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Sécheresse au Maroc : hécatombe dans le secteur agricole

Au Maroc, la sécheresse a causé la perte de près de 300.000 emplois durant le troisième trimestre de 2023 et a remis en cause le modèle agricole du pays. Une catastrophe alors que le secteur agricole concerne 40 % de la population active et représente 14 % du PIB du pays.

Les chiffres sur les pertes colossales des emplois dans le secteur agricole ont été données par le Haut-commissariat du plan, selon le site Internet Hespress.

Dix ans après le Plan Maroc Vert (PMV) lancé en 2008, près de 340.000 emplois avaient été créés. Aujourd’hui, la réalité des chiffres est cruelle. Comment en est-on arrivé là ?

Le PMV visait le développement du secteur agricole en misant sur les exportations agricoles. En quelques années, le Maroc a talonné l’Espagne et est devenu un fournisseur important de l’Union européenne en tomates, haricots verts, poivrons, fraises, agrumes et huile d’olive.

Les chiffres du gouvernement marocain indiquent que « le secteur agricole a vu son PIB augmenter de 60 %, passant de 7,2 milliards d’euros en 2008 à 11,7 milliards d’euros en 2018 ». L’année passée, le gouvernement marocain revendiquait une hausse annuelle de 20 % des exportations de produits alimentaires.

Maroc : une sécheresse endémique

Cette stratégie est confrontée à la sécheresse devenue aujourd’hui endémique. La situation est telle qu’en juillet dernier, un rapport de la Banque mondiale sur l’économie marocaine évoquait un « stress hydrique structurel » au Maroc.

Pourtant en 1960, on comptait une disponibilité de 2.600 mètres cubes d’eau par personne et par an. Avec 600 mètres cubes aujourd’hui, la demande en eau est largement supérieure aux ressources disponibles.

Dès juillet 2022, Fouad Amraoui, professeur en sciences de l’eau à l’université Hassan-II de Casablanca s’inquiétait de la situation dans la presse locale : « Jusque-là, lorsqu’il y avait une sécheresse, c’était surtout le monde rural qui en pâtissait. La particularité de 2022 est que même les 10 % réservés à l’eau potable pour les villes sont désormais affectés ».

Il témoignait : « Le taux de remplissage de nombreux barrages est au plus bas. Le barrage d’Al Massira, l’un des plus importants du pays, n’est rempli qu’à 5,5 % ». Il prévenait qu’à « 500 mètres cubes, on atteindra le seuil critique de pénurie. Beaucoup de régions sont déjà en deçà ».

L’automne venu, malgré les pluies d’automne, le taux moyen de remplissage des barrages au Maroc n’était que de 24 %.

Sécheresse endémique au Maroc : Surexploitation des nappes

Ces dernières années au Maroc, l’utilisation des eaux souterraine a nettement augmenté. « Les agriculteurs creusent des puits de plus en plus profonds pour trouver de l’eau. Toutes les nappes d’eau souterraine sont surexploitées ; certaines sont totalement épuisées par endroits », s’inquiète-t-il.

De son côté, en novembre 2022, le chercheur universitaire néerlandais Marcel Kuper, qui a longuement étudié la région de Tadla au Maroc, faisait remarquer que lors de la sécheresse de 1983-1984, la faiblesse des eaux de surface a été compensée par les eaux souterraines. Cependant, analyse-t-il : « Aujourd’hui les choses deviennent de plus en plus compliquées en raison de la situation des nappes qui n’arrivent plus à prendre le relais ».

Il pointe du doigt l’arboriculture d’exportation car « c’est une culture qui fige la demande. Une fois qu’on a planté un arbre, on ne peut pas ne pas l’irriguer une saison parce qu’il y a une sécheresse. Si vous ne l’irriguez pas, vous perdez le capital. Le premier débat doit porter sur l’étendue de ces cultures pérennes, les arbres fruitiers, les palmiers dattiers ».

Maroc : des productions agricoles gourmandes en eau

Encouragés par les subventions, les agriculteurs marocains ont développé les cultures irriguées. Dans la presse locale, l’universitaire Tahar Sraïri dénonce : « On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1.000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques. On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride !».

Cet universitaire s’inquiète des conséquences sur les réserves en eau au Maroc. « Le développement de ces cultures s’est fait dans les mêmes logiques de mobilisation outrancière des eaux souterraines parce que la pluie ne tombe pas assez et que l’irrigation à partir des barrages est insuffisante ou inexistante, poursuit-il. Finalement, le consommateur européen peut acheter des pastèques marocaines dès la fin de mars, mais à quel coût environnemental ? ».

