Consommation

Sauf coup de théâtre, Aigle Azur se dirige vers la liquidation

A la veille de l’audience au tribunal de commerce ce lundi 16 septembre, l’administrateur judiciaire compte préconiser la liquidation faute d’offre de reprise satisfaisante. Sauf coup de théâtre d’ici à lundi, Aigle Azur sera liquidée. Vendredi dernier, les offres de reprise de Lionel Guérin et de Gérard Houa “ont retenu l’attention” du comité d’entreprise mais font l’objet d’un grand nombre de réserves. L’évidence du financement de ces deux offres n’a pas été pour l”heure précisé.

Sauf coup de théâtre, Aigle Azur, en redressement judiciaire depuis le 2 septembre, fonce droit vers une liquidation judiciaire. C’est en effet la recommandation qu’a prévu de faire l’administratrice judiciaire de la compagnie Catherine Poli ce lundi lors d’une audience au tribunal de commerce d’Evry.

“Compte tenu de la faiblesse des offres communiquées et de la nécessité de préserver, notamment, les droits et intérêts des salariés, je suis contrainte de solliciter la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire”, a-t-elle dit vendredi au comité d’entreprise (CE), selon le procès verbal de la réunion que La Tribune s’est procuré.

La décision du juge devrait être mise en délibéré.

Au cours de ce CE marathon qui a duré de 9 heures à 23 heures, les 13 offres de reprise reçues mercredi soir ont été présentées. Il y en avait une de moins que prévu après le désistement du fonds d’investissement Cyrus Capital Partners.

Aucune offre n’est satisfaisante

Qu’elles émanent d’Air France, du Groupe Dubreuil, propriétaire d’Air Caraïbes et de French Bee, de deux anciens d’Air France, Lionel Guérin et Philippe Micouleau, de Lu Azur, la société luxembourgeoise de Gérard Houa actionnaire à 20% d’Aigle Azur, d’Easyjet, de Vueling…, toutes ne sont visiblement pas satisfaisantes aux yeux de l’administratrice judiciaire.

Reprendre les contrats de travail des salariés pose problème

La plupart, comme Air France, se positionnent davantage sur une reprise d’actifs que sur une reprise de tout ou partie d’une entreprise comme cela doit être le cas dans un redressement judiciaire. Dans ce cas, tout repreneur doit reprendre une “branche autonome d’activité,” et à ce titre reprendre tout ce qui est attaché à son fonctionnement (contrats de location d’avions, personnels avec leurs contrats et leur séniorité….).

Problème, une grande partie des repreneurs ne veulent pas reprendre les contrats de travail des salariés d’Aigle Azur, notamment ceux du personnel navigant et des pilotes en particulier, jugés peu compétitifs. En outre, venant à peine d’apaiser son climat social, Air France ne souhaite pas intégrer des pilotes d’Aigle Azur dont certains, en conservant leur ancienneté, passeraient devant des pilotes d’Air France dans la liste de séniorité des pilotes qui définit l’évolution des carrières des pilotes et par conséquent de rémunération. Les pilotes d’Air France ne l’accepteront pas. En outre, une intégration des pilotes d’Aigle Azur de cette manière provoquerait également des soubresauts chez les pilotes historiques de Transavia, déjà furieux de se voir proposer des contrats Air France sans reprise de la totalité de leur ancienneté.

C’est la raison principale pour laquelle Air France ne reprend pas directement les salariés d’Aigle Azur ni les avions d’ailleurs, mais s’est dit prête à ouvrir à l’ensemble des salariés d’Aigle Azur qui souhaiteraient postuler à Air France un processus de sélection dédié”. Dans le cadre de ce processus, Air France a indiqué qu’elle envisageait d’ouvrir 515 postes. Aigle Azur compte 1.150 salariés, dont 350 en Algérie. Un tel schéma, avec des propositions de reclassement sans garantie n’entre pas dans le cadre d’une reprise d’une branche autonome d’activité.

Deux offres de reprise

Deux offres proposent de reprendre l’entreprise avec la totalité ou la quasi-totalité du personnel et des avions : celle de deux personnalités reconnues du transport aérien, Lionel Guérin et Philippe Micouleau qui proposent de reprendre 100% des effectifs. Ce dossier à la faveur du secrétaire d’Etat aux transports Jean-Baptiste Djebbari qui en fait écho à chacune de ses interventions. Et celle de Gérard Houa, à l’origine d’un coup de force fin août pour tenter de prendre le contrôle d’Aigle Azur.

