search-form-close
Solidarité avec la Palestine en France : la justice convoque à tour de bras

Solidarité avec la Palestine en France : la justice convoque à tour de bras

Depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre dernier, les solidaires avec à Gaza et les Palestiniens s’exposent à des accusations d’antisémitisme, l’arme brandie à chaque fois par les inconditionnels du gouvernement israélien de Netanyahu, et parfois d’apologie du terrorisme.

Des musulmans et des personnalités politiques de l’opposition comme celles de La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon qui dénoncent les actes de guerre contre la population de Gaza se voient systématiquement accusés, d’antisémitisme, et parfois poursuivis en justice pour « apologie du terrorisme ». En France, le Hamas est considéré comme un groupe terroriste.

Le cas le plus emblématique de la judiciarisation de la vie politique en France en lien avec la guerre Israël-Gaza dérive est celui de Mathilde Panot, chef du groupe parlementaire de LFI qui a été convoquée par la police pour apologie du terrorisme en raison de ses positions politiques sur la guerre à Gaza.

La démarche des pro-israéliens vise à faire taire toute voix discordante sur cette guerre qui a fait plus de 33.000 morts en sept mois, dont une majorité de femmes et d’enfants palestiniens. Personnalités politiques, syndicalistes et universités sont particulièrement visés.

Une situation qui n’est pas sans faire réagir de grandes voix comme Edwy Plenel ou Dominique de Villepin. Celui-ci a fait l’objet d’une polémique montée de toutes pièces. Il est l’une des très rares personnalités de haut rang ou ex-ministre français à critiquer la politique israélienne de guerre totale menée contre les civils à Gaza.

France : chantage à l’antisémitisme contre la classe politique

C’est fin novembre, lors d’un entretien sur la Chaîne TMC, qu’il a évoqué les difficultés rencontrées aux États-Unis par les artistes exprimant leur solidarité avec les Palestiniens à Gaza.

Suite à un reportage, Dominique de Villepin avait dénoncé les pratiques générales de l’industrie culturelle et médiatique consistant à faire pression sur les artistes.

Il déclarait ainsi : « Les artistes ne doivent pas se soumettre à la dictature de la pensée commune. On voit en filigrane dans votre reportage à quel point la domination financière sur les médias et sur le monde de l’art, de la musique, pèse lourd, parce qu’ils ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent, tout simplement parce que les contrats s’arrêtent immédiatement. »

Il insistait sur les intérêts financiers en jeu : « On voit bien que la règle financière qui s’est imposée aujourd’hui aux États-Unis dans la vie culturelle pèse lourd. Malheureusement, nous le voyons aussi en France. »

Le média en ligne, Action Critique Médias (Acrimed), a relaté l’enchaînement des faits. Immédiatement après les propos de l’ancien Premier ministre, la machine est lancée. L’entretien, en partie tronqué, est relayé sur les réseaux sociaux. Dès le 25 novembre, c’est Jacques Attali qui s’exprime le premier sur son compte X (Twiter) : « L’antisémitisme, si longtemps masqué, se déchaîne en croyant intimider ».

Le lendemain, BFMTV, invite le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) Yonathan Arfi à réagir.

Et pour cela, il accole le mot « juive » aux propos de Dominique de Villepin en titrant : « « Domination » juive : De Villepin fait polémique » et plus grave en inventant des paroles qu’il n’a pas tenues : « Il parle des États-Unis et il dénonce la domination de la finance juive sur les sociétés occidentales. » BFMTV a ensuite présenté ses excuses aux téléspectateurs pour avoir déformé les propos de De Villepin.

Les jours suivants, ces propos déformés sont repris par d’autres médias et par différentes personnalités médiatiques.

Puis ce sera au tour de la juriste internationale, Rima Hassan, candidate sur la Liste de La France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon aux prochaines élections européennes, d’en faire les frais.

Le 20 avril, cette militante franco-palestinienne est convoquée par les services de police « afin d’être entendue librement sur des faits d’apologie publique d’un acte de terrorisme, commise au moyen d’un service de communication au public en ligne », indique France-Info.

