu industriel. Au cours de la cérémonie de remise du prix, il remerciera l’Algérie, la France et le Japon, des pays où, avait-il reconnu, il a eu la chance d’être formé. « Ces pays m’ont inculqué les valeurs universelles dont l’honnêteté, la créativité, la rigueur, la discipline, le respect, la ténacité, la persévérance, la générosité et l’amour des autres », avait-il alors déclaré.

Autres distinctions de Karim Zaghib, le prix de la technologie de l’Association internationale des batteries en 2017, un prix de l’Académie canadienne du génie, la même année, ainsi que le prix Electrochemical Society, en 2011.

En 2021, il est élu membre de la Société royale du Canada. « Je ne suis pas mégalomane. Je ne cherche pas toutes ces nominations. C’est elles qui viennent à moi », dit-il.

« Un travail acharné, la persévérance, la ténacité, une passion dévorante et suivre le destin », résume-t-il le secret de la réussite.

Ce que l’Algérie devrait faire

Très attaché à sa terre natale, Karim Zaghib n’a « jamais réellement coupé le cordon avec l’Algérie ».

« Je suis installé à l’étranger depuis plus de trente ans mais hormis ces deux dernières années, en raison de la crise sanitaire liée au covid, il n’y a pas une seule année où je ne suis pas rentré en Algérie. Je pouvais aller partout dans le monde mais je choisis toujours l’Algérie », assure-t-il, se disant toujours prêt à aider son pays.

« Dernièrement j’ai été invité au bureau du Premier ministre. Je suis bénévole dans la commission des énergies renouvelables. Je n’ai pas forcément de contacts directs avec des ministres ou des responsables mais j’ai tout de même pu expliquer ce qui pourrait être fait avec les batteries lithium-ion en Algérie », dit-il.

Avant ce premier contact, Karim Zaghib n’avait encore jamais été sollicité par le gouvernement algérien.

« Il y a vingt ans, on ne me contactait pas. À ce moment-là, le pays était dans une période sombre de son histoire. Lorsque j’étais au sommet de mes recherches, l’Algérie était en pleine décennie noire. Elle avait d’autres préoccupations, principalement la sécurité. Il y avait aussi un système de corruption », regrette-t-il.

« Les choses commencent à changer. Il y a du positif », se félicite néanmoins le chercheur.

En Algérie, l’énergie est presque exclusivement fossile. Le pays est dépendant de son gaz et de son pétrole. Pour Dr Zaghib, « bien que l’Algérie doit continuer à vendre son énergie, il est impératif de travailler maintenant sur un autre modèle ».

 « Il ne faut pas délaisser totalement les énergies fossiles mais essayer de travailler sur un nouveau modèle, et pourquoi pas, prendre exemple sur la Norvège », suggère-t-il.

« En Norvège, ils vendent leur pétrole et leur gaz et cet argent est ensuite investi dans les énergies renouvelables. En Algérie, il faut aussi continuer à vendre l’énergie fossile tout en essayant de mettre en place, le plus rapidement possible, des plans relatifs aux énergies alternatives et miser sur la transition énergétique, que ce soit l’énergie solaire, l’éolien, la géothermie, ou le stockage, explique-t-il.

« Il y a urgence. Il est grand temps que l’Algérie commence à penser à des alternatives », estime Karim Zaghib.

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