Le drame du Maroc est donc d’avoir tenté de développer une agriculture d’exportation qui a contribué à employer jusqu’à 40 % de la population active, mais qui consomme 85 % des ressources locales en eau. Ce projet a immédiatement battu de l’aile dès les effets cumulés des dernières sécheresses.

Maroc : le modèle agricole marocain remis en cause

Pour l’économiste Najib Akesbi, « le PMV a privilégié des cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, celles destinées à satisfaire les besoins de la population, telles que les céréales, le sucre, les huiles de graines ».

Aujourd’hui, poursuit l’universitaire : le Maroc « importe 100 % de ses besoins en maïs, 98 % en huiles de graines, plus de la moitié en blé et en sucre. Il se retrouve dans une dépendance qu’il n’avait jamais connue ».

Dans le même temps, le pays doit faire face à la flambée des cours mondiaux de ces biens alimentaires.

Face aux ratés du PMV, dès 2020, le plan Génération Green 2020-2030 a tenté d’apporter quelques correctifs. Cependant la doctrine reste la même car inscrite dans le marbre : doubler à l’horizon 2030 le PIB agricole et les exportations. Ces mêmes exportations très consommatrices en eau. Certes, la question du manque d’eau est enfin abordée. Les rédacteurs de ce nouveau plan ont pris conscience de la nécessité d’une résilience face au changement climatique et il est même question de « doublement de l’efficacité hydrique ».

Mais au Maroc, malgré la modernisation des modes d’irrigation, le secteur agricole consomme toujours 85 % des ressources en eau du pays.

Dès 2017, co-auteur d’une étude sur le sujet, Oumaima Tanouti s’inquiétait que « le passage au goutte-à-goutte s’accompagne très souvent d’une intensification ou d’un changement complet d’assolement ».

Suite à l’introduction de cette nouvelle technique, les agriculteurs plantent par exemple une nouvelle rangée d’arbres entre celles déjà existantes. Elle témoigne : « Dans le Souss, par exemple, on a pu observer que la densité des plantations de clémentine était passée de 200 à 500, voire 800 arbres par hectare ».

Très tôt, des études de terrain montrent que l’adoption du goutte à goutte a entraîné une extension des superficies irriguées. Un agriculteur d’Ain Taoujdate (Meknès) témoigne : « C’est une bonne chose le goutte à goutte, je l’ai installé pour irriguer la totalité de ma parcelle ».

Et les rendements ont augmenté d’autant : « Le goutte à goutte permet d’avoir du tonnage, d’augmenter le rendement. Imagine, il est passé de 35 T/ha à 60 T/ha pour l’oignon, certains peuvent atteindre même les 90 T/ha ».  Une production en partie exportée.

En février 2023, l’autorité des exportations de produits agricoles, Morocco Fodex, a interdit aux négociants de fruits et légumes d’exporter les oignons vers les pays d’Afrique de l’Ouest afin de conserver ses marchés en Europe.

Dès septembre 2022, le Maroc a décidé de mettre un terme aux subventions destinées aux cultures d’agrumes, de pastèques et d’avocats accusées d’être la cause de l’assèchement dans plusieurs régions. Les agriculteurs ne reçoivent plus d’aides pour le creusement des puits, l’acquisition des équipements comme les pompes et le goutte à goutte.

Pour le ministère marocain de l’Agriculture, il s’agit dorénavant de mettre un frein au développement des surfaces irriguées et d’encourager des cultures moins consommatrices d’eau telles le caroubier, le cactus, l’amandier, le câprier ou le figuier.

Pour l’association Maroc Environnement 2050, le mal est fait dans la mesure où les moyens de certains investisseurs les dispensent de recourir aux subventions mais surtout : « Les grandes fermes qui pratiquent ces cultures intensives et irriguées existent déjà et suffisent à tout assécher ».

Vue l’étendue des dégâts, l’association prône « l’urgence d’un changement radical de modèle agricole » marocain. En cela elle est rejointe par Najib Akesbi : « C’est de fond en comble que la politique agricole doit être repensée ».

Le défi du Maroc est aujourd’hui de créer des emplois en milieu rural tout en préservant les ressources en eaux du pays.

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