C’est aujourd’hui le tour de Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. Celle-ci est convoquée par la police judiciaire de Paris pour « apologie du terrorisme ». Sur les réseaux sociaux, l’élue dénonce une « instrumentalisation grave de la justice ».

Son message, où elle annonce et dénonce sa convocation qu’elle a publiée sur la plateforme X, a été vu près de trois millions de fois. Il suscite de vifs débats et de vives inquiétudes sur l’avenir de la liberté d’expression en France, un pays fortement divisé sur la guerre à Gaza.

Selon la radio France-Info, la plainte contre Mathilde Panot aurait été déposée par « l’Organisation juive européenne, une association qui lutte contre l’antisémitisme ».

Contactée par le même média, cette association aurait reconnu « avoir déposé plusieurs plaintes visant des Insoumis depuis le 7 octobre pour apologie du terrorisme et/ou provocation à la haine raciale ». Parmi ces plaintes figurerait notamment celle contre Rima Hassan.

France : les étudiants dans la ligne de mire des pro-israéliens

Ces dernières semaines, les étudiants qui dénoncent la guerre à Gaza et appellent à la paix sont également visés par ce chantage à l’antisémitisme.

Le quotidien Le Monde, daté du 16 avril 2024, consacre dans son supplément Campus un article sur le climat au niveau des universités françaises. En faisant figurer dans le titre l’expression « regain d’antisémitisme », le ton de l’article est immédiatement donné.

L’article énumère les inscriptions sur les murs de l’université de Strasbourg : « 40.000 morts à Gaza, France complice, stop arming Israël », « Colon un jour, colon toujours », « Palestine vivra ».

À propos de ces inscriptions, le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken avoue : « Même s’ils ne sont pas ouvertement antisémites, on est convaincus que les laisser contribuerait à un climat délétère. » Puis l’argument mille fois entendu tombe : « On sait que l’antisionisme est parfois le déguisement de l’antisémitisme. »

Fort de cet étrange raisonnement, l’universitaire à qui est confiée la présidence d’une université comptant quelque 55.000 étudiants insiste sur la nécessité de lutter « contre un regain d’antisémitisme ».

Sur le campus, une altercation a bien eu lieu entre des étudiants qui collaient des affiches appelant à la « libération des otages israéliens détenus à Gaza » et deux étudiantes. L’incident a été classé comme « acte antisémite ». Est-ce que défendre un point de vue politique est un acte antisémite ?

Depuis le 7 octobre, l’association France universités déclare avoir relevé 67 « actes antisémites ».

Les centres universitaires Sciences-Po Paris et Sciences-Po Menton sont particulièrement montrés du doigt pour des cas « d’antisémitisme ».

Récemment citée par un article de l’hebdomadaire Le Point, l’association Nupes-Sciences Po Menton indique pour sa part : « Nous mettons au défi quiconque de dénoncer l’existence d’au moins un acte antisémite sur le campus. L’antisémitisme est un délit que nous condamnons, tandis que l’antisionisme est une opinion politique ».

Le 12 mars dernier, à Sciences-Po Paris, une étudiante de l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) a été momentanément interdite d’entrée dans un amphithéâtre où se tenait une réunion de soutien à Gaza.

Selon le quotidien Le Parisien les organisateurs s’étaient justifiés en l’accusant « d’avoir déjà intimidé des militants pro-Palestine », notamment en filmant et diffusant sur les réseaux sociaux les photos des organisateurs qui avaient ensuite fait l’objet de harcèlement.

Ce différend entre étudiants a immédiatement été qualifié « d’actes antisémites » par la direction de l’UEJF et relayé jusqu’à l’Élysée. Le lendemain, le président Emmanuel Macron dénonçait des propos « intolérables et inqualifiables ». Le Premier ministre, Gabriel Attal indiquant, que la justice allait être saisie.

