Société

Réticences des Algériens au don d’organes : les imams à la rescousse

La Fédération nationale des insuffisants rénaux (Fnir) a lancé une campagne nationale de sensibilisation des imams au don d’organes.

Cette opération, dont le signal de départ a été donné samedi 14 avril à Blida, verra l’organisation de rencontres dans chaque wilaya du pays pour réunir imams, médecins et membres de la Fnir.

Objectif de ces conférences : sensibiliser les imams, les introduire aux détails techniques du don d’organe, de la mort encéphalique afin qu’ils puissent mieux convaincre les Algériens.

Détresse des malades dialysés

M. Boukhers Mohamed, porte-parole de la Fnir, a été le premier à prendre la parole lors de la conférence donnée aux imams à l’EHS de Transplantation d’Organes et de Tissus du CHU de Blida. Il a d’emblée dressé un tableau noir de la situation des insuffisants rénaux dialysés.

Selon lui, des dizaines de milliers d’Algériens attendent dans l’angoisse une greffe d’organe qui pourrait leur sauver la vie et les libérer de contraintes de traitements médicamenteux lourds et handicapants.

Rien que pour les insuffisants rénaux dialysés, la Fnir comptabilise près de 24 000 malades. La plupart d’entre eux endurent de grandes souffrances, aussi bien physiques que psychologiques ou sociales. De nombreux malades sont mêmes dans une situation désespérée et nécessitent une greffe d’urgence.

Mais si les choses restent en l’état, peu d’entre eux auront la chance de recevoir un rein qui les libérera de la contrainte de l’hémodialyse, le nombre de greffes du rein effectuées chaque année dépassant à peine les 250.

L’activité de greffe en Algérie peine à accélérer et même si les causes en sont nombreuses, le manque de greffons reste la plus importante et la plus problématique.

L’Algérie à la traîne

La comparaison entre les statistiques des greffes d’organes de l’Algérie et celles d’autres pays musulmans est édifiante. Entre 2013 et 2015, l’Algérie a réalisé 573 transplantations rénales, la Tunisie 195 et le Maroc 189, selon les chiffres avancés par le Dr Lahfaya Saliha, néphrologue qui a réalisé plusieurs opérations de transplantation rénale à Blida.

Même si, par le nombre de greffes réalisées, l’Algérie est loin devant, nos voisins nous devancent sur un aspect crucial de l’activité de transplantation rénale : le prélèvement d’organes sur des donneurs décédés. Depuis 1986, l’Algérie n’a réalisé que deux transplantations avec prélèvement de greffons sur des cadavres et aucune entre 2013 et 2015, période pendant laquelle la Tunisie en a effectué 18 et le Maroc 58.

En Arabie Saoudite, 2.838 greffes rénales ont été réalisées en 2015 à partir de donneurs décédés.

Ces chiffres révèlent que l’Algérien consent plus facilement au don d’organe de son vivant, surtout que dans ce cas, l’organe prélevé (rein ou foie par exemple) est destiné à un membre de sa famille. Mais dès qu’il s’agit de donner l’autorisation pour prélever les organes d’un proche parent en mort cérébrale, c’est le refus catégorique.

Autre enseignement qu’il est permis de tirer de ces chiffres : l’Algérie a un potentiel certain dans la transplantation d’organes, des compétences et des moyens humains suffisants et une politique volontariste des autorités. Mais ce potentiel est lesté, freiné par les mentalités, d’où l’intérêt de cette initiative impliquant les imams, “premiers éducateurs de la société”, selon le Dr Chater Fahed, médecin réanimateur au CHU Frantz Fanon de Blida.

Selon lui, les raisons invoquées par les familles pour refuser tout prélèvement d’organe sont, dans la quasi-totalité des cas, d’ordre religieux. « Les organes appartiennent à Dieu et non à celui qui les porte et il est interdit de disposer des biens d’autrui », arguent les familles réticentes au don d’organes.

La complexité des rapports familiaux dans la société algérienne compliquent elles aussi la chose. Le Dr Fahed, de par sa fonction de réanimateur, dont l’une des tâches est de constater la mort encéphalique propice aux prélèvements d’organes, est en première ligne lorsqu’il s’agit de demander aux parents du décédé la permission de prélever des organes.

« Parfois, même si le père et la mère sont d’accord, un oncle, un cousin ou même un voisin surgit et retourne les parents », déplore-t-il.

Ce refus des familles algériennes des prélèvements d’organes sur leurs proches décédés est la cause principale du faible taux de greffe des malades.

Une pratique conforme aux préceptes de l’islam

Des fatwas ont été émises par plusieurs muftis musulmans et par plusieurs organisations islamiques pour autoriser les transplantations d’organes à partir de donneurs vivants ou morts.

En 1980, le Haut conseil islamique (HCI) a émis une fatwa en ce sens et plus tard, les pays musulmans ont signé l’accord d’Amman autorisant le prélèvement d’organes sur des personnes décédées. Les autorités religieuses algériennes se sont, quant à elles, prononcées le 14 février 1985, à travers le Conseil supérieur islamique algérien qui a émis une fatwa autorisant le prélèvement et la transplantation d’organes.

Selon l’inspecteur de la direction des Affaires religieuses de la wilaya de Blida, le prélèvement d’organes sur des donneurs vivants ou décédées ainsi que leur transplantation ne sont pas en contradiction avec les règles de l’islam, tant que les conditions fixées par les muftis qui font autorité et sur lesquelles toutes les autorités religieuses se sont mises d’accord, sont respectées.

Malgré l’existence de ces fatwas et l’évidence de la nécessité du don d’organes, les Algériens restent réticents face à cette pratique.

« Il s’agit plus d’un manque de connaissance que d’un véritable refus », suggère le Dr Lahfaya. Raison pour laquelle les imams seront mobilisés ces prochains mois afin de sensibiliser les gens qui fréquentent les mosquées, notamment à travers les prêches du vendredi qui seront consacrés plusieurs fois par an à ce sujet, a annoncé M. Boukhers.

Le discours que devront développer les imams algériens avec l’aide de la Fnir sera axé sur le côté religieux et spirituel mais également scientifique. Un travail de vulgarisation que la Fnir et les médecins spécialistes veulent mettre à la portée des imams avec ces conférences qui seront organisés dans « 22 wilayas d’ici l’été 2018 », a annoncé M. Boukhars.

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