Problème, aucun de ces deux dossiers n’a pour l’heure apporté la preuve de son financement. Lionel Guérin et Philippe Micouleau ont indiqué dans leur offre qu’ils pouvaient assurer l’apport de 20 à 30 millions d’euros au plus tard le jour de l’audience si certaines conditions étaient levées comme l’obtention d’un prêt-participatif de 20 millions d’euros auprès de l’Etat, et la récupération des 15 millions d’euros bloqués en Algérie (dont une partie a servi à faire face aux échéances de la compagnie en Algérie). Une répartition qui ne semble pas convenir. “Le prêt de l’Etat ne peut représenter la moitié du financement”, explique un expert. Pour autant, vendredi, certaines sources indiquaient à La Tribune que le plan de Lionel Guérin n’était plus valable et qu’il travaillait sur un autre schéma.

Gérard Houa évoque quant à lui une somme de 23 millions d’euros, dont les 15 millions d’apport de cash et 8 millions correspondant à un emprunt obligataire.

Pas d’avis favorable du CE à ses deux offres

Dans le procès verbal du CE de vendredi que La Tribune s’est procuré, toutes les offres ont été rejetées à l’unanimité, sauf celles de Lionel Guérin et Gérard Houa, sans pour autant recevoir un avis favorable, contrairement à ce qu’a déclaré samedi un pilote du SNPL (non membre du CE) à l’AFP.

Le CE a en fait indiqué que “seules ces deux offres retenaient en l’état son attention”, mais a émis un grand nombre de réserves : l’évidence des fonds dans les deux cas, des incertitudes sur le business plan…..

Concernant Lionel Guérin, le CE a demandé des précisions sur le plan social et le plan de départs volontaires après la reprise. Dans la mesure où Lionel Guérin prévoit “une amélioration sensible de la productivité” en signant des accords en ce sens, les élus et les salariés craignent de fortes réductions d’effectifs après la reprise.

Pour beaucoup, ces deux offres de reprise interpellent. Si leur offre devait être acceptée, Aigle Azur sortirait donc du redressement judiciaire et redeviendrait une entreprise “normale”, capable de faire face à ses échéances. Les besoins en capital sont énormes pour relancer une compagnie dont les avions ne volent plus depuis plus d’une semaine et qui a suscitera forcément la méfiance des clients et des fournisseurs.

“Le procureur ne laissera pas un entreprise sortir du redressement judiciaire pour que l’entreprise se retrouve dans la même situation dans quelques mois”, fait valoir un observateur.

Les syndicats et les salariés divisés

Les syndicats et les salariés sont divisés. Les commandants de bord les plus anciens soutiennent les offres qui assurent le maintien d’Aigle Azur. La proposition d’Air France ne leur convient pas parce qu’ils ne veulent perdre leur ancienneté et se retrouver copilote chez Air France.  Sans le dire, certains jeunes copilotes d’Aigle Azur ne partagent pas tous ce raisonnement. Ayant peu d’ancienneté, une entrée à Air France leur ouvrirait de belles perspectives de carrière. Idem pour des hôtesses et stewards.

Le SNPNC Aigle Azur, dont le responsable est très proche de Gérard Houa, soutient quant à lui ce dernier… contrairement au SNPNC national qui milite pour Air France. La CFDT Aigle Azur soutient également l’offre d’Air France, tout comme l’UNSA, qui n’est pas membre du CE.

Reprise encore plus compliquée en liquidation

Sauf si l’une des offres proposées par Lionel Guérin et Richard Houa  parvenaient à assurer le financement avec un chèque de banque à l’appui, Aigle Azur sera liquidée. Et les chances de cession “de branches autonomes d’activité” deviennent encore plus compliquées car le risque est grand qu’il n’y ait plus rien à céder. Les loueurs d’avions ne sont plus tenus de laisser à disposition leurs appareils, et le liquidateur doit licencier le personnel.

Des candidats à la reprise vont reformuler des offres. Pour autant, la problématique du transfert des contrats des personnels sera la même que celle constatée dans le cadre d’un redressement judiciaire.

“Dans le cadre de cession de branches autonomes d’activité, les salariés repris le sont avec leur contrat. C’est l’article L1224.1 du code du travail”, explique un profesionnel du droit social.

Cet article dit que “lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise”.

“Nous on veut bosser”

Qu’un candidat fasse une promesse d’embauche comme entend le faire Air France ne semble pas suffire. Au grand dam des salariés qui soutiennent cette offre.

“Que cette offre soit compatible ou pas, on s’en moque, nous on veut bosser”,  explique le coeur serré une salariée.

Vu qu’il n’y a plus rien dans les caisses d’Aigle Azur, la logique voudrait que le juge prononce une liquidation sèche. Si pour une raison qui lui appartiendra, il décide de liquider la compagnie en maintenant son “activité” pendant 15 jours, la difficulté, voire l’impossibilité de constituer des branches autonomes à céder sera toujours une réalité. Si elle est liquidée, Aigle Azur perdra sa licence d’exploitation. Elle ne sera plus une compagnie aérienne, et ses créneaux seront repris par Cohor, l’association qui gère les créneaux horaires. Si aucune activité n’est reprise au bout d’un mois, les 9600-9800 créneaux d’Aigle Azur seront redistribués à d’autres compagnies.


 

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