France : des syndicalistes accusés d’antisémitisme

En mars dernier, c’est un syndicaliste de la CGT qui a été jugé à Lille pour « apologie du terrorisme ». Plusieurs personnalités, dont la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, ont alerté sur un « contexte de répression […] inédit depuis l’après-guerre » et d’autres se sont inquiétées de la volonté « d’assimiler toute contestation politique ou sociale à du terrorisme ».

Verdict pour le syndicaliste, une condamnation à un an de prison avec sursis au motif, comme le rappelle Edwy Plenel « pour un simple tract diffusé après les massacres du 7 octobre 2023. Dans une formulation malvenue, qu’il reconnaîtra volontiers à la barre du tribunal, il entendait dénoncer cet engrenage fatal dans lequel la violence coloniale entraîne la violence terroriste. »

Réponse de la Mosquée de Paris et d’Edwy Plenel

Face à ce climat, dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde, le recteur de la Grande mosquée de Paris dénonçait en novembre 2023 les amalgames : « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi ». Chems-Eddine Hafiz, vilipendait alors les « ennemis de la nuance ».

Le recteur de la Mosquée de Paris a regretté que l’on soit arrivé à une situation où dénoncer l’antisémitisme suscite des accusations de « renoncement aux droits fondamentaux de tous les peuples de la Terre, y compris ceux, légitimes, du peuple palestinien ».


Edwy Plenel parle de maccarthysme à la française et alerte concernant la solidarité avec la Palestine : « Ce n’est pas seulement une affaire d’humanité, face au martyre incommensurable de Gaza, mais une question de politique, face au péril autoritaire, ici même en France. »

« Les préfets en première ligne de la répression du soutien à Gaza »

À propos de cette solidarité avec la Palestine, le fondateur du site Mediapart rappelle qu’aujourd’hui : « Vouloir l’exprimer par la parole, l’écrit ou la manifestation, est passible de convocation policière, de condamnation pénale ou d’interdiction préalable. »

Il ajoute : « Des préfets aux parquets en passant par les policiers, le gouvernement a donc fait passer la consigne : afficher sa solidarité avec la Palestine est un délit potentiel. »

Pour sa part, Jérôme Hourdeaux analyse dans Mediapart le rôle des préfets « en première ligne de la répression du soutien à Gaza ».

Le 23 avril, il a révélé que « les préfets sont mobilisés pour interdire des manifestations, mais également des conférences ou des projections de films, organisées en soutien aux Palestiniens. »

En effet, c’est le 12 octobre 2023, que dans un télégramme envoyé aux préfets, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, affirmait : « Les manifestations pro-palestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites ».

Saisi en référé par le comité Action Palestine de Bordeaux, à la mi-octobre, le Conseil d’état a mis fin à cette politique d’interdiction systématique, contraignant les préfets « d’apprécier au cas par cas ».

Avec plusieurs de ses meetings interdits, Jean-Luc Mélenchon a fait les frais de cette répression.

Le président de l’université de Lille lui a interdit, le 17 avril dernier, la tenue d’une conférence sur la situation à Gaza. Puis le lendemain, à son tour, le préfet du Nord a annulé la conférence sur le Proche-Orient qu’il devait tenir à Lille.

Au premier, Jean-Luc Mélenchon lui a rappelé les travaux de la célèbre philosophe, Hannah Arendt, lors du procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann : « Elle explique comment le mal absolu tente toujours de se diluer en compartimentant les tâches. Chacun de ceux qui ont accompli une tâche se dit « je ne suis pas un criminel», c’est ce que disait Eichmann ».

Une question qui se pose aujourd’hui aux préfets Jean-Luc Mélenchon et Edwy Plenel face à la criminalisation de la solidarité envers les Palestiniens. Ce dernier ajoutant : « Tous les démocrates devraient s’en inquiéter ».

SUR LE MÊME SUJET :

L’horreur à l’hôpital Al-Shifa de Gaza : qui arrêtera Israël ?

  • Les derniers articles

close