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Rencontre avec Lydia Ourahmane, artiste algéro-britannique

Artiste algéro-britannique, Lydia Ourahmane touche à plusieurs domaines artistiques : vidéo, film- documentaire, sculpture, installation.

Son cheminement artistique s’inspire de ses propres expériences. Diplômée d’une école d’art de Londres, cette artiste multidisciplinaire a travaillé sur les sujets de la migration, de la géopolitique et de l’héritage colonial.

Lydia Ourahmane a exposé aux quatre coins du monde : New York, Danemark, Italie, Suisse, Dubaï… Elle a fait une escale en mars dernier aux Ateliers sauvages (Alger) avec son exposition ‘Tassili’, une immersion dans le grand Sud algérien. Lydia réside actuellement à Barcelone mais elle prend souvent un billet d’avion pour son pays natal.

Lydia Ourahmane : « À la maison, nous parlions anglais »

Lydia a vu le jour à Saïda en 1992 mais elle a grandi à Arzew dans l’est d’Oran. « Ma mère est malaisienne », confie-t-elle. « Mes parents se sont rencontrés en Grande-Bretagne. J’ai grandi à Arzew où mon père entraînait une équipe de football de deuxième division. Nous étions trois filles à la maison. Je suis l’enfant du milieu. A la maison, nous parlions anglais. J’ai appris l’arabe à l’école ».

 Au milieu des années 90, les problèmes d’insécurité en Algérie menacent la petite famille Ourahmane.

« Un jour, des terroristes ont fait une incursion chez nous pendant notre absence. Nous étions en danger. Mes parents ont donc pris la décision de déménager dans un autre quartier d’Oran. Nous avons ainsi posé nos valises à Saint-Hubert, pour quelques temps », raconte Lydia Ourahmane.

Le climat d’insécurité persiste. L’ambiance est pesante. En 2001, la famille Ourahmane quitte Oran pour Londres. Lydia a tout juste 9 ans. Ce déracinement est un crève-cœur pour la fillette.

« Être arrachée à mon environnement du jour au lendemain fut très violent. En tant qu’enfant, je me suis sentie rejetée par les autres. Je l’avais mal vécu. J’étais complètement déboussolée ».

A l’âge de 16 ans, Lydia se lance dans des études d’art à Londres. « Je suis arrivée dans ce domaine par accident. La passion est née spontanément. J’ai découvert que l’art m’offrait un espace de liberté, un champ de tous les possibles. L’art n’a pas de frontières ni de ligne rouge. C’est ce qui m’a tout de suite attiré vers cet univers ».

La jeune étudiante passe une année au Camberwell College of Arts puis enchaîne avec des études au Goldsmith’s University de Londres d’où elle sort diplômée en 2014.

Pour son projet d’études, Lydia Ourahmane a choisi de travailler sur le sujet de la migration clandestine.

« A Oran, où je me rendais en vacances avec ma famille, j’entendais beaucoup parler du phénomène des ‘harraga’. J’ai recueilli de nombreux témoignages dont celui d’un jeune Oranais dont la traversée a tourné au vinaigre. Avant d’arriver à Valence, il a été intercepté en mer et mis en taule, avant d’être rapatrié vers Oran. Ce phénomène m’a beaucoup touchée. Je me suis interrogée sur la raison pour laquelle ces jeunes jouaient avec la mort pour rejoindre l’Europe. J’en ai déduit que c’est le système qui envoie les gens au casse-pipe faute de leur fournir un document de voyage ».

Vingt barils de pétrole, d’Alger à Londres

Ce travail sur la migration clandestine inspire à l’artiste algéro-britannique un projet audacieux.

« J’ai entamé des démarches afin de faire sortir du port d’Alger 20 barils de pétrole vides, pour un projet artistique. Ce fut le parcours du combattant. Pour la petite anecdote,  il m’a fallu de nombreux déplacements dans les services douaniers ainsi que 934 documents pour enfin décrocher le fameux sésame. Par ce travail, j’ai voulu dénoncer les lenteurs administratives et la montagne de paperasse nécessaires justes pour déplacer des barils vides, dans le cadre d’une exposition. J’ai pensé au pétrole parce que durant mon enquête avec les candidats à la ‘harga’, tous me répétaient la même phrase : « Notre pays est riche grâce au pétrole et pourtant, nous souffrons de chômage et de mal-vie »», raconte encore Lydia Ourahmane.

Intitulée ‘The Third Choir’, cette exposition de 20 barils vides d’Algérie a fait plusieurs escales dans des villes européennes avant de rejoindre la collection du Musée Tate Britain de Londres.

(Crédit : DR)


Lydia Ourahmane s’attaque ensuite à un autre projet. Intitulé Barzakh, il est né suite au confinement imposé par le Covid-19.

« Je venais de louer un appartement à Alger-centre, avec l’idée de découvrir un peu plus mon pays. En tant que femme vivant seule, ce fut une véritable galère pour dénicher un toit. Au bout de la 34e visite, ce fut la bonne. Je me suis installée dans un logement qui appartenait à  une femme qui venait de décéder. Ses effets personnels étaient encore là : draps, vaisselle, lit… Je suis arrivée avec une simple valise et j’ai pris possession des lieux, dans cet appartement de style osmanien du début du 20e siècle. Mais le Covid est arrivé. A cause de la fermeture des frontières, je me suis retrouvée bloquée en Algérie, jusqu’en juillet 2020, date à laquelle j’ai pu enfin voyager en Belgique, puis à Marseille pour mon travail. Mais lorsque j’ai voulu rentrer chez moi, dans cet appartement d’Alger, les frontières étaient encore fermées. J’étais bloquée à l’extérieur. »

La situation a inspiré à Lydia Ourahmane des questionnements. « Où est mon chez moi ? Quel est la part de mon intimité puisque j’avais mélangé ma vie à celle d’une inconnue, en prenant possession de son appartement et de ses affaires personnelles ? ».

En réponse, Lydia Ourahmane dit avoir « monté un projet fou : rapatrier toutes les affaires de l’appartement d’Alger en Europe (à Bâle en Suisse) et reconstituer l’espace à l’identique, y compris les deux portes : celle en bois de l’immeuble de 1901 et celle en fer, qui date de la décennie noire. »

Cette expo appelée Barzakh a ensuite voyagé à Marseille puis en Belgique. « Après deux ans de vadrouille, meubles et objets ont repris leur place dans ce logement d’Alger », relate Lydia Ourahmane.

(Crédit : DR)


(Crédit : DR)


(Crédit : DR)


Au cœur du Tassili 

Lydia Ourahmane poursuit ses expériences artistiques. Le grand Sud algérien l’appelle. En 2022, elle fait un trekking sur le plateau du Tassili n’Ajjer avec son équipe pour la réalisation d’un film-documentaire intitulé ‘Tassili’. « Pouvoir admirer ces peintures rupestres qui datent de 12 000 ans est juste incroyable ! ».

Tassili a sillonné plusieurs villes à travers le monde. Elle se trouve actuellement à Tunis, après un passage par New York, Paris, Toronto, et Alger.

Lydia Ourahmane vit entre Barcelone et Alger. Elle continue à explorer des sujets qui lui tiennent à cœur. Des projets artistiques autour des questions du déracinement, de la migration, de la géopolitique et des conséquences de la colonisation sur les êtres humains.

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