Économie

Souveraineté alimentaire : l’étau se resserre sur l’Algérie

Même si l’Algérie n’est pas menacée de pénurie de blé dans l’immédiat grâce à ses moyens financiers, elle doit prendre des mesures et réformer son agriculture dans le futur

Le nouveau ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a estimé qu’en Algérie la question de la souveraineté alimentaire n’était pas « résolue ».

Même si l’Algérie n’est pas menacée de pénurie dans l’immédiat grâce à ses moyens financiers issus de l’exportation des hydrocarbures dont les prix ont flambé ces derniers mois, elle doit prendre des mesures et réformer son agriculture dans le futur.

| Lire aussi : Céréales : l’Algérie peut-elle atteindre 40 quintaux à l’hectare ?

Crise ukrainienne oblige, sur tout le territoire national, l’Office algérien interprofessionnel des Céréales (OAIC) met les bouchées doubles pour collecter le maximum de blé.

C’est lors d’un déplacement officiel que le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a estimé, que la question de la souveraineté alimentaire n’était pas « résolue ».

| Lire aussi : 60 ans après l’indépendance : il est temps de décoloniser le système technique agricole dans notre pays !

Selon le site français Terre-net, le ministre a ajouté : « Ce n’est pas chez nous que le problème va se poser là, mais parlons aux Égyptiens, à l’Algérie, à la Tunisie », qui peuvent se poser la question « de savoir s’ils vont pouvoir se nourrir ».

Une interrogation qui survient dans le contexte de la guerre en Ukraine qui a fait flamber le prix des céréales, tout en faisant planer les risques de pénuries et de famine dans plusieurs pays dépendant des importations.

| Lire aussi : Agriculture algérienne : les leçons de l’exploit de la Russie

La Russie et l’Ukraine sont les deux plus grands producteurs et exportateurs de blés dans le monde. Le premier est impacté par les sanctions occidentales, le second est durement affecté par les effets de la guerre sur ses exportations agricoles et son agriculture.

Facture alimentaire, de 10 à 20 milliards de dollars ?

Pour anticiper toute pénurie de blé sur le marché mondial, l’Algérie a multiplié les achats ces derniers mois, au prix fort.

Fin février 2022, l’Office algérien des céréales (OAIC) a conclu un accord portant sur l’achat de 600.000 tonnes de blé, d’origine française à 485 dollars la tonne.

Selon des opérateurs européens, fin avril, l’Algérie via l’OAIC aurait conclu un nouvel accord portant sur 500.000 tonnes de blé mexicain au prix de 570 dollars la tonne, frais de transport inclus.

Fin 2021, la tonne de blé était à 290 dollars. Maïs, poudre de lait et huile connaissent également des augmentations substantielles de prix. En cas de poursuite de la guerre en Ukraine, les importations de biens alimentaires de l’Algérie pourraient atteindre les 20 milliards de dollars soit un doublement par rapport à 2011.

La réduction des importations de céréales passe par l’augmentation de la production locale. En l’absence de techniques adaptées, la culture de céréales en Algérie reste encore très dépendante de la pluviométrie.

Les années 2014 à 2016 et la précédente campagne agricole ont été impactées par la sécheresse. La décennie écoulée a vu une progression des rendements. Ils sont passés de 15 quintaux à l’hectare à 19 quintaux/ha. Les services agricoles tablent sur l’irrigation pour arriver à des rendements de 32 qx/ha d’ici 2024. Le but est d’atteindre une production de 70 millions de quintaux soit près du double de la moyenne actuelle.

CCLS, la chasse aux quintaux

Conscient des enjeux de l’heure, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a donné instruction à l’Office algérien des céréales (OAIC) de collecter le maximum de céréales.

Ainsi à Constantine, pour Yacine Ghediri, directeur des services agricoles de cette wilaya, le défi est clair : « Nous allons contrôler sur le terrain que toute la récolte de céréales soit dirigée vers la CCLS». À Tipaza, la Coopérative de céréales et de Légumes Secs (CCLS) a organisé une journée de formation à l’intention des chauffeurs de moissonneuses-batteuses. But : réduire les pertes à la récolte. À cette occasion, il a déclaré qu’il était nécessaire de faire rentrer le maximum de quintaux dans les silos.

Une campagne agricole mal démarrée

La récolte en cours s’annonce sous de bons hospices. Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural table sur une bonne récolte de céréales.

La campagne agricole en Algérie avait pourtant mal démarré : à l’automne, les pluies tardives avaient provoqué le retard des semis. Plus tard, une vague de froid puis une phase de sécheresse s’étaient abattues sur les jeunes plants.

Pour beaucoup d’agriculteurs, notamment à l’Ouest du pays, on allait vers une année catastrophique. Puis, des averses renouvelées durant mars, avril et mai. Des précipitations qui ont fait la joie des céréaliers et des éleveurs. Dans la commune de Sidi Abderahmane (Tiaret) ou de Didouche Mourad (Constantine), partout les parcelles présentent des épis collés les uns aux autres.

À Constantine, Mostapha Debbah producteur de semences

À Constantine, devant sa parcelle de blé dur, Mostapha Debbih confie à la Télévision algérienne (ENTV) que la réussite passe par « le respect de l’itinéraire technique et la rotation de différentes cultures sur la parcelle ».

Cet agriculteur est un producteur de semences confirmé. Pour l’ingénieur agronome Hamoud Zitouni, « Debbah Mostafa est un agriculteur professionnel exemplaire de la wilaya de Constantine ».

Il travaille avec la société privée Axium. Signe de son professionnalisme, entre chaque passage de semoir il a laissé un espace. Cet espace permet au personnel d’éliminer manuellement les épis étrangers à ceux de la variété à multiplier.

Pour Mohamed Belbjaoui, président de la Chambre d’agriculture, présent sur la parcelle, le changement climatique est une des préoccupations : « Ce qui nous demande d’avoir une stratégie à long terme ».

À proximité des parcelles de blé, d’autres sont nues. Il s’agit de terres en jachère ; elles représentent plus de 37 % des surfaces céréalières en Algérie.

Moisson 2022, large mobilisation

Tant que les grains ne sont pas moissonnés, l’inquiétude reste grande chez les agriculteurs. À Relizane, c’est un agriculteur qui s’impatience de voir les épis issus des dernières pluies arriver au même stade de maturité que le reste de la parcelle. « Les grains verts ne sont bons ni pour faire de la semoule ni de la semence », rétorque un technicien.

À Msila, le wali a demandé que les agriculteurs puissent livrer leur récolte à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

À Constantine, Alloua Zouaghi, le directeur de la CCLS locale rappelle les capacités de stockage en silo et à plat : 1,7 millions de quintaux. Sous un immense hangar, le personnel s’affaire : révision du matériel de récolte, préparation des sacs en jute et d’un stock de palettes en bois, balayage soigneux du sol.

Dans la cour une dizaine d’engins de récolte sont alignés. Pas moins de 150 saisonniers doivent être recrutés. L’Office algérien des céréales (OAIC) a décrété la chasse aux quintaux de blé et a relevé le prix d’achat du quintal de blé et d’orge. Sur les réseaux sociaux, on s’interroge : « Comment se fait-il qu’un agriculteur qui reçoit un crédit de la banque ne dirige-t-il pas sa récolte vers la CCLS ? ».

Préserver la récolte contre les incendies

Plusieurs accidents sont à craindre : grêle, moineaux dont les dégâts sur les épis commencent à être visibles, gerboise qui rongent les tiges.

La plus grande menace reste l’incendie. À El Menea, un incendie a détruit la récolte de blé sous un pivot d’irrigation. Contre ce risque, les Caisses régionales de la mutualité agricole (CRMA) tentent de sensibiliser les agriculteurs.

Les tracteurs sont équipés d’extincteurs et les parcelles de blé sont détourées, notamment à proximité des routes. On craint les mégots de cigarettes jetés par inadvertance par des automobilistes imprudents.

Dans la commune de Sidi Lakhdar (Aïn Defla), l’agriculteur Mohamed Lakhass accompagne Ennahar TV sur une parcelle où, sur le pourtour, le blé est fauché sur quelques mètres. Il s’agit de constituer une bande pare-feu. L’agriculteur va jusqu’à ramasser quelques bouts de verre en bordure de parcelle.

Un contexte favorable pour un maximum de collecte

Le relèvement du prix d’achat du quintal de blé dur à 6 000 DA contre 4 500 DA auparavant devrait permettre de voir affluer les remorques de grains vers les CCLS. Le prix de l’orge a été relevé à 3 400 DA le quintal. Cela suffira-t-il ? À l’approche de l’Aïd-El-Adha, il s’agit de tenir compte de la forte demande en orge des éleveurs.

| Lire aussi : Ouargla ambitionne de devenir un grand pôle céréalier en Algérie

Malgré tous ces préparatifs, il y aura des quintaux de blé que la CCLS de Constantine ne pourra collecter. La multiplication des points de collecte et le travail de nuit n’y suffiront pas.

Il s’agit des quintaux qu’auraient pu produire les terres laissées en jachère et dont la couleur marron tranche avec le vert des champs de blé comme à Béni Mestina, au nord de Constantine.

Résorption de la jachère, nouvelles variétés, irrigation de complément, Marc Fesneau peut être rassuré, les agriculteurs algériens ont de la marge.

Les